Posant le pied sur la dernière marche du jet privé qui m’a emmené ici, je descend mes lunettes griffé sur mes yeux et m'arrête sur le tarmac une seconde. Une seconde qui me permet d’absorber une énième fois l’endroit ou je suis, la machine que je viens de quitter, le fait que je n’ai pas eu besoin de me mélanger au commun des mortels dans un avion commercial pour plusieurs heures. Il m’a suffi de dire à un pote que je revenais à Los Angeles pour qu’il me “prête” son avion; le temps d’un voyage.
Hum.
Est ce que je m’y ferais un jour à ce mode de vie?
Ca fait 6 ans que j’ai changé mon nom de famille, que j’ai emménagé avec les Gallaghers, que j’ai quitté les foyers d'accueils, les orphelinats, les différents membres de ma propre familles qui n’avaient pas l’envie, le temps ou la force de me garder. Ca fait 8 ans que je n’ai pas revu ma mère, 9 si on compte l’année où elle travaillait de nuit et dormait de jour. 6 ans que j’ai mon propre lit, ma propre chambre, des “frères” et des “soeurs”, de nouveaux parents, une nouvelle vie et un nouveau foyer. Un endroit ou je n’ai pas peur qu’on me prenne mes affaires, et n’ai pas à les cacher dans mon oreiller, ou sous mon matelas pour les garder intact.  
6 ans que je mange à ma faim, et n’ai besoin de rien parce que j’ai littéralement tout, même un pote qui m’offre son Jet privé le temps d’un voyage. Enfin, pote c’est vite dit. Aussi pote que puisse l’être un voisin de palier à Manhattan. Parce que oui, j’habite à Manhattan maintenant. Du moins, je loue un petit appart la bas, près de NYU, pendant l’année universitaire.
Moi ! Je suis à l’université. Qui y aurait cru ! Moi le gamin qui a commencé 3 mini incendie, 1 pour lequel il n’a même pas été pris. Moi le gamin qui s’était fait tabassé à plusieurs reprises par les autres ados du foyer.
Une voiture s’arrête devant moi et sans attendre qu’on m’ouvre la porte, parce que ouai j’ai des mains, je le fais moi même et me glisse sur la banquette arrière. Tommy et Tessa savent que j’arrive aujourd’hui, ils doivent m’y attendre. Mais je n’ai dit à personne d’autre que je serais la pour l’été, ce sera une surprise.
D’après mon estimation il me faut 20 minutes pour arriver à la Villa. Je sors donc mon téléphone et ouvre un des dizaine de réseaux sociaux sur lesquels je suis. La question “Quel animal es tu ?” me nargue trois fois pendant que je scrolle, avant que je me décide à cliquer sur le quizz. Une nouvelle page s’ouvre, vomissant du verts partout sur mon écran, et des questions à la suite du titre. C’est simple, il faut juste répondre par oui ou pas non.
Simple.

Suis je Intelligent? Peut être. Mais pas l’intelligence des livres. Je suis intelligent quand il faut se sortir d’une affaire délicate. Intelligent quand il faut que je trouves un alibi, une excuse, ou un argument pendant une discussion. Intelligent quand j’arrives à me moquer des gens sans qu’ils s’en rendent compte. Ou pas … ?

Suis je sportif? Non, pas du tout même. Je fais le jogging obligatoire avec réticence, pompes et abdos pour entretenir mon corps et vélos ou skateboard pour le transport. Mais à part ça… non. Je n’aime pas le basket, football, ou tout autre sport d’équipe. Ne me parlez surtout pas de Baseball ! Je n’ai pas grandit dans un environnement qui m’aurait fait m'intéresser à 10 mecs entrain de courir derrière un ballon, ou lancer un ballon, ou peu importe ce que les règles stipulent. Cela n’a pas changé, même avec un nouveau père footballeur professionnel et un frère chez les Lakers. Bah ouai, c’est juste un boulot.

Suis je riche? Tommy l’est. Mon “père” ces 6 dernières années. Sa famille aussi l’est… ma famille… Moi? Je profite tant que je le peux. Etudes d’architecture à NYU, pas de double job pour payer mon loyer. De l’argent de poche pour mes courses, mes factures et même mes vêtements. Ce n’est pas comme si j’allais m’acheter un bateau ou une maison, mais disons que c’est mieux que quand je devais me débrouiller pour trouver de quoi m’acheter une glace.

Suis je sobre? Oh waw! Voilà une question pertinente pour trouver quel animal je suis. Je le suis 80% du temps. Je ne dis pas non à un open bar, ni à un joint de temps à autre. Chose à laquelle ne pouvais même pas rêver quelques années plus tôt. Non pas à cause de mon âge, croyez moi, si vous connaissiez notre système, l’âge n’a absolument rien à voir. Plutôt à cause du manque de confiance que j’avais envers ceux qui m’entouraient. Me réveiller dans un autre lit que le mien, ou ne pas me réveiller du tout étaient des peurs légitimes quand j’avais 12 ans. Maintenant? Disons que j’ai un peu plus confiance en moi même…

Suis je éduqué? On va dire que je le suis à moitié. Je n’ai pas eu le plaisir de recevoir une éducation en bonne et due forme en grandissant, mais quand j’ai emménagé chez les Gallagher, ils ont … essayé… de m’apprendre comment me tenir, comment devenir comme eux, comment interagir avec les autres. Ne pas les insulter juste parce que je le pouvais. Ne pas manger avec les coudes sur la table. Ne pas commencer d’incendies. Ne pas porter du marron et du noir … des choses comme ça.

Suis je drôle? On va dire que oui. Je suis drôle et je sais entretenir une conversation. J’ai le sourire facile, et de l’humour qui ne plait pas souvent. Je fais rire ceux que j’appelle mes potes à NYU, et j’ai remporté l’award du “plus drôle” quand ils ont fait une cérémonie ironique à la fin de l’année.  

Suis je sérieux? Est ce qu’on peut être sérieux et drôle à la fois? Je ne sais pas. Je crois que non. Je préfère ne pas être sérieux. Je l’ai été tellement longtemps quand je devais préparer le dîner pour moi et ma mère, quand j’ai du dire au revoir à son corps sans vie dans son cercueil. Je l’ai été quand ma grand mère, ma tante puis mon autre tante se sont jeté la balle quand il fallait s’occuper de moi. Je l’ai été quand j’ai intégré le système et que j’ai changé de foyer d'accueil 3 fois en 2 ans. Je l’ai été pour 10 quand les Gallaghers m’ont accueilli et m’ont adopté. Attends! étais je sérieux , angoissé ou apathique en ce temps la? Je me rappelle (parce que ça ne fait pas assez longtemps pour que je l’oublie) que j’attendais le jour ou on allait encore se débarrasser de moi, m’envoyer autre part. A ce point de ma vie, j’avais pris l’habitude de toujours avoir mes affaires dans un seul sac, n’ayant pas besoin de plus. J’ai encore cette manie de ne pas déballer ma valise pour plusieurs semaines après mes voyages.  

Suis je heureux? huh. Y a t il un bouton “je ne sais pas” quelque part? Comment puis je ne pas être heureux voyons! J’ai 3 frères et 3 soeurs, des parents, une maison, un dressing plus grand que ma chambre d’enfant, une éducation, de l’argent. Alors hum… Je vais répondre oui…
Juste parce qu’il n y a pas de bouton je ne sais pas.
 
C’était la dernière question du quizz. Une nouvelle page s’ouvre et le titre “Qui suis je?” apparaît sur le même fond vert, et me demande d’attendre quelques secondes que mes informations soient décodé.

Qui suis je? Est ce qu’ils vont le savoir en traitant des réponses aussi impersonnelle et arbitraires à des questions aussi désuètes de sens ? Ils ne m’ont pas demandé si j'étais blessé. Si d’être ballotté de foyer à un autre n’avait pas laissé de séquelles. Ils ne m’ont pas demandé si ma mère me manquait. Si sa mort d’une crise cardiaque à 30 ans ne m’avait pas marqué à vie. Ai je passé la question ou ils me demandaient si je me sentais intégré à une famille elle même recomposé ? Si je sentais encore qu’on pouvait m’abandonner et m’envoyer vers un autre foyer? Si l’impression d’être un outsider s’était estompé après 6 ans? Si j’étais aussi proche de mes “frères” et “soeurs” qu’eux même l’étaient entre eux?
J’imagine que ça n’entre pas dans leurs algorithme servant à trouver que je suis un : Husky sibérien …
Ah cute.