Entrer ou non ? Ça faisait une heure que Jamie était là, à se poser cette question. Il était sorti pour prendre un peu l’air, pour se changer les idées, et il avait atterri là, dans l’Est de la ville, devant ce bar, à se demander si c’était une bonne idée. Il pouvait toujours entrer mais ne pas boire d’alcool. Après tout, ça n’engageait à rien, d’être dans un bar, si ? Sauf qu’il savait très bien qu’en entrant, il serait tenté. Parce que tout le monde autour de lui serait en train de boire et qu’il voudrait se joindre à la fête. Il jouait avec son jeton, caché dans la poche de son pantalon, comme à son habitude. Huit années. Huit ans qu’il était sobre, qu’il n’avait bu aucune goutte d’alcool, qui ne s’était rien injecté dans les veines. Il était fier de son parcours, fier de s’être sorti de cette merde, mais ça ne changeait rien. La tentation était toujours là, comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Alors il attendait là, immobile, les yeux rivés sur la porte. Il devait avoir l’air d’un taré aux yeux des clients qui entraient et qui sortaient de là, mais après tout la plupart étaient tellement bourrés qu’ils ne le remarquaient probablement pas. Merde, il ne savait vraiment pas quoi faire. Et puis il se décida. Non. Il n’allait pas entrer. Il pouvait résister, il devait résister. Il irait à un meeting le lendemain, il en avait terriblement besoin et cette soirée le prouvait. Il soupira puis se détourna, prêt à rentrer chez lui. Mais il y avait une chose qu’il n’avait pas prévue. Que quelqu’un se trouve pile sur son chemin. Une jeune femme, qui percuta son torse et faillit tomber à la renverse. Paniqué, il réussit à la rattraper avant qu’elle ne chute, l’attirant tout contre son torse pour qu’elle retrouve son équilibre. Il la relâcha presque aussitôt, les yeux ronds.

« Je suis désolé ! Merde, vraiment je suis désolé ! Je faisais pas attention et… Ça va ? Je t’ai pas fait mal j’espère ? »

Quel con. Non mais vraiment… Quel con !

Bon, visiblement, plus de peur que de mal. La jeune femme n’avait pas l’air trop perturbée, ni blessée. Il rit légèrement devant sa gêne et secoua la tête. Baissant les yeux, il la vit retirer lentement sa main de son bras et sourit.

« Non, pas de mal. Je pense que même en y mettant toute ta force, t’aurais pas pu me faire de mal. »

Nouveau rire. Il fallait être honnête, elle devait faire à peine 50 kilos toute mouillée, alors pas vraiment moyen qu’elle puisse lui faire la moindre égratignure. Maintenant que la petite frayeur d’avoir fait mal était passée, Jamie se permit de l’observer un peu plus. Elle était plutôt mignonne, de grands yeux bruns très agréables à regarder… Et visiblement pas sobre. Elle sentait l’alcool à plein nez, même si elle était encore visiblement capable de gérer ses actions. Il regarda autour d’eux et vit que personne ne semblait s’intéresser à elle, ce qui lui fit froncer les sourcils.

« Euh… T’es avec quelqu’un ? Des copines ou… J’sais pas ? »

Pas qu’il veuille imposer sa présence, mais l’idée de la laisser rentrer chez elle dans cet état ne le mettait pas vraiment à l’aise. Il pouvait se passer à peu près n’importe quoi dans les rues de Los Angeles, la nuit, alors à une jeune fille pas en possession de tous ses moyens… Ouais, ça craignait. Réponse négative, il soupira à nouveau. Merde… Il avait vraiment envie de rentrer dormir, mais ça ne lui disait rien qui vaille de la laisser là, toute seule. Il se mordilla la lèvre un instant et détourna le regard avant de finalement le reposer sur elle.

« Tu m’as pas l’air tout à fait sobre et j’aime pas trop l’idée de te laisser rentrer toute seule. Ouais je sais que c’est typiquement ce que dirait un psychopathe, mais j’en suis pas un. T’as aucune preuve de ça, sauf ma bonne foi. »

Il sourit légèrement et se passa une main dans les cheveux.

« J’serais plus tranquille si je pouvais te raccompagner chez toi. »

JJ haussa un sourcil. Ceinture noire de judo ? Mouais, chez les poids très légers alors. Il rit légèrement et leva les mains en signe de reddition.

« D’accord, d’accord, je m’incline. Peut-être que dans une réalité parallèle tu aurais pu me faire mal. »

Il haussa les épaules, réellement pas convaincu, puis reporta son attention sur la jeune femme. Il ne savait pas trop pourquoi, mais il sentait que le courant passait bien entre eux. Il écouta sa réponse négative et hocha légèrement la tête. Ah. Elle n’était pas d’ici. Sûrement pour ça qu’elle n’avait pas réellement conscience des dangers qui l’entouraient. Los Angeles était souvent – et à tort – vue comme une ville sympathique, où passer des vacances tranquilles, sans emmerdes. Sauf que c’était assez éloigné de la réalité. Ce n’était pas parce qu’il y avait beaucoup de gens connus qui y habitaient que la ville était tranquille pour autant. Ça restait un endroit gangrené par les gangs et la misère dans certains quartiers, et qui dévoilait son vrai visage une fois la nuit tombée. Il se mordilla l’intérieur de la joue et secoua la tête.

« Nan, j’ai rien de prévu. Fin… J’avais prévu de rester devant ce putain de bar à me demander si c’était une bonne idée d’entrer, alors j’pense que ça me fera même plutôt du bien de m’en éloigner. Mais je veux pas genre… M’imposer, ou quoi. Si tu veux je peux euh… T’appeler un taxi ? »

Il grimaça légèrement. Ouais, mauvaise idée aussi, ça. Les chauffeurs de taxi n’étaient pas toujours des plus innocents. C’était bizarre, cette envie soudaine de la protéger. Remarque, il aurait probablement eu cette attitude avec n’importe qui d’autre. Il détestait l’idée qu’il arrive quelque chose à quelqu’un alors qu’il aurait pu l’empêcher. Sûrement un reste de sa période de conneries, où il aurait bien aimé que quelqu’un ait ce genre d’attitude envers lui.

« Je sais que c’est vraiment étrange comme attitude mais je me fiche de marcher longtemps, si ça peut te permettre de rentrer en sécurité. »

Le professeur avait totalement conscience du fait qu’il passait probablement pour un énorme relou dragueur… Loin de lui l’envie de faire quoi que ce soit d’autre que de raccompagner la jeune femme cependant, draguer dans la rue c’était très loin de ses habitudes. En entendant la réponse de son interlocutrice, il éclata de rire avant d’hocher la tête, les lèvres pincées, l’air tout à fait sérieux.

« Ah… Oui, en effet. Surtout avec ta ceinture noire de judo, je devrais me méfier ça peut très mal tourner tout ça. Mais… J’vais prendre le risque, allez ! »

Il lui sourit doucement. Non, l’idée n’était vraiment pas de lui faire peur, ou de se faire passer pour un malade. Il voulait juste qu’elle rentre en toute sécurité, et pour avoir parcouru à peu près toutes les rues de cette ville, Jamie connaissait parfaitement les coins malfamés, ceux qu’il valait mieux ne pas fréquenter, et ceux qui étaient à peu près cleans à la nuit tombée. Il écouta sa proposition, plissant légèrement les yeux avant de lui tendre la main.

« Deal. »

Elle la serra et il sourit de nouveau.

« Et j’m’appelle Jamie. Ou Jay. Comme tu veux, j’m’en fiche. »

Il lui fit signe de le suivre et ils s’installèrent sur un banc un peu plus loin, à l’écart de la foule bruyante des fêtards alcoolisés. Une fois assis, JJ soupira légèrement, le sourire toujours aux lèvres, et se tourna vers Abi.

« Alors… Abi. Qu’est-ce que tu veux savoir de moi pour te convaincre que j’suis pas un grand malade ? »

Non, définitivement la jeune femme n’était pas crédible. Mais bon, pour cette fois, il pouvait laisser glisser. Jamie se contenta donc de rire doucement et de secouer la tête, pour montrer son amusement face à la situation. Quelques minutes plus tard, les deux jeunes personnes se retrouvèrent sur un banc, et le professeur tenta de découvrir ce qui aurait pu faire en sorte qu’Abi lui fasse un peu plus confiance. Elle lui répondit qu’elle n’en savait rien et il rit à nouveau, avant d’adopter un air faussement sérieux, une main sous le menton tandis qu’il réfléchissait. Il finit par penser à quelque chose et fit mine d’avoir une illumination.

« J’adore les chats. J’adore réellement les chats et j’en ai adopté un qui n’a qu’un œil. Il s’appelle Indra. »

Il sortit son téléphone et lui montra une photo du félin, avant de lui lancer un sourire triomphant.

« Je peux pas être quelqu’un de mauvais si j’ai adopté un chat borgne ! »

Petit regard interrogateur, tandis qu’il réfléchissait à quelque chose d’autre. Il finit par plisser les yeux et se tourna un peu plus vers la brune, reprenant d’un ton faussement suspicieux.

« Et toi, d’ailleurs… Qu’est-ce qui me dit que tout ça n’est pas un piège pour profiter de ma vulnérabilité et me voler mon portefeuille, hein ? »

Après tout, ce n’était pas tout à fait illogique, non ?