Cette conversation va tourner en rond. Quelques minutes suffisent pour voir que nous avons l'un comme l'autre un certain caractère qui nous amènera à ne pas lâcher. Hors de question que l'un plie l'échine devant l'autre. Capables de nous renvoyer les piques, c'est un jeu interminable qui va toutefois rapidement me prendre la tête. Si ce n'est pas déjà le cas. Elle comme moi avons été éduqués pour nous détester. Nos deux familles se haïssent depuis au moins trois générations et ce n'est pas prêt de s'arrêter. C'est idiot et ça part d'une concurrence, malgré ça je n'ai qu'à regarder Hanaé pour savoir qu'elle me voue une haine indescriptible. Est-ce mon cas ? Pas vraiment. Je me contente de riposter mais je trouve cette petite guerre ridicule sans avoir besoin de m'y mêler. Je fais ce qu'on me demande de faire et ça s'arrête là. « Et je vous aurai presque demandé de m’expliquer Falcone, mais à vrai dire, je m’en contre-fou. » Sa réplique me fait rire plus que je ne le voudrais. Mon verre porté à mes lèvres, je secoue la tête avant d'en boire une gorgée pour faire passer la réplique cinglante à laquelle j'ai immédiatement pensé. « Même si vous me l'aviez demandé, je n'aurais pas pris la peine de le faire. » Elle n'est personne pour moi et, de fait, ne mérite pas que je lui explique quoi que ce soit. Sans respect de sa part, je ne vois pas pourquoi moi je devrais lui en faire preuve. Une preuve de plus que cette conversation ne mènera strictement à rien. « Je n’ai jamais demandé une justification de votre part, vous savez. Vous avez l’âge de faire ce que vous voulez. Avec qui vous voulez. », « Vraiment ? Étant donné vos attaques incessantes depuis quelques minutes c'est à se demander si vous le pensez réellement. » Clairement, elle se mêle de ce qui ne la regarde pas depuis le début de cette soirée, depuis que nous nous sommes installés à notre table. Lequel de nous deux est le mieux élevé ? Pour une fois je n'aurais aucun remord à lever la main. Connard, peut-être, mais au moins je ne lui manque pas de respect, ce qu'elle ne cesse de faire. A croire que sa famille l'a merveilleusement bien endoctriné. « Oh, je n’ai jamais été blanche, Monsieur Falcone. J’assume très bien qui je suis. » Grand bien lui fasse ! « Bien, tant mieux pour vous ! » Je ne peux m'empêcher de rétorquer en lui offrant un sourire aussi hypocrite qu'elle l'est avec moi. « Maintenant, ça serait trop vous demander d'accepter l'idée que j'assume qui je suis et que je n'ai pas besoin de votre petit jugement ? » Elle peut jouer la miss-je-sais-tout si ça la chante, mais pas avec moi. Ce soir je ne suis pas là pour ça, ni pour la supporter. « N’en soyez pas si sûr, Falcone. Saviez-vous que je suis très amie avec son bras droit ? Je sais exactement les termes de vos contrats, et j’en sais assez pour pouvoir les contrer. Ne prenez jamais rien pour acquis, Falcone. C’est la base d’un contrat. » Nos regards se croisent, se défient. Elle ne lâchera pas le morceau et moi non plus. Ce qui veut dire que ce petit combat pour obtenir un contrat promet. Je pourrais baisser les bras, lui laisser le plaisir de signer avec un connard comme Pacino mais pas certain que mon paternel apprécie ma décision. « Et ? Sous prétexte que vous avez des amis bien placés je suis supposé vous craindre ? » De nouveau, je ris, parce que ses réactions m'amusent vraiment beaucoup. « Je doute sincèrement que vous sachiez quelles sont ces termes. Vous aimez prétendre être sûre de vous et capable d'avoir ce que bon vous semble, ça vous fera peut-être du bien de réaliser que ce n'est pas le cas. » Lançai-je en commençant à entamer mon plat comme si de rien n'était, comme si je n'étais pas en train de jouer le type prétentieux et donc en train de me mettre à son niveau. « Et qu'on soit parfaitement d'accord : je n'ai jamais rien pris pour acquis, jamais. » C'est l'une des rares choses que j'ai vite accepté dans l'éducation de mon père.

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« J’étais surprise de vous savoir seul à ce genre de soirée. Votre réputation vous précède simplement. » Evidemment qu’elle me précède, je ne fais rien pour la contredire et laver mon nom. Je n’ai pas que ça à faire, surtout auprès de personnes qui ne méritent pas que je m’intéresse à leur avis. Suis-je dur ? Sans doute un peu, mais Hanaé et moi avons été formés ainsi. J’ai beau trouver cette guerre entre nos familles ridicule, j’entre tout de même dans la confrontation avec la jeune femme. C’est tellement simple. Elle m’agace et elle ne m’aime pas, forcément se lancer des piques se fait avec une aisance déconcertante. Elle ouvre la bouche, je réplique et inversement. Notre soirée risque de se résumer à ça tout en nous battant habilement pour obtenir les faveurs d’un homme pour lequel je n’ai pas la moindre estime. Tony Pacino fait parti de ces types qui n’ont aucun scrupule pour obtenir ce qu’ils veulent. Il ment et il vole aussi facilement qu’il respire. Il a commencé gamin en faisant les poches de passants pour lui-même puis pour la branche mafieuse installée à Los Angeles. Il volait des informations et a fini par comprendre qu’il pouvait se faire pas mal d’argents en les vendant aux plus offrants. C’est de cette façon qu’il s’est fait, petit voleur puis atout au sein de la mafia italienne. Il a su gravir les échelons en écrasant n’importe qui sur son passage. Il a besoin que l’une de nos familles blanchisse son argent pour que personne ne remonte à son trafic de drogues, aux fraudes fiscales dans lesquelles il baigne ou encore la corruption. Un pourri jusqu’à la moelle. Je pourrais m’en moquer, après tout nous traitons avec la mafia et les gangs depuis des années, nos mains sont aussi sales qu’eux mais Pacino … certains de ses vices me donnent envie de vomir. Pourtant je me plie à la volonté de mon père qui garde précieusement les contacts que son père a su se faire avant lui. Souvent je me dis que s’il avait vécu à l’époque de la prohibition, il aurait fait parti de ces mafieux tenant un club illégal où l’alcool coulait à flot tout en faisant saigner les gens pour les laisser entrer. Alors une partie de moi voudrait laisser à Hanaé la "chance" de décrocher ce contrat à la con mais je ne peux pas baisser les bras de cette façon, quelle image ça renverrait de moi ? « Mon petit jugement est très bien là où il est. » Bien, si elle est décidée à être insupportable et à ne pas voir plus loin que le bout de son nez tant mieux pour elle. Je n’ai pas envie de me battre inutilement même si elle semble vouloir la confrontation. Je ne lui ferais pas cet honneur de toute manière. Je me contente donc de boire mon vin pour retenir mon soupir et éviter de lever les yeux au ciel. Il parait que l’ignorance est la meilleure des armes … Du moins, je l’ignore jusqu’à rire jaune et lui assurer qu’elle n’a pas autant de chance de signer ce contrat qu’elle l’imagine. Mon grand-père et celui de Pacino se connaissent depuis leur arrivée aux Etats-Unis et il me semble même qu’ils se connaissaient en Italie bien que je n’en mettrais pas ma main à couper. Ils ont une certaine loyauté et j’aime à croire que Pacino y porte une certaine importance. Mais là encore je pourrais me tromper, pourri comme il est. « Vous verrez, Falcone. Vous n’oublierez pas cette conversation. » Oh non, ça ne risque pas ! Je me souviendrai à quel point j’ai eu envie de partir de là et l’envoyer chier sans prendre de pincettes. Je n’en fais rien même si je m’apprête à répliquer au moment où mon téléphone se met à vibrer. Le sortant de ma poche et voyant le prénom de l’une de mes sœurs s’afficher, je fronce les sourcils et décroche. « Je suis occupé là … » Je grogne avant d’entendre les pleurs déchirants de Naël à l’autre bout. C’est suffisant à m’inquiéter et je le suis plus encore en entendant ma sœur me promettre qu’elle ne m’aurait pas appelé si elle ne s’inquiétait pas de la fièvre de mon fils. Etant médecin elle-même, ces quelques mots suffisent à me faire paniquer. « Calme-toi, je vais rentrer. Je serais là d’ici vingt minutes, attends-moi dehors. » Je donne mes directives alors que déjà je repousse ma chaise et me lève de table. Je me moque des regards des invités posés sur moi ou de celui d’Hanaé. Je me moque également de perdre ce contrat à la con, tout passe après la santé de Naël. Malgré ça je ne peux pas résister à l’envie de m’arrêter et de poser mon regard sur la brune. « La prochaine fois on pourra se battre équitablement, ce n’est que partie remise. » Elle va obtenir ce qu’elle veut mais elle ne l’aura pas eu de façon très fairplay étant obligé de me retirer du jeu. Elle ne se retient néanmoins pas pour m’offrir un sourire hypocrite avant de boire une gorgée dans son verre. Oh ça lui plait et si je me moque de ce qu’elle imagine quant à la raison à mon départ, j’aurais donné beaucoup pour lui sortir une réplique la remettant à sa place. Je préfère toutefois saluer Pacino d’un mouvement de la tête et partir presqu’en courant retrouver ma voiture et potentiellement rentrer chez moi pour emmener mon gamin aux urgences. Loin de la soirée que j’imaginais.

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