En cette belle matinée ensoleillée du mois de mai, c’était l’heure de commencer une nouvelle semaine. Quand je suis arrivée à Los Angeles il y a presque un an maintenant, c’était dur de prendre ses marques dans une ville que tu ne connais pas du tout. Dans ma tête, et pour beaucoup d’américains regardant toutes ces séries populaires, la Californie était l’American Dream. Son mode de vie faisait rêver la planète entière, ou presque, avec son soleil qui brille toute l’année et où la vie semble douce et facile. C’était aussi l’Etat où les fortunes et les carrières se faisaient rapidement, où l’on pouvait devenir une star du jour au lendemain, ou encore vivre sur la plage de surf et de poissons pour toujours. Bref, la Californie était devenue un véritable mythe et j’avais réussi à y succomber. Pour une fille qui avait vécu à New-York toute sa vie, débarquer à Los Angeles ne fut pas une mince affaire.
Avec mon esprit très terre à terre, j’avais l’impression de me noyer un peu plus chaque jour dans cette ville qui ne me ressemblait pas et où tout était qu’extravagance et folie à volonté. Pourtant, au fil des mois, j’avais réussi à l’apprivoiser, ou c’était peut-être le contraire. Peut-être qu’elle avait eu raison de moi finalement. J’avais justement choisi de vivre à Los Angeles pour prendre un nouveau départ mais, surtout, pour me prouver à moi-même que j’étais capable d’y arriver seule. New-York était devenu le berceau de beaucoup de souvenirs heureux, mais aussi trop douloureux à supporter. Il fallait que j’apprenne à avancer par moi-même et à me détacher de mon passé. J’en avais besoin, aussi bien physiquement que psychologiquement. Après tout, je vivais désormais dans la ville qui pouvait nous offrir libertés et promesse de réussite. C’était donc à moi de me donner un bon coup de pied au derrière pour faire en sorte que le mythe devienne réalité.
Aujourd’hui, je commençais à huit heures. Comme tous les lundis matin, les heures de consultations étaient libres et non sur rendez-vous. C’était un bon moyen pour les nouveaux docteurs de gagner des nouveaux patients. A l’heure actuelle, j’exerçais dans un cabinet où il y avait trois autres psychologues. Mais un jour, mon rêve étant d’ouvrir mon propre cabinet lorsque j’aurais réussi à percer et à me faire connaitre dans ce milieu. Depuis mon arrivée, ça se passait plutôt bien. La plupart de mes patients étaient conciliants et me faisaient confiance. J’en étais ravie. Alors que je me préparais à accueillir mon premier patient de la matinée, la secrétaire du cabinet vint me prévenir qu’un de mes rendez-vous de l’après-midi avait été annulé et reporté à un autre jour. Je pourrais donc finir un peu plus tôt. « D’accord merci Sophie ! J’aurais également besoin que tu me refasses la liste des rendez-vous de la semaine comme il y a eu pas mal de changements, je n’ai pas eu suffisamment le temps de m’organiser. »« Pas de souci je te fais ça ! » Me répondit-elle avant de rejoindre son bureau.
Je me dirigeais dans la salle d’attente pour accueillir mon premier patient de la journée et que je connaissais bien. Les consultations s’enchainaient. Certaines étaient plus ou moins longues que d’autres, cela dépendait des troubles. Alors qu’une séance se termina, je me rendis une nouvelle fois dans la salle d’attente pour accueillir mon prochain patient : « Au suivant s’il vous plait ? » Un jeune homme se leva et je lui tendis la main pour le saluer en lui adressant un sourire : « Bonjour. » Je l’invitai à entrer dans mon cabinet et lui fis signe à prendre place sur la chaise en face de mon bureau. « Sauf erreur de ma part, il me semble qu’on ne se soit jamais vus vous et moi ? » Dis-je en prenant place derrière mon ordinateur. Je me souvenais de tous mes patients, surtout lorsque ceux-ci étaient des patients réguliers mais ça pouvait arriver que j’en oublie quelques-uns en cours de route, surtout s’ils avaient consulté qu’une fois à mon arrivée il y a moins d’un an. Ma mémoire n'était pas toujours infaillible...
La psychologie. Ma famille et certains de mes proches m’ont souvent posé la question : « Pourquoi cette voie ? » Nous avons tous une image plus ou moins mystérieuse du métier et les stéréotypes qui auréolent cette profession ne manquent pas. Nous sommes considérés bien souvent comme des personnes qui interprètent et analysent tout, scrutent dans la tête des gens et lisent leurs pensées. Parfois même, on peut être perçus comme des charlatans. Mais en réalité, ces clichés témoignent, la plupart du temps, d’un manque de savoirs, ou d’une mauvaise connaissance des pratiques, et d’une représentation ancrée dans l’imaginaire collectif. Ce qui peut venir entraver la démarche d’une consultation, voire engendrer une irritation à l’égard des psys. Car, en général, ces derniers ont peur de dévoiler ce qu’ils pensent ou ce qu’ils ressentent de peur qu’ils soient jugés. Or, notre rôle est tout le contraire. Nous ne résolvons pas les problèmes des autres mais notre métier est de les accompagner à trouver la bonne solution par eux-mêmes, sans porter en aucun cas un quelconque jugement.
Mes parents s’attendaient à ce que je fasse des études de commerce. Surement pour reprendre un jour l’entreprise familiale. Et bien, ils se sont trompés ! Mon hospitalisation y est pour quelque chose et m’a fait réfléchir sur bien des choses, à commencer par mon avenir. J’avais le choix d’en faire ce que je voulais et mon choix s’est donc porté sur la psychologie. L’aventure en valait la peine ! Et pourquoi la psychologie ? Un cliché populaire veut que la profession attire des gens qui veulent se comprendre eux-mêmes. C’est peut-être vrai. Ça laisserait alors sous-entendre qu’ils auraient eux-mêmes des problèmes psychologiques. Je ne le niais pas non plus. Pourtant, il n’y avait pas que ça. En réalité, j’étais vraiment intéressée par les relations humaines et j’avais ce besoin d’aider les autres et de soulager leurs souffrances. La psychologie m’a permis de m’ouvrir et d’explorer tout un monde de connaissances, de comprendre mes questionnements ainsi que le comportement des uns et des autres. Elle m’a aidé à voir les choses sous un angle différent.
Après avoir invité mon prochain patient à s’asseoir, je remarquai qu’il ne m’était pas familier. Et, en effet, j’avais vu juste. Il me dit qu’il s’était résolu à venir à la demande de sa sœur. « C’est une bonne chose. Il nous faut souvent l’aide de quelqu’un d’autre pour qu’on se décide à sauter le pas. » Dis-je d’un air rassurant. Il me demanda ensuite comment se passait une consultation. Le premier rendez-vous pouvait être source d’appréhension et de stress chez certains patients. Mais cette première séance était avant tout un échange, une prise de contact pour mieux se connaitre. « Ne vous en faites pas, vous n’êtes pas le seul à me poser cette question, Il y a toujours un peu d’appréhension la première fois. Mais disons que pour commencer, j’aurais juste besoin de quelques informations pour remplir votre dossier. Votre nom, prénom, date de naissance, adresse, métier et numéro de téléphone. » Après une courte pause afin d’accéder sur l’ordinateur à une nouvelle fiche patient, je repris : « Puis, ensuite, la séance va se dérouler pas à pas, de manière à ce que je puisse évaluer tranquillement la situation. Vous m’exprimez les raisons qui vous ont poussé à consulter aujourd’hui et nous pourrons en discuter ensemble. Sentez-vous libre en tout cas de me poser n’importe quelle question qui vous traversent l’esprit, je suis là pour ça. »
Pour chaque patient, je prenais le temps nécessaire. Je m’adaptais en fonction de ses besoins et de ses attentes.
Après lui avoir demandé les informations qu’il me fallait pour remplir son dossier, j’arquai les sourcils lorsque je l’entendis prononcer son nom « Cameron Sloane… » C’est bizarre, mais ce nom me disait vaguement quelque chose. Où est-ce que j’aurais bien pu l’entendre ?! Où était-ce simplement un nom entendu à la télé ou dans les rues de Los Angeles. Je n’y prêtais pas plus attention et continuais à taper sur mon ordinateur. Puis je relevais la tête quant il me dit qu’il était né à New-York : « Chouette ville n’est-ce pas ? Je viens de là-bas aussi. C’est la première fois que je croise un New-yorkais depuis que je suis ici, vous m’en voyez ravie. » Ça faisait pourtant un peu moins d’un an que j’avais emménagé à Los Angeles mais les New-yorkais qui venaient à ma rencontre se faisaient rares. Enfin, cette ville était comme mon recueil de souvenirs. J’y avais vécu une bonne partie de ma vie. Je n’y regrettais rien. On n’oublie jamais d’où l’on vient parait-il mais ces souvenirs commençaient à devenir trop lourds à porter pour une seule personne. Parfois, ils pouvaient me réchauffer de l’intérieur mais, d’autres fois, ils me déchiraient violemment le cœur. Ce que je sais, c’est qu’ils avaient changé ma vie de façon définitive et qu’ils avaient laissé en moi des traces indélébiles que jamais je ne pourrais effacer. C’est d’ailleurs pour cela qu’un cadre représentant une photo d’Adrian et moi était posée sur mon bureau à l’époque où nous étions adolescents. Au fil des mois, celle-ci devenait un peu moins dur à regarder à chaque fois que je venais travailler. C’était une façon de me dire qu’il m’accompagnerait toujours là où j’irai…
Cameron continua ensuite de me donner les informations dont j’avais besoin pour remplir sa fiche et notamment sa profession. Il me dit qu’il faisait partie des unités d’intervention des forces de police mais qu’auparavant, il avait été dans l’armée. « C’est un beau métier, vous devez être fier de ce que vous faites. » A un moment ou à un autre, nous avons probablement tous déjà été convaincus d’exercer le pire métier du monde. Mais peu importe à quel point notre travail peut nous sembler monotone au quotidien, il a au moins le mérite de ne pas mettre notre vie en péril. Tout le monde ne pouvait pas en dire autant et c’était notamment le cas de Cameron. Certaines personnes prenaient de gros risques pour leur travail et mettaient chaque jour leur vie en danger. Suite à cette confidence, j’avais peut-être ma petite idée de sa venue aujourd’hui. « Bien Cameron, j’ai terminé, nous allons pouvoir commencer. Si vous voulez bien prendre place sur le sofa derrière vous s’il vous plait. » Je me levai de ma chaise pour m’installer sur le fauteuil en face de lui. « Confortablement installé ? Désirez-vous quelque chose ? Un verre d’eau ou bien du thé ? » Lui dis-je avec le sourire pour détendre un peu plus l’atmosphère. « Je vais à mon tour me présenter. Je m’appelle Amara Bates. Mais vous pouvez m’appeler Amara ou bien Dr Bates durant nos séances, c’est comme vous souhaitez. Cela facilitera nos échanges. » J’inscrivais deux trois choses sur mon carnet de notes avant de poursuivre : « Donc, dites-moi Cameron, qu’est-ce qui vous a amené à consulter aujourd’hui ? »
C'était étrange mais maintenant que je me retrouvais assise en face de lui, son visage me rappelait quelque chose...