Il est réveillé ! Il.est.réveillé ! Je crois ne jamais avoir autant apprécier lire ces quelques mots de toute ma vie. Des jours que nous tournons tous en rond dans cet hôpital à faire des allers-retours entre sa chambre et chez nous. Des jours que j’ai un sommeil si léger que je ne cesse de me réveiller, parfois en panique, d’autres fois en larmes. Pourtant, je sais que je ne suis pas la plus à plaindre. Sa fiancée tire une telle tête d’enterrement que je m’en veux souvent de me sentir aussi mal. Qu’est-ce que ce doit être pour elle ? Elle a vu l’homme de sa vie se faire percuter si violemment qu’il ne s’en est pas relevé. Son cœur s’est arrêté et après plusieurs jours elle-même dans un lit d’hôpital, elle a passé ses journées au chevet de Tommy. Nous pouvons nous plaindre, mais notre panique n’est rien comparé à celle que Tessa a dû ressentir jusqu’à ce que son fiancé ouvre les yeux. Ça ne m’empêche pas de repousser mes dernières réunions pour rejoindre l’hôpital au plus vite après avoir reçu ce message libérateur. Il est réveillé et nous pouvons le voir. Vu l’heure à laquelle j’ai quitté les bureaux, je sais que je serais dans les derniers à le voir mais tant que cet abruti pose ses yeux sur moi, me prouve que je n’aurais plus à me réveiller paniquer en pleine nuit, tout me va. Le souffle un peu court à cause de ma grossesse plutôt bien avancée et de mon pas un peu pressé, je ne me présente même plus aux infirmières à l’entrée. Entre mes nombreuses visites et la monstrueuse crise que j’ai piqué le jour de son arrivée aux urgences, je sais qu’elles n’ont pas envie de m’avoir encore une fois sur le dos. Mes nerfs ont été mis à rude épreuve, accentuant les maux de ma grossesse qui pourtant ne m’ont pas inquiété plus que ça. Mais c’est fini ! Ce que je me répète encore une fois alors que j’ouvre la porte de sa chambre. Seul, toujours dans son lit, il semble encore dormir jusqu’à ce que sa tête se tourne dans ma direction et que ses yeux bleus ne se posent sur moi. Masque sur le visage pour l’aider à respirer, cette vision suffit à faire trembler mes jambes et à embuer mes yeux. Il me faut à peine quelques secondes pour pleurer à chaudes larmes une fois mes fesses tombées sur le fauteuil près de son lit. « Je n’ai jamais été aussi heureuse de voir ta sale gueule, Matthews. » Soufflé-je en essuyant mes larmes qui sont immédiatement remplacées par de nouvelles. J’abandonne vite l’idée d’essuyer mes joues pour attraper sa main que je serre doucement dans la mienne. Je pourrais lui dire tellement de choses, toutes celles auxquelles j’ai pensé depuis qu’il est là, mais rien ne me vient, je n’arrive qu’à pleurer et pleurer encore.

Pourquoi faut-il un événement aussi horrible pour réaliser qu’une personne n’est pas aussi surhumaine qu’on le pensait ? J’ai toujours su que Tommy n’était pas superman, que comme tout le monde il a ses limites, j’aurais préféré ne jamais avoir à les découvrir. Le voir couché et inconscient sur son lit d’hôpital m’a rendu malade. Impuissante, mon sommeil est devenu mauvais et ma santé s’est détériorée. Je ne le dois qu’à moi et à l’attachement que j’ai pour lui, un lien que je n’ai jamais su expliquer … pas même à mon petit ami. Trop habituée à ce que nous affrontions le monde tous les deux, savoir qu’il aurait pu m’abandonner, trahir cette promesse faite gamins, m’a rendu folle. Ça m’a fait perdre le contrôle. Mais désormais il est réveillé et, très franchement, c’est tout ce qui compte. Je peux bien pleurer toutes les larmes de mon corps, soulagée de le voir poser son regard sur moi, il est de retour parmi nous et c’est la meilleure nouvelle qui soit. « J’suis…désolé » S’excuse-t-il en retirant le masque qu’il remet aussitôt en place. C’est ce qui lui permet de guérir. Si ça ne tenait qu’à moi je l’empêcherais de parler, mais je connais trop bien son entêtement. « C’est pas comme si t’avais demandé à être ici. » Ironisé-je en tentant de lui offrir un sourire amusé malgré mes larmes. « Tu m’as fait peur mais le plus important c’est que t’arrête enfin de jouer la Belle au bois dormant. » Même si j’essaye d’être détendue, de le chercher comme à mon habitude, ma main qui serre la sienne trahie la véritable inquiétude qui m’a rongé. « Je veux pas que tu retires ce masque pour me parler, tu te sens capable de taper sur mon téléphone pour me répondre ? » Après tout, rester là à nous regarder dans le blanc des yeux n’a pas le moindre intérêt, alors si on peut trouver une autre façon de nous assurer que nous allons "bien" l’un et l’autre autant en profiter.

Ça me fait du bien de le voir enfin réveillé, d’avoir la confirmation que les médecins ne parlaient pas seulement pour éviter la panique chez ses proches. Ce sont des choses qui arrivent même si je ne comprendrais jamais ce choix. Je préfère largement la vérité aussi difficile soit-elle. Enfin, je ne peux pas assurer que je n’aurais pas viré folle en apprenant que mon meilleur ami, mon frère, ne reprendrait plus jamais connaissance. Une telle catastrophe n’arrivera pas et Tommy n’a pas idée à quel point le savoir me soulage. J’ai toutefois besoin d’un peu plus. Il faut que nous parvenions à communiquer pour que je rentre chez moi totalement sereine. Pas question qu’il parle vu à quel point ça le fatigue, mais utiliser mon téléphone me semble être une bonne idée. Soulagée qu’il accepte, je lui tends le mien et me penche pour lire son premier commentaire qui me fait doucement rire. « C’est entièrement de ta faute ça. » Je n’éprouve aucune honte à l’accuser, il me sait franche. La question qui suit me fait un peu grimacer. « Il va très bien, ne t’inquiète pas pour lui, il est fort. » C’est surtout sa mère qui a fatigué. Entre chute de tension et manque de sommeil, je n’ai pas été tendre avec moi-même, ce que Tommy n’a pas besoin de savoir. « Will a veillé sur nous. » Insisté-je en souriant plus sincèrement cette fois tandis qu’il tape sa question suivante. Mes sourcils se froncent la lisant. « Un peu oui. Mais elle était fatiguée et complètement abattue, je préférais la laisser se reposer autant que possible. » Tout le monde a vu que sans lui, sans son espèce d’aura, sa fiancée dépérissait. Personne ne pouvait rien faire contre malgré nos tentatives. « Pourquoi tu me demandes ça ? Y a quelque chose qui ne va pas ? Je veux dire en dehors de sa maladie … » Cette dernière a vite fait le tour de notre petit groupe et connaissant mon meilleur ami, je sais que ça l’a abattu. Savoir celle qu’il aime malade sans pouvoir la protéger, ça doit le torturer.

Même à travers son masque son sourire est contagieux. Je fais de mon mieux pour rester moi et prétendre ne pas avoir été complètement anéantie lorsque j’ai appris qu’il était à l’hôpital et dans le coma. Je ne veux pas que Tommy s’inquiète pour moi – ou pour le bébé – alors qu’il doit avant tout penser à se remettre de son accident. Alors je souris assez facilement en le voyant faire de même. Je m’inquiète seulement quand il est question de sa fiancée. Est-ce que nous serions passés à côté de quelque chose ? Je veux dire, elle était vraiment mal, mais je suppose qu’entre découvrir qu’on a une maladie cardiaque et voir son fiancé inconscient, ça n’aide pas à être en forme. Est-il possible qu’il y ait autre chose ? Puisque mon meilleur ami semble hésiter à écrire sa réponse, je suppose que oui et ça suffit à me faire angoisser. Quelle nouvelle bombe va-t-il lâcher ? Penchée en avant, je me retiens d’aller mettre mon nez sur l’écran du téléphone pour être sûre que je viens de lire ce que je viens de lire. Mon regard voyage du téléphone à Tommy dont l’expression me fait comprendre que je n’ai pas halluciné et que lui-même ne sait toujours pas comment prendre la nouvelle. « Ça explique ta tête d’enterrement. » Je tente d’apaiser les choses sans être certaine que ça fonctionne. « Si t’as l’impression que c’est la fin du monde, permets-moi de te contredire à défaut de pouvoir te frapper derrière la tête. » Je lui retire le téléphone des mains mais le pose sur lui. Ce geste me permet d’attraper sa main alors que je me rapproche. « Toi et moi, on devrait se mettre en tête que nos vies ne se passeront jamais comme on le prévoyait. » Débutai-je avec un petit sourire. « T’avais des idées plein la tête vous concernant, je te connais par cœur, je le sais et le bébé n’était pas prévu. Je trouve que c’est une très bonne chose, figure-toi. Je t’ai toujours dit que tu mérites le meilleur, Tom, j’ai pas changé d’avis. Tu mérites d’être heureux, d’avoir tout ce que tu veux. T’as la femme et maintenant tu vas avoir l’enfant. C’est pas comme tu le prévoyais mais tout va bien se passer, tu seras jamais seul. » J’insiste en serrant sa main dans la mienne. Je ne l’ai jamais abandonné, je ne compte pas commencer de sitôt.

Tommy, je le connais par cœur. Des années qu’il me supporte et des années que je le supporte, c’est suffisant pour expliquer à quel point nous nous connaissons. Il n’a pas besoin de me dire qu’il est terrifié, je le devine. Son précédent mariage l’a traumatisé, il n’y a pas d’autres mots. Lisa l’a brisé et l’a mené à douter de l’amour voire même à douter de lui-même. Tessa est ce baume dont il avait besoin, l’opposé le plus complet de son ex-femme mais même en sachant ça il continu d’avoir peur. Peur de la perdre sans doute et que les similitudes avec sa relation avec Lisa viennent tout briser une seconde fois. J’en doute sincèrement. Je suis même persuadée qu’il a enfin trouver la personne dont il avait besoin. Peu importe que le bébé n’arrive pas au bon moment, il n’en reste pas moins la preuve qu’ils sont faits l’un pour l’autre. De toute manière nous sommes voués à ne rien contrôler dans nos vies. A chaque fois que nous tentons de le faire, le Destin nous met une bonne paire de claques pour nous calmer. C’est sans doute trop pour lui. L’accident, son réveil après plusieurs jours interminables de coma, sa dépendance à une machine, l’annonce de la maladie de sa fiancée mais aussi sa grossesse. Personne ne peut encaisser autant pourtant j’ai l’habitude de connaître Tommy si fort que remarquer que ses yeux se voilent de larmes me laisse sous le choc. Il me faut quelques secondes pour réagir et me lever pour le rejoindre sur son lit. Je veille à ne pas lui faire mal lorsque j’entoure ses larges épaules de mes bras et pose ma tête contre la sienne. « Pleure Tom, t’en as besoin. » Ça peut sembler idiot de lui dire ça, ça ne l’est pas. Il faut qu’il évacue ce trop-plein d’émotions qu’il a en lui, qu’il mette sa fierté de côté pour se soulager de la douleur et de la peur qui le rongent trop violemment. « Tu seras un papa formidable, tu l’es déjà. » J’embrasse affectueusement sa tempe puis reprends la même position. Je ne compte pas bouger de là. Je resterai à le serrer contre moi aussi longtemps qu’il aura besoin, jusqu’à ce qu’il soit épuisé d’avoir trop pleuré et qu’il ait besoin de dormir. Je lui offre ce soutien et cette présence que lui-même m’a donné si souvent par le passé sans m’en plaindre. Après la frayeur qu’il m’a faite, je suis trop heureuse de ce contact de toute manière.