20 Décembre 2019, 17h45. L'hôpital semble calme. Des murmures s'élèvent entre les collègues. Une photo est toujours affichée dans la salle commune des infirmières et infirmiers. A chaque prise de poste, certains prient pour qu'on retrouve une de leur collègue et amie. Cette photo représente une jeune femme souriante auprès de ses collègues. Personne ne sait ce qu'il s'est réellement passé ce jour-là. Les collègues, qui culpabilisent, auraient aimé l'avoir accompagné faire des courses ou juste lui avoir proposé d'échanger les postes. Les "si" sont dans quelques discussions. Mais la vie de l'hôpital continue tout de même. Il y a des patients à traités et d'autres à sauver.

De l'autre côté de la ville, un jeune garçon aux cheveux hirsutes s'introduit illégalement dans une maison, n'ayant pas attendu la police. Le bougre s'était glissé dans la cave avec beaucoup de discrétion. Il retrouva sa sœur aînée, mal en point. Est-ce totalement risqué ? Oooh oui. Totalement irréaliste ? Pas qu'un peu ! Le frère soutient la sœur pour l'aider à sortir de-là, tandis qu'un homme ouvre la porte à des policiers, niant en bloc la présence d'une jeune femme. Un bruit a poussé l'homme à tourner la tête devant rouge de rage. La police s'enfonça dans la maison. Soudain, le cœur de la jeune femme a lâché. Elle est tombée au sol.


Mon cœur a lâché

Les ambulances s'activent. Les urgences apprennent la nouvelle, l'on va accueillir une jeune femme victime d'un arrêt cardiaque. L'ambulance débarque en un crissement de pneu. Les portes s'ouvrent en grands et on voit une femme administrer les premiers secours à la victime « Waverly Carmichael, 28 ans, victime d'un arrêt cardiaque. Elle a été enlevée par un fou furieux, les autorités l'ont retrouvé » la nouvelle glaça le sang des résidents, de mes amis et collègues ... qui prirent aussitôt en charge mon cas.

20 Décembre 2019, 17h45. « ...28 ans, victime d'un arrêt cardiaque. Elle a été enlevée par un fou furieux, les autorités l'ont retrouvé »

Cette phrase, je l’entends d’une oreille distraite alors que je mets mon lait d’amande dans mon cinquième café de la soirée. Je sais pertinemment que le café est un stimulant cardiaque assez nocif autant pour les ventricules que pour l'absorption du fer, mais c’est une drogue encore plus obsédante que la méthamphétamine. Est-ce que je réagis à cette annonce? Non, pas vraiment. Pourquoi? Simplement parce que je ne suis pas un vulgaire urgentologue, je suis un chirurgien cardio-thoracique et bien que cette personne soit en arrêt, je n’avais aucun droit d’intervention et, surtout, aucune envie d’intervenir. Je ressortais d’un remplacement aortique qui s’était particulièrement mal passé et la seule chose que je voulais, c’était le lait d’amande qui ne semblait exister que sur ce département où tout était toujours si tragique. D’ailleurs, des hurlements et des cris commencèrent à résonner partout sur le département. De toute évidence, l’ambulance venait d’arriver. Ne tenant pas particulièrement à assister à une effusion de cris paillards et de mines contrites, j’ai attrapé ma tasse de café avec la nette intention de partir.


Sauf que pour sortir, il fallait passer devant la salle de choc et ces idiots avaient oublié de fermer les rideaux pour assurer la confidentialité et cacher le carnage qui se passait dans ce zoo humain. J’aurais dû partir et retourner à mes patients, mais ces boucles miel et ce nom hurlé me firent figer. Si à l’annonce, je n’avais pas entendu le nom de la patiente, le fait d’entendre une vieille infirmière hystérique implorer Waverly de ne pas aller vers la lumière me fit lâcher mon café. Était-ce possible? Non. Elle avait disparu depuis trop longtemps pour être de retour, cette infirmière si tendre et douce qui avait toujours résisté à mes approches séductrices. Incapable de repartir sans m’en être assuré, je me suis dirigé droit vers la salle de choc et la vérité me percuta de plein fouet. C’était elle et son cœur ne semblait posséder que l’activité électrique minimale. Trop minimal pour conserver de l’espoir. “Je veux 10 milligrammes d’épinéphrine en push, l’installation d’une trois voies au niveau de la carotide et une seringue de 60 ml avec une aiguille de 18 biseauté" Annonçais-je d’une voix glaciale en poussant l’incapable d’urgentologue qui voulait tenter de l’intuber. D’ailleurs, il ne lui fallut pas très longtemps pour faire sentir sa fierté blessée en m’ordonnant de quitter son département.


“Premièrement, intuber quelqu’un qui n’a aucun réflexe respiratoire et un tel épanchement péricardique est non seulement risqué, mais également dangereux” Commençais-je à dire alors que j’avais fermé les yeux pour écouter le coeur inerte à l’aide de mon stéthoscopes. Oui, c’était subtile, mais j’entendais vraiment un crépitement pouvant passer pour un ballonnement liquidien. “Ensuite, installer un cathéter sanguin sur un système veineux dont le coeur ne bat plus est susceptible de créer des caillots en plus de ne pas fonctionner. La jugulaire nous donne plus de chance et administrera directement le médicament près du coeur” Ajoutais-je en assemblant ma seringue avant de la planter d’un coup solide dans l’endroit que j’évaluais être le péricarde. Lentement, un liquide rouge presque noir empli le corps de l’objet. “Et finalement, choquer un coeur avec une telle quantité de liquide autour est inutile et dangereux” Rajoutais-je en retirant l’aiguille “Charge à 300, on choc!” Ordonnais-je finalement d’une voix qui ne souffrait pas la contradiction, ayant pris le contrôle de la salle sans demander l’avis de quiconque. Waverly n’allait pas mourir, si j’avais mon mot à dire!

L'agitation et l'émotions sont palpables dans les urgences. Tous s'unissent autour d'un corps, un massage cardiaque se fait, il ne se termine pas tant que les machines pour redémarrer le cœur ne se mettent dessus. Un homme prend la relève, il semble froid, déterminé, intransigeant. Tous savent combien cet homme et cette femme se connaissent, tous connaissent l'homme, et même si ses mots sont durs et même s'il a un passif avec cette jeune femme, ses gestes et son sang froid permettent de prendre la situation en main. L'équipe se cale à ses ordres, demandant en parallèle au père et au frère, venus pendant ce temps, de sortir de la pièce. Le corps est alors dégagé et le cœur défibrillé. Un battement se fait entendre, mais il fallu deux autres essais pour que le cœur revienne à lui. Des soupirs de soulagement se font entendre, puis des pleurs de joie.

Je venais d'être sauvée.

Les heures passent. Mes paupières s'ouvrent doucement. Je cligne des yeux plusieurs fois. Il est près de 23h, trois personnes sont là. Papa, Ezra, mon petit frère et ... Marshall. Et tandis que je fronce les sourcils et gémis, tout le monde panique et s'agite. Le bonheur les emplie, je ferme les yeux et et grogne de douleur. Papa me demande de me calmer, Marshall prend ma main, mais je la rejette subitement, prenant rapidement possession d'un bouton pour avertir les infirmières. Ces dernières arrivèrent aussitôt, tandis que je me mettais à tousser et me rendre compte de ce qu'il se passe. Elles demandèrent à tous de sortir, papa se leva, Ezra protesta vivement, Marshall essaya de calmer le jeu et tandis que je pris la main de papa, ce dernier prit la situation en main « Ezra, pars avec Marshall prendre un thé ou quelque chose. C'est un ordre, fils ! » mon frère me regarde et regarde papa. Il passa sa main sur son visage et enfourne ses mains dans ses poches. Je le regarde et souris, un faible merci s'échappa de ma bouche tandis qu'il sort avec Marshall. Les infirmières avertissent papa qu'il n'a pas beaucoup de temps et que je dois me reposer. Je me calme, papa est moins étouffant qu'Ezra. Nous restons un peu là, en silence, tandis que je laisse mes émotions m'envahir en plus de la fatigue. Il me laissa pleurer, serrant fort ma main, émus aux larmes. nous restons ainsi, l'un contre l'autre, puisqu'il s'est rapproché de moi et que nous pouvons presque se faire un câlin. Il embrassa mon front et me demanda de dormir « Si tu reviens demain ... reviens qu'avec Ezra ... s'il te plait ... » demande je en chuchotant. Il sourit, se lève et s'en va.


Les minutes passent, le silence envahit la salle et je déglutis. Seule désormais, je ne sais pas comment je dois me sentir. Demain, je vais devoir passer des tests. Mais là, maintenant ? Je sais pas ce que je ressens. Trop de choses explosent dans ma tête. Je suis épuisée, j'ai peur, je suis heureuse, j'ai envie de pleurer, mais surtout, je suis angoissée. Tout est allé si vite. Ces 9 mois. Qu'on m'ait retrouvé ... l'hôpital. Je m'assois sur le lit et grince des dents, la douleur au thorax est encore présente. Je regarde le monde qui marche et déglutis. J'ai envie de marcher, de courir, de rentrer chez moi et de serrer mon chat dans mes bras ... et me rouler en boule dans mon lit. Les genoux pliés, je pose mes coudes dessus et mes mains sur mon visage.

Je suis sauvée. Enfin ...