Maxime & Oswald

I might just kill him and be done with it.

Plus de vingt minutes qu’il s’échauffait seul. Vingt minutes de son temps qu’il perdait parce que l’abruti d’acteur qu’on lui avait imposé n’était pas fichu d’arriver à l’heure. S’il adorait transmettre son savoir à la plupart des étudiants, Maxime n’appréciait que très peu les acteurs qu’il recevait parfois, ou plutôt qu’on lui imposait, dont il était obligé de s’occuper pour leur apprendre en un temps tout à fait farfelu des mouvements qu’ils ne maîtriseraient jamais puisqu’ils ne s’entraînaient de toute façon pas assez. Il n’était déjà réellement pas fan de ce genre de cours, mais cet Oswald-il-ne-savait-trop-quoi dépassait carrément les bornes en étant en plus en retard. Ils n’avaient que trois heures ensemble aujourd’hui, puis ce serait le cas deux fois par semaine jusqu’au début du tournage du film, et ce n’était absolument pas assez. Franchement, demander à un acteur d’incarner un danseur classique sans jamais avoir pratiqué, c’était absolument n’importe quoi. À quoi pensaient ces imbéciles de réalisateurs ? C’était complètement idiot, aberrant. Lui on ne lui demandait pas de débarquer sur un plateau de tournage ? Non ? Eh bien voilà, c’était la même chose ! Stupide. Puisqu’il devait de toute façon attendre, il avait décidé de commencer à s’échauffer, mais le temps s’était écoulé sans que l’autre n’arrive et il était à présent plus qu’échauffé. Il se mit donc à répéter quelques pas, avant de finalement lancer la musique du rôle qu’il jouerait bientôt sur scène à New-York, qu’il devait apprendre seul, à son rythme, sans risquer la blessure. Il avait levé les yeux au ciel quand on lui avait explicité les conditions pour l’obtention de ce rôle. Il ne se forçait jamais, savait trouver la limite de son corps mieux que quiconque et ça l’agaçait largement qu’on le prenne pour un petit garçon irresponsable. Et puis il était loin d’être idiot, il avait conscience des enjeux financiers que tout ceci représentait. S’il se blessait, maintenant qu’il avait été annoncé, c’étaient des centaines d’affiches à réimprimer, les programmes, mais aussi des costumes à modifier pour aller à un remplaçant, des répétitions à refaire pour s’adapter à une autre morphologie, des heures et des heures de travail jetées à la poubelle, et des milliers de dollars à investir à nouveau. Il dansait professionnellement depuis plus de vingt ans, il avait conscience de tout cela. Si le ballet voulait le mettre à la porte parce qu’il était trop vieux, ils devraient s’y prendre plus frontalement, parce que rien ne l’empêcherait d’auditionner pour les rôles titres et il savait parfaitement qu’il serait pris. Il eut le temps de répéter une scène toute entière – soit une nouvelle vingtaine de minutes, avant que son regard n’en croise un autre dans l’un des immenses miroirs de la salle de danse. La musique était arrivée à sa fin et il n’eut pas besoin de l’éteindre. Il se retourna simplement et fixa le nouveau venu sans cacher son agacement.

« Maxime de Faucigny. Bienvenue au Complex. Vous êtes en retard et cela ne doit plus jamais se produire. »

Il le regarda alors des pieds à la tête et leva les yeux au ciel en constatant qu’il n’était même pas en tenue.

« Vous ne pouvez pas danser dans ce genre de vêtements. Il y a un vestiaire privé au bout du couloir, les élèves n’ont de toute façon pas accès à cet étage. Allez vous changer. Si vous n’avez pas de justaucorps ou de collants, demandez-en à l’accueil. Et dépêchez-vous, on n’a pas que ça à faire. »

Bras croisés, il lança un regard sévère à l’acteur, lui faisant bien comprendre qu’il ne pourrait pas agir avec lui comme il le faisait probablement sur les plateaux de cinéma ou auprès de ses fans. Il était ici pour apprendre et il apprendrait. Le reste n’avait pas sa place dans les cours de Maxime.

I might just kill him and be done with it

Maxime & Oswald

I might just kill him and be done with it.

Il était désolé ? Eh bien super, ça lui faisait une belle jambe à Maxime, tiens. Il se fichait pas mal de ses excuses. Tout ce qu’il voulait, c’était travailler, puis rentrer chez lui. Il avait envie de se faire un bon thé, d’ouvrir un livre et de passer une soirée tranquille, seul. Ses soirées se ressemblaient toutes, mais il aimait ce quotidien routinier. Il aimait le calme, le fait de ne pas avoir à penser trop longuement à ce qu’il voulait faire. Alors en guise de réponse à cette réplique, il se contenta d’ordonner à l’autre homme d’aller se changer. Plus vite il le ferait, plus vite il constaterait que le classique ne s’apprenait pas en trois heures et plus vite il demanderait une doublure. Il en serait ainsi débarrassé et pourrait s’occuper de gens qui étaient – eux – à l’heure. Il détestait la perte de temps et ça, c’en était très visiblement une. Lorsqu’il revint enfin, en tenue cette fois, le français ne lui retourna pas son sourire. Ils n’avaient pas le temps pour ça. Il écouta patiemment son petit laïus puis hocha la tête.

« Des miracles, je n’en sais rien. Mais je peux essayer de faire en sorte que vous ne vous ridiculisiez pas. »

Il n’avait réellement pas grand espoir quant à cette collaboration, mais il était payé pour donner ces cours, alors il le ferait.

« Nous allons commencer par quelques échauffements, avant de faire des exercices de souplesse, pour que je puisse voir avec quoi on travaille. »

Il se mit à faire quelques mouvement d’échauffement, ceux qu’il faisait toujours avec les débutants, puis donna des instructions claires et précises afin de tester la souplesse d’Oswald. Lorsqu’il fut satisfait – après avoir forcé un peu sur ses muscles pour le pousser vers ses limites – il lui demanda de se placer au milieu du studio et s’installa face à lui.

« Je vais vous montrer les cinq positions de danse classique. C’est la base pour n’importe quel danseur. Observez bien mon corps tout entier, chaque détail compte. La position des pieds, celle du buste, celle de la tête, celle des épaules, celle des mains, celle des doigts. C’est un ensemble. »

Il laissa planer un instant de silence pour être certain que son élève du jour avait bien compris, puis se mit en première position, l’énonçant à voix haute. Il passa ensuite en deuxième, puis les enchaîna jusqu’à la cinquième, y restant à chaque fois assez longtemps pour qu’Oswald puisse bien observer. Il revint enfin en première et posa son regard sur l’autre homme.

« C’est à vous. Essayez de prendre exactement la même position que moi. »

Il abandonna sa posture et s’avança pour corriger celle de l’acteur, soupirant face à tout le travail qui s’annonçait. Il se tenait à peine droit et voilà qu’on voulait lui faire faire de la danse classique. C’était d’un ridicule ! C’était bien un scénario de film, tiens, de vouloir faire croire qu’il était possible pour un adulte de se mettre à la danse sans problème. Abrutis de scénaristes d’Hollywood.

« Très bien. Et maintenant essayez de le faire réellement et pas de prétendre que vous essayez. »

I might just kill him and be done with it

Maxime & Oswald

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Maxime leva les yeux au ciel. Si ça lui arrivait souvent ? Bien plus qu’il ne l’aurait voulu. Il fallait faire tourner le Complex et cela passait par le fait de le faire connaître encore plus, garder une bonne réputation et participer à tous les projets possibles. Puisque son nom était connu dans le milieu, c’était à lui qu’on faisait appel le plus souvent, et il se retrouvait à devoir se coltiner des abrutis dans le genre de cet acteur, qui ne comprenaient rien à rien et ne faisaient jamais le moindre effort. Ce que ça pouvait l’agacer... Il ne pouvait pas réellement dire à quel point toute cette situation l’énervait, sous peine de faire perdre le contrat au studio, mais son regard en disait très long. Il fit claquer sa langue contre son palais et se contenta pour seule réponse de corriger la position de l’acteur. Ils continuèrent ainsi durant un long moment le français désespérant un peu plus à chaque seconde écoulée. Il n’avait pas envie d’abandonner tout de suite, il espérait encore pouvoir tenter de faire quelque chose avec suffisamment de travail, mais l’autre n’avait pas l’air décidé à y mettre du sien et il savait pertinemment qu’il ne pourrait pas tout faire tout seul. Alors qu’il commençait réellement à s’agacer, Oswald demanda une pause. Si sa première réaction fut de lui lancer un regard noir, il accepta finalement. Ce type était vraiment un immense flemmard, il n’y avait pas à dire. Mais si ça pouvait lui permettre d’aller prendre un café et éviter de se retrouver à lui hurler dessus... Pourquoi pas. Les deux hommes partirent chacun de leur côté et Maxime se précipita presque vers la machine à café, soupirant de bonheur en prenant la première gorgée de sa boisson. C’était très loin d’être le meilleur, mais c’était déjà ça de pris. Alors qu’il retournait vers le studio, il aperçut l’acteur dehors, en train de fumer. Il leva les yeux au ciel et secoua la tête. Pourquoi est-ce que ça ne l’étonnait pas ? Il termina son café et se remit aussitôt à faire quelques exercices en attendant le retour d’Oswald, qui ne tarda pas.

« Vous devriez arrêter de fumer. Au moins pour ce rôle. Vous avez besoin de souffle pour danser et ce genre de chose ne vous aide pas. »

Est-ce qu’il le jugeait ? Oui, absolument. En même temps, il y avait de quoi. C’était un incapable, feignant, retardataire et il empoisonnait son corps de sa propre volonté. N’importe quoi.

« Écoutez, je n’ai pas de temps à perdre. J’imagine que pour quelqu’un dans votre genre tout ceci n’est qu’une vaste plaisanterie et que la danse n’est rien de plus qu’une blague, mais c’est un sujet très sérieux qui demande investissement et travail. Si vous n’êtes pas prêt pour ça, ce n’est pas la peine. Soit vous vous y mettez sérieusement, soit je vais retrouver d’autres élèves qui feront meilleure usage de mes conseils et de mon enseignement. »

Autant dire les choses immédiatement et voir ensuite comment les choses pouvaient évoluer. S’il y avait une suite, Maxime voulait que les choses soient claires. Il détestait perdre son temps et ne prenait jamais de pincettes lorsqu’il sentait qu’un élève n’avait pas le niveau ou la volonté pour suivre ses cours. Acteur connu ou non, cela ne changeait rien.

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Maxime & Oswald

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Il aurait probablement dû être heureux d’entendre l’acteur lui dire qu’il avait raison, mais la seule réaction de Maxime fut un court hochement de tête. Il savait qu’il avait raison, pas besoin de lui dire. Quant au fait qu’Oswald arrêterait de fumer ? Rien n’était moins sûr, plutôt l’inverse. Une bonne excuse... Bien sûr. Plutôt une bonne excuse pour raconter n’importe quoi et se mentir à lui-même. M’enfin, ce n’était pas son problème. S’il voulait se ruiner la santé et mourir jeune, il était sur le parfait chemin. Quoiqu’il n’était pas si jeune que ça... La suite le surprit en revanche un peu et il haussa un sourcil en le voyant retourner face au miroir. Envie d’apprendre ? Encore une fois, le français émettait de sérieux doutes. Avait-il réellement envie d’apprendre ? Ou simplement envie de ne pas perdre ce rôle ? Lui ne s’intéressait que très peu au cinéma et n’avait donc aucune idée du succès – ou non – de l’autre. Peut-être était-ce un acteur complètement tombé en désuétude qui cherchait à se faire à nouveau une place sur le devant de la scène ? Il n’en savait rien et n’avait à dire vrai pas très envie de le découvrir. Tout ça l’intéressait bien peu.

« Si vous le dites. »

De toutes les façons, il était obligé contractuellement de rester jusqu’à ce que la production cesse de payer le studio. Au rythme où les choses allaient, probablement d’ici trois jours, quand Oswald se rendrait compte qu’il était incapable du moindre pas de danse. Long soupir en le voyant prendre à nouveau position et le faire complètement à l’envers. Maxime leva les yeux au ciel et s’approcha, tapotant le bras pour le faire se lever, les abdos pour les faire se tendre, les mains pour qu’elles s’aplatissent... Il agissait avec l’acteur comme il aurait agi avec les élèves les plus jeunes d’une école de quartier. Obligé de rendre les indications physiques pour qu’il puisse comprendre ce qu’on lui racontait. Avec les débutants, impossible d’utiliser le vocabulaire habituel, de s’attendre à ce que les bases soient déjà acquises... C’était un travail de titan. D’où le fait qu’il ne veuille pas travailler avec ceux du studio. Ceux qui avaient le niveau pour ses classes étaient triés sur le volet, puis il effectuait lui-même une sélection. Il ne formait que les plus prometteurs, ceux qui en voulaient vraiment, qui étaient capables de tout sacrifier pour la danse, tout comme lui l’avait été. Cette fois, cependant, Oswald suivit les conseils avec application, essaya réellement de faire quelque chose de ce caramel mou qu’était son corps. Après deux bonnes heures, il était à peu près capable d’effectuer les cinq positions et arrivait à en enchaîner une ou deux. C’était plutôt un bon début, mais Maxime ne montra pas le moindre signe de contentement.

« C’est terminé pour aujourd’hui. Revenez dans deux jours. À l’heure, cette fois. Pratiquez de votre côté, vous n’aurez jamais le temps d’apprendre tout ce que vous avez à apprendre d’ici le début du film au rythme où les cours ont été prévus. Vous voulez faire des efforts ? Prenez tout ça au sérieux, ne me faites pas perdre mon temps. »

Pas que le temps soit une question d’argent selon lui. Mais à choisir, il préférait l’utiliser avec des élèves qui en valaient la peine plutôt que de le dépenser inutilement avec ce genre d’individu. Sans plus se préoccuper de l’acteur, il se dirigea vers son téléphone. L’heure du déjeuner était largement dépassée, tant pis. Il lança à nouveau la musique de l’un de ses solos puis se pencha vers son sac pour en sortir une boisson protéinée qu’il ouvrit rapidement pour en prendre une gorgée. Lorsqu’il se tourna à nouveau vers l’intérieur du studio, il remarqua que l’autre homme était toujours là, et fronça les sourcils.

« Vous pouvez garder la tenue. Mais je vous conseille d’aller acheter quelque chose qui vous ira mieux, ce n’est pas tout à fait la bonne taille. Et trouvez-vous des chaussons, aussi. Au revoir. »

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