Nerveuse, porte de mon bureau fermée pour plus d’intimité et de tranquillité, j’attrape mon portable plus angoissée que jamais. Sans prêter attention aux sms reçus ou aux mails, je vais directement dans mon journal de mes derniers appels pour trouver le prénom de mon meilleur ami. Une seconde d’hésitation puis quelques-unes de plus et je parviens enfin à appuyer dessus. Portable à l’oreille, je mordille nerveusement ma lèvre tandis que les deux premières tonalités retentissent. A la troisième j’entends sa voix basse et légèrement endormie. « Tu t’es vraiment endormi alors ? » Question stupide, cela dit la situation est tellement inédite entre nous que j’ignore de quelle façon démarrer le sujet.
Après la randonnée qu’on a faite, je suis lessivé. J’ai surtout envie d’aller rejoindre Tessa dans notre lit, mais j’ai promis d’être encore éveillé pour un appel. Elle me manque. J’ai beau fait abstraction du temps et des problèmes, s’il n’y a que ma femme et moi – putain, oui ma femme ! – Le simple fait qu’on se soit quitté sans un mot avec Emma, ne me plait guère. Je reste éveillé, sur la terrasse, prenant l’air frais de la soirée alors que la journée on crève de chaud. Allongé sur le hamac, mon téléphone a fini par sonner et je décroche avant que la sonnerie ne réveille Tessa : « Non, je t’attendais. Mais je n’étais pas loin » dis-je en passant une main sur mon visage. Je laisse un silence un peu gênant sans savoir quoi dire, avant de capituler : « Je ne t’en veux pas, tu sais. »
C'est une première : je n'ai pas la moindre idée de ce que je peux dire à mon meilleur amie. D'habitude que je suis un moulin à paroles, j'ai toujours une anecdote à lui donner, comme depuis que nous sommes gamins. Là, je l'accueille timidement et laisse assez vite le silence - très gênant - prendre place entre nous. Tommy est le premier à trouver le courage de le briser et malgré l'endroit où je me trouve, je sens des larmes venir picoter mes yeux. « Toi peut-être pas, mais je m'en veux bien assez pour deux. » Admis-je en raclant ma gorge. « J'ai jamais voulu ce qu'il s'est passé, surtout pas risquer ton mariage. Tu sais que je veux que ton bonheur, Tommy, mais je sais que ça n'excuse pas ce que j'ai dit. » Même avoir trop bu ne suffit pas à pardonner ma connerie.
J'ai le coeur serré en l'entendant parler qu'elle s'en veut assez pour deux. C'est ce que je pensais, en apprenant qu'elle était partie rapidement juste après le mariage. « Je sais que t'avais jamais voulu ça, Em'...T'avais juste trop bu. » On avait tous été témoin, et ça aurait pu ne rien déclencher, si Tessa n'avait pas tilter. Au fond, les probabilités étaient quand même très infimes. Je soupire, avant d'ajouter: « J'aurai pas dû demander de mentir, c'est aussi ma faute. Tessa devait le savoir, et j'ai pas pris ça en compte. Je savais déjà à l'avance quelle crise elle allait me faire... » Je regarde les étoiles très claires dans le ciel, et ajoute: « Mais, je ne t'en veux toujours pas. Je sais que tu ne veux que mon bonheur, mais dans mon bonheur, je ne t'imagines pas loin de moi. Tessa en a conscience. T'es comme une soeur, sweety. »
« Ça excuse pas tout, t'avais confiance en moi et je t'ai trahi. » Alors même que j'avais fait la promesse de ne jamais le faire. J'ai toujours été une personne loyale, c'est un fait donc je suis fière depuis des années, mais concernant mon meilleur ami j'ai lamentablement échoué. « Tu voulais la préserver, t'as toujours été comme ça, à protéger les autres. Qu'elle ait dû le savoir ou non, tu voulais seulement la protéger. » Je n'ai pas envie qu'il se sente fautif plus que ça ne doit déjà être le cas. C'est vrai, tout est rentré dans l'ordre ensuite, il n'empêche qu'il a dû avoir peur de voir son monde s'effondrer. « Je t'aurais laissé le temps dont tu aurais eu besoin même si ça tourne pas rond sans toi. Je t'aime, tu le sais Tommy ? Comme un frère, mais je t'aime quand même. »
« T'as trahi un mauvais jugement de ma part, et c'est pas plus mal. » Maintenant que la vérité est dévoilée, c'est nettement plus simple. D'accord, ça a des conséquences...qu'on va devoir accepter avec le temps, mais c'est pas un soucis. « Je voulais la protéger, oui. Mais, j'ai fais tout le contraire. Donc, j'en suis le fautif, tu n'y es vraiment pour rien. Alors, arrêtes donc de t'en vouloir, d'accord ? » Je repense soudainement à notre devise : « Le monde entier, contre nous ? » J'ose lui demander pour voir si elle accepte la main que je lui tends. C'est pour moi, bien plus que de lui dire que je l'aime, comme une soeur. Par contre, une chose persiste à m'inquiéter. Quelque chose qui revient à la charge comme un vieux démon. Un démon que je pensais définitivement rayé : « Par contre... ça fait longtemps que tu rebois comme ça, Emma ? »
« D'accord. » C'est timide, seulement c'est mieux que rien ou mieux que de le contredire. Je continues de porter ma culpabilité en repensant à la réaction de sa femme, à sa réaction à lui, mais peut-être que le temps va m'aider ... Et sa présence perpétuelle dans ma vie aussi, ce qu'il veut me prouver avec ces quelques mots qui me donnent d'autant plus les larmes aux yeux - même si je les ravale. « C'est toi et moi contre le monde. » Je confirme en agitant la tête bien qu'il ne puisse pas le voir. Quant à la question qui suit, je l'attendais, je m'y suis préparée. « Un mois environ ... J'ai eu du mal à tout gérer dernièrement. »
Je souris en l'entendant accepter notre devise, même si je sens à travers le téléphone que sa voix tremble un peu. J'aurai aimé pouvoir être là, et l'enlacer pour lui donner du courage, pour lui montrer que je ne lui en veux pas, vraiment. « Ce sera toujours toi et moi. Même si je suis marié et que ma famille est sur le point de s'agrandir. » Je souris malgré moi. Le ventre de Tessa commence doucement à se développer. Beaucoup plus plat que d'habitude, on voit la petite rondeur se dessiner, une rondeur que j'aime caresser maintenant chaque matin. Cela dit, la réponse à ma question suffit à m'enlever ce sourire et me fait soupirer « Emma...Pourquoi tu ne m'en a pas parlé ? Je veux pas que tu retombes dans cette mauvaise période, tu sais ce que l'alcool te fait, et c'est pas bon. Pense à Lily ! » Je la sermonne, parce que ça m'énerve déjà de la voir s'auto-détruire pour une raison inconnue. « Pourquoi tu fais ça ? Me dit pas que c'est juste un tout, y'a une raison, on le sait tous les deux. »
Je ne peux pas mentir : je suis rassurée de l'entendre me le dire. La peur de l'abandon, nous connaissons ça tous les deux et puisque mes proches semblent avancer dans leur vie alors que je stagne, cette peur est revenue me bouffer. « Je sais. » Je me contente de répondre parce que la question suivante va amener une discussion encore plus difficile pour moi. Tommy n'est pas dupe, il ne l'a jamais été avec moi et je soupire. « Tommy, t'avais largement assez à gérer ces derniers temps, je pensais pouvoir m'en sortir toute seule. Je pense à elle, mais je suis loin d'être forte tu sais ... » Je bougonne un peu contre moi-même. Admettre que je suis faible ça ne me fait pas plaisir. « Pourtant c'est pas loin de la vérité ! Au boulot c'est pas la joie et, je sais pas ... J'ai eu aussi peur que tu m'abandonnes. Je sais que c'est pas le cas, seulement c'est un mécanisme que je contrôle pas. » Et il n'y est pour rien. « Je sais pas où j'en suis sur un plan personnel. Je me sens parfois seule et incapable de réaliser mes rêves. Je suis lassée ... »
« Arrêtes, j'avais beaucoup à gérer oui, mais je t'aurai jamais abandonner si t'avais besoin d'aides » Et elle le sait, mais ça me met hors de moi, parce qu'aveuglé par mes soucis, je n'ai pas fait attention que ses mauvaises manies ont repris. « Je croyais que ton boulot te plaisait, qu'est-ce qui se passe ? » Elle qui adore l'édition, dénicher des nouveaux talents, je ne saisis pas trop. « Eh... » Je sens bien qu'elle est au bout du bout, et ça ne me plait pas du tout. « T'as jamais été seule, Emma. T'as Lily, ta famille, moi... Et pour les hommes, je croyais que ça t'allait bien d'être libre ? » Difficile d'imaginer Emma en couple, mais peut-être qu'elle a changé d'avis.
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Lun 23 Mar - 12:25
