« Allez Lou magne-toi ! On va arriver à la bourre ! », se met à râler son cousin à l'autre bout du salon tandis que le concerné termine d'enfiler à la hâte son pantalon en feutre foncé. « Une minute j'ai presque fini ! », lui répond-il en s'égosillant presque, tout en en rangeant grossièrement sa chemise dans son bas. « T'as dit ça il y a dix minutes déjà, bouge ! ». Partiellement agacé, Louis lève les yeux au ciel avant de jeter un coup d'oeil dans le miroir de la salle de bains. Les répétitions à l'orchestre avaient duré plus longtemps que prévu et il avait du courir pour rentrer à l'appartement afin de se changer au plus vite. Etant un petit nouveau malgré les presque un an de vie dans les parages désormais, Louis n'avait pas toujours l'occasion avec son travail de faire la fête et de rencontrer des gens de son âge alors quand on l'invitait à ce genre d’événement, même si c'était par le biais de son cousin, il sautait sur l'occasion. Il avait beau avoir décroché le job de ses rêves, ses amis français lui manquaient terriblement. Se vider l'esprit et faire de nouvelles rencontres étaient donc devenus indispensables pour lui. Passant la main dans sa chevelure corbeau hirsute, le jeune homme se recoiffe à la va-vite, se jugeant prêt à partir. Un dernier check pour ses clefs et son téléphone et en avant pour s'amuser.

Située dans le centre ville, il ne leurs faut guère de temps pour y arriver. Grande maison logée au fond d'un quartier résidentiel, on ne peut se tromper sur la destination, tant la fête semble déjà battre son plein. A peine entré que la musique résonne déjà aux oreilles du garçon et rapidement il serre la main de plusieurs personnes dont l'hôte des lieux tout en faisant la discussion. On lui propose une bière qu'il saisit, sans doute la seule de la soirée car il a de nouvelles répétitions demain mais aussi et surtout car il sait que l'alcool et ses problèmes de santé ne font pas bon ménage. Une inquiétude qu'il balaye aussitôt d'un battement de cils, bien décidé à profiter des heures à venir. Délaissant son +1 de fortune déjà bien entouré, Louis décide de faire la visite de la bâtisse, flânant de ci et là par-delà les pièces. Il y a beaucoup de monde et parfois il est difficile d'accéder à certains endroits. Alors l'expatrié se faufile, se glisse entre les invités sans faire totalement attention puisqu'il percute finalement quelqu'un de plein fouet. « Et Merde ! », lâche-t-il par réflexe  à lui-même dans sa la langue natale avant de lever les yeux vers la personne qu'il vient de bousculer. Ses iris bleutées se bloquent sur le visage de l'inconnu et l'espace de quelques secondes le temps s'arrête, un arrêt soudain des plus perturbants. « Désolé, je ne t'avais pas vu », répond finalement Louis en reprenant ses esprits et ce dans un anglais normal. Un petit sourire étrange se fixe sur ses lippes. L'étranger est plutôt mignon, voir carrément canon. Mais plus il le dévisage plus ses traits chatouillent sa mémoire sans qu'il n'arrive à mettre la main sur se souvenir. Il cherche, mouline, tout ça en une fraction de seconde. Et alors qu'ils sont toujours à quelques centimètres l'un de l'autre de part la foule environnante, Lou percute. Du moins il le pense. « Je sais, c'est nul comme approche mais.. tu ressembles énormément à un mec qui était à la fac avec moi à Paris », lâcha-t-il en plaisantant, se disant sans doute que son esprit est en train de lui jouer des tours.

S'il avait bu davantage, nul doute qu'il aurait douté de ses souvenirs, pensant que sa mémoire lui jouait des tours mais il n'en était rien. Louis était bien trop sage pour ça, bien trop raisonnable et ce d'autant plus depuis qu'il avait obtenu ce travail de passion dans cette ville. Un job pour lequel il était prêt à bien des sacrifices. Serrant sa bière dans sa main, ses iris lapis lazuli toujours posées sur le visage du percuté, il se doute que ses premières paroles passent pour un plan de drague à deux balles que lui-même n'aurait jamais tenté en temps normal. Une approche bateau qui pourtant semble porter ses fruits alors que le beau brun sourit à son tour. Il confirme ses soupçons. Il n'est pas fou ou dragueur lourdingue. Son esprit avait bien été marqué par ces traits fins et délicats. Une coïncidence dingue qui gaillardise davantage le violoniste tandis que ses lèvres rosées s'ourle d'un rictus sincère. « Mais non ? C'est toi ? C'est juste fou sérieux. La probabilité qu'on se recroise ici est si petite, j'en reviens pas ! », s'enquit-il de répondre d'un air enjoué. Autour d'eux un brouhaha constant les encercle, la musique résonnant aux tympans du garçon avec une telle intensité qu'il se sent obligé de hausser la voix pour se faire attendre. « Comment ça se fait que t'es là ? », reprend-t-il sans le lâcher du regard. Une telle possibilité semble si hasardeuse qu'il peine à croire que son interlocuteur est bel et bien ici. Quelle chance pouvait-t-il y avoir après tout ? Surtout que plus il l'observait, plus il se souvenait de l'avoir maté à de nombreuses reprises au détour d'un couloir ou du réfectoire. Passant ses doigts dans sa chevelure pour ranger une mèche rebelle, Louis sent un élan délicieux de nostalgie lui embaumer le cœur. « Au fait, on a jamais eu l'occasion de se présenter il me semble. Moi c'est Louis, Louis Delvaux ». Main tendue à son encontre, il en oublie presque la cacophonie environnante avant de finalement être bousculé à son tour. L'emplacement choisie pour leurs retrouvailles n'est guère le plus adéquate au vu des mouvements de la foule et très vite les deux français se retrouvent acculés contre un mur. Une petite moue amusée s'affiche aux commissures des lèvres de Lou. « Je crois qu'on gêne », souffle-t-il à l'oreille de son compagnon de fortune. « Ou alors c'est de la jalousie, qui sait... ». Un petit rire cristallin s'extirpe de sa gorge, un air mutin imprégnant l'expression de son visage. « ça te dit qu'on s'éloigne un peu des basses ? Je m'entends à peine penser par ici ».

Louis n'en revenait clairement pas. C'était juste fou d'imaginer pareille probabilité. Certes Paris et Los Angeles était deux gigantesques métropoles et les possibilités de croiser quelqu'un de l'une de ces deux villes étaient sans doute plus aisées que de venant de patelins inconnus, mais tout de même. Plus l'expatrié observait son compatriote, plus il peinait à croire une telle chose. Sourire aux lèvres, transporté par cette nostalgie soudaine, il ne pouvait s'empêcher de déblatérer. « Professeur ? C'est super ça ! Tu m'étonnes que tu aies sauté sur l'occasion. Ce genre de proposition est plus que tentante ! », répond-il plein d'enthousiasme avant de prendre une petite gorgée de la bière qu'il tient toujours à la main. « Pour ma part j'ai participé à un concours organisé par le Grand Conservatoire de Paris et de fil en aiguille j'ai reçu une offre d'emploi en provenance de LA. Je n'ai pas hésité longtemps avant de me décider et me voilà depuis près d'un an violoniste pour l'orchestre philharmonique de la ville », poursuit-il fièrement.

Les jeux de lumières dansent en ombres multicolores et indécises sur le visage de son interlocuteur tandis que celui-ci semble tout aussi enjoué à l'idée de telles retrouvailles. Si Louis pensait passer une bonne soirée à la base, il n'en imaginait pas autant. Perdu dans ce brouhaha de langue anglaise aux accents variés, la sensation de pouvoir parler pleinement français lui ravive le cœur. Une douce mélodie pour ses oreilles trop longtemps éloignées du vieux continent. « Le plaisir est partagé Thomas ! », continue-t-il en lui serrant la main, heureux de pouvoir enfin mettre un nom sur ce si joli visage. Il ne se souvenait que trop bien à l'époque de l'avoir plusieurs fois observé à la fac sans en savoir davantage sur lui, se contenant simplement de regards furtifs à son encontre. Et puis il était bien trop occupé à ce moment là à convaincre son père de le laisser partir dans la voie de sa passion celle de la musique. Pour autant le plaisir de poser de nouveau ses yeux sur lui aujourd'hui était bel et bien présent. De même que de se retrouver corps contre corps lorsque, par mégarde, un autre invité se mit à le bousculer dans son passage, l'obligeant à se coller contre lui. Nullement gêné, bien au contraire, Louis éclate alors d'un petit rire cristallin en tapotant le torse de son compatriote. « Bonne question.. », laisse-t-il échapper à l'interrogation de Thomas. Lui aussi n'était qu'un invité au milieu de cette soirée, les lieux lui étant alors totalement inconnus ou presque. Il se tait l'espace d'un instant, réfléchissant aux divers choix qui se matérialisent devant lui. Soudain, son regard se porte de l'autre côté de la pièce, vers un petit balcon où personne à première vue ne semble s'être posé. « J'ai peut-être une idée, suis-moi », l'encourage-t-il en lui attrapant la main sans lui laisser réellement le choix. S'engouffrant dans la foule dansante et tonitruante, Louis guide Thomas vers leur point de chute. Les deux français se glissent ainsi entre les autochtones, le premier s'excusant parfois ou forçant le passage pour mieux y arriver. Une fois à destination, le violoniste prend une grand bouffée d'air frais, savourant sa victoire. « Eh bien, c'était toute une expédition pour y parvenir ! Mais au moins on s'entend parler désormais ». Une vérité grandement amplifiée au vu du fait que personne autre qu'eux se trouvaient sur ce balcon. S'approchant de la rembarre, Louis s'adosse à cette dernière avant de laisser ses yeux lapis lazuli retrouver le faciès de Thomas. « ça fait longtemps que t'as débarqué ici ? La vie parisienne ne te manque pas trop ? ». Il porte sa bière à ses lèvres pour mieux reprendre. « Je crois que ce qui me manque le plus ici c'est la bouffe. LA c'est cool mais la cuisine française... mamamia.. j'en bave rien que d'y penser. Je tuerai rien que pour une bonne baguette, c'est pour dire! ».