Je ferme la porte derrière Frankie alors qu'elle va rejoindre l'ascenseur pour quitter notre étage. Sachant que mon frère Eliott vient à l'appartement ce soir, nous nous sommes arrangées pour qu'elle ait quelque chose à faire en dehors de chez nous ce soir. Non je ne l'ai pas foutue dehors voyons, je ne suis pas comme ça ! Je l'aime ma colocataire. Après même si Frankie est une très bonne amie, nous avons dû nous organiser pour que tout se passe bien dans notre colocation et ça comprend, les soirs où nous voulons accueillir des gens. En retournant dans le salon, je range deux trois trucs en attendant qu'Eliott arrive. Il ne devrait pas tarder à y arriver. Depuis que nous nous sommes revus au bar la dernière fois, nous essayons de ne plus passer autant de temps sans nous voir ou sans nous parler. C'est impossible de toute façon en ce moment vu que je suis trop enthousiaste à l'idée d'être tata. Tout mon salaire y passe déjà et Janie n'a même pas encore accouché. En parlant de salaire, ma journée au travail a été longue et fatigante. Peut-être que je n'ai plus à jongler entre deux boulots comme avant mais justement, le fait de bosser à Scarlet depuis peu de temps me donne envie de tout donner pour affirmer ma place au magazine. J'attache mes cheveux en queue de cheval et mets de la musique quand on sonne à l'interphone. Une fois certaine que c'est bien Eliott qui est devant la porte de mon immeuble, je le laisse monter. J'ai hâte qu'il me donne les dernières nouvelles, même si j'en ai aussi directement de Janie comme je bosse avec elle. Quelques minutes plus tard, après qu'il ait frappé à la porte, j'ouvre à mon frère, tout sourire. « Salut ! Je suis contente de te voir ! » ai-je lancé en m'écartant pour le laisser passer. C'est au même moment que je remarque qu'il a une drôle de tête. « Ça va ? » ai-je demandé les sourcils froncés, en me disant que peut-être, c'est moi qui imagine des choses.
Le moral proche de zéro, je n’ai pas la moindre idée de la façon dont je vais annoncer ça à ma sœur. Arrivés il y a quelques jours à peine et dormant à la maison, notre père et sa mère sont venus nous rendre visite sans prévenir. Etant donné la raison de cette visite ça ne m’étonne même pas mais j’ai le moral ras les pâquerettes depuis. Janie fait de son mieux pour me changer les idées et si ses bras, son parfum et simplement sa présence parviennent à apaiser un peu ma peur et ma douleur, ça ne fait pas tout disparaître. Ce qui me tue le plus est de voir qu’il n’a même pas envie de se battre, qu’il préfère vivre le temps qu’il lui reste sans même essayer le moindre traitement. Ça, je ne parviens pas à le cautionner et je sais que seul il ne m’écoutera pas. Raison pour laquelle j’ai envoyé un message à Lorelei, pour lui dire que nos parents sont là, lui annoncer la mauvaise nouvelle mais surtout pour qu’elle m’aide à lui faire entendre raison. Abandonnant ma petite amie pour la soirée, je quitte directement la maison de Micky après le boulot pour rejoindre l’appartement de ma sœur. Durant tout le trajet, j’ai la tête ailleurs. Bien que concentré sur la route, mon esprit par ici et là, à la recherche de la façon dont je vais pouvoir amorcer la discussion sans être trop abrupte. Voiture garée en bas de son immeuble – miracle ! – je tape le code pour ouvrir la porte et vais me coincer dans l’ascenseur. Je n’ai ni le courage, ni la force de monter les étages à pieds, pas en ce moment. Devant sa porte, j’inspire un bon coup et frappe. Elle ne met pas de temps à venir m’ouvrir, le verrou m’annonçant qu’elle se charge de déverrouiller. « Salut ! Je suis contente de te voir ! » C’est rare mais je ne réponds pas. Je me contente d’entrer chez elle et d’observer l’appartement que je connais déjà et qui est parfaitement rangé. « Ça va ? » Enième soupire de la journée. Tourné vers Lory, je passe une main nerveuse dans mes cheveux. Rien que ça, ça doit lui confirmer que quelque chose cloche. « Pas vraiment. » Admis-je en laissant retomber ma main le long de mon corps. « T’aurais quelque chose à boire ? Fort de préférence ? Et tu devrais aussi t’asseoir. » Je préfère ne pas trop y aller par quatre chemins et ne pas embellir les choses. Il n’y a rien de beau et de joyeux dans ce dont il va être question.
Dans ma tête, ça va être une petite soirée avec Eliott tranquille. C’est agréable parce que je n’ai pas à me préparer, je suis totalement en mode détente en l’attendant. Quelques minutes après le départ de Frankie, mon frère est derrière ma porte. Je m’en vais lui ouvrir et une fois face à lui, après lui avoir dit que j’étais contente de le voir, je remarque tout de suite qu’il a une drôle de tête. Si j’ai envie de croire que je suis parano et que je suis juste pas douée pour comprendre le langage corporel des gens, mon impression se confirme très vite quand Eliott ne me répond pas et qu’il me dit ensuite qu’en effet, ça ne va pas. Je fronce les sourcils, détestant ce genre de moment parce que j’ai l’impression qu’une catastrophe va arriver. L’esprit vide de toute réponse, je le regarde observer le salon alors qu’il reprend la parole. « T’aurais quelque chose à boire ? Fort de préférence ? Et tu devrais aussi t’asseoir. » continue Eliott. D’accord… Mon coeur accélère la cadence et le froid menace de m’envahir. Mon esprit vagabonde dans toutes les directions sans pouvoir s’arrêter et trouver une réponse. Ça ne peut pas être si grave que ça… Si ? Je ne peux pas m’empêcher d’essayer de détendre l’atmosphère, de faire comme si c’était impossible que ça soit si… si horrible que ça. « T’as l’art de mettre les gens dans l’ambiance en tout cas. » ai-je tenté de plaisanter, mais le coeur n’y est pas. Il ne réagit pas vraiment. C’est le genre de moment terrible où sent qu’une annonce est sur le point de changer sa vie, que tout est sur le point de basculer. Je finis par m’asseoir sur le canapé car même si j’essaie de donner le change, à l’intérieur… C’est le bordel. « Est-ce que Janie va bien ? Et le bébé ? » Faites que ça ne soit pas ça, Eliott est déjà passé par suffisamment d’épreuves pour ne pas en vivre de nouvelles. Je le regarde avec angoisse, sentant qu’en effet, il va falloir que j’aille cherche une bouteille d’alcool fort très rapidement.
Avec l’angoisse que je me trimbale depuis plusieurs jours, je suis tout bonnement incapable de rester de marbre devant ma sœur. Je ne comprends pas. Je n’arrive pas à saisir la raison pour laquelle il refuse de se battre et pourquoi il n’a pas voulu en parler à Lorelei. Elle est sa fille après tout, elle mérite d’entendre de sa bouche ce qu’il lui arrive et qu’il ne veut pas se battre. Mais non, il faut que ce soit moi qui me charge du sale boulot. Cela dit, ça me donne une idée du pourquoi il n’a pas été la voir. Lorelei n’est peut-être pas aussi sanguine que je le suis mais jamais elle n’acceptera l’idée que notre père est malade mais qu’il refuse de se battre. Il sait que, tout comme moi, elle ne comprendra pas et qu’elle trouvera ça probablement égoïste de sa part. En tout cas, c’est comme ça que moi je le vois. Me demander de cacher mon humeur à ma petite sœur c’est trop me demander pourtant je m’en veux de l’inquiéter aussi vite. Elle qui s’imaginait probablement passer une soirée tranquille entre frère et sœur, je suis déjà blasé à l’idée de lui offrir une sacrée douche froide. Seulement, je ne me vois pas tourner autour du pot toute la soirée, pas alors que ça me ronge autant, que ça me pourri la vie et que je considère qu’elle est en droite de savoir. « T’as l’art de mettre les gens dans l’ambiance en tout cas. » Ça c’est peu de le dire. Je reste aussi distant que je l’étais en entrant chez elle. Pas un sourire, rien, juste cette mauvaise humeur que j’emmène partout avec moi depuis l’annonce. Une annonce qui m’a propulsé plus bas que terre et qui me pourrit la vie. La mienne et celle de ma petite amie à vrai dire. Finalement, elle m’écoute et part s’installer sur le canapé. Je la rejoins après quelques secondes d’hésitation, frottant nerveusement mes mains sur mes cuisses. « Est-ce que Janie va bien ? Et le bébé ? » Je suis vraiment un frère de merde. Quel frère débarquerait chez sa sœur de cette manière et la ferait autant paniquer ? J’ai vraiment aucun tact, je pourrais m’en coller une rien que pour ça. « Elles vont bien toutes les deux. » Lui assuré-je en posant en enfin les yeux sur elle plutôt que de regarder le mur en face pour éviter de lire sa panique. Il va bien falloir le faire parce qu’elle va paniquer et il n’est pas question que je lui en parle en évitant son regard. « C’est papa. Il est à Los Angeles et avec ta mère pour quelques jours et … il ne va pas bien. » Finalement apporter un peu de tact pour la laisser se préparer à la nouvelle n’est probablement pas une mauvaise idée.
Je suis heureuse de voir mon frère mais dès que j'ouvre la porte, ma petite voix intérieure me souffle qu'il se passe quelque chose. Sur le moment, je l'ignore parce qu'après tout, je ne suis pas Jean Grey ou le Professeur Xavier, je ne suis pas télépathe. Peut-être que je le lis mal... Même si je le connais depuis toujours... Hm. Ou c'est moi qui projette ? Malheureusement, ce déni ne peut durer que quelques instants de plus car Eliott ne tourne pas autour du pot et me demande directement de l'alcool fort. Ca me met directement de l'ambiance et je ne suis pas sûre d'apprécier l'ambiance en question. Mon rythme cardiaque augmente légèrement tandis que j'essaie de me persuader que ce n'est pas si grave que ça. Seulement en le voyant aussi distant, il n'y a plus moyen d'être dans le déni. Il se passe quelque chose que je ne vais pas aimer entendre. Je pense à Janie et sa grossesse. Est-ce que tout va bien ? « Elles vont bien toutes les deux. » répond Eliott. Le soulagement m'envahit, même si c'est pour un court instant. Mon frère a déjà eu suffisamment de malheurs comme ça et j'avais vraiment eu peur qu'il se passe quelque chose de grave avec Janie et le bébé. Je hoche vaguement la tête alors qu'il reporte son attention sur moi. J'attends le moment où les mots fatidiques vont sortir de sa bouche. Parce que pour qu'Eliott fasse cette tête... « C’est papa. Il est à Los Angeles et avec ta mère pour quelques jours et … il ne va pas bien. » Assise sur le canapé, mon coeur a un raté en entendant ça. Mes doigts se nouent et se dénouent sans que je ne fasse attention. Les mots passent et repassent dans ma tête et je les absorbe. Les parents. Los Angeles. Papa. Pas bien. L'incompréhension fait son apparition à l'idée qu'ils soient là et que je l'apprenne par mon frère. Il y a trop d'informations pour mon pauvre cerveau entre le fait que je n'ai pas été prévenue et le fait que notre père ne va apparemment pas bien. Je garde mon calme même si j'ai envie de le perdre. « Pas bien comment ? Parce que là je comprends pas du tout pourquoi j'étais pas au courant qu'ils étaient dans le coin... » ai-je fait en essayant de garder une voix la plus neutre possible, sans pouvoir retenir le tremblement dans ma voix à la fin.
Franchement … je n’ai absolument aucune idée de la manière dont je vais annoncer ça à Lory. J’ai bien conscience qu’il n’y a aucune bonne façon de lui dire que notre père est sérieusement malade et qu’il ne compte pas se battre seulement … je voudrais l’épargner un peu. Protecteur envers elle depuis que nous sommes enfants, depuis sa naissance je dirais, je veux simplement l’être encore aujourd’hui. Elle méritait de savoir. Elle méritait de l’entendre de sa bouche non pas de la mienne, mais même ça il refuse de le faire. A vrai dire, notre père saurait que je suis là, sur le point de tout déballer à sa petite princesse, il le prendrait mal. La partie agacée en moi a envie de lancer un "bien fait !" parfaitement égoïste. Son annonce m’a fait le même effet toutefois je ne le fais par vengeance, je le fais parce qu’elle est en droit de savoir. En droit de lui dire ce qu’elle en pense elle aussi. Cependant, je n’ai pas réfléchi au fait que sa première pensée serait liée à ma petite amie et à notre fille à naître. Alors je la rassure sur ce point puis passe directement à notre père. Le silence qui suit mon aveu ne me surprend pas. Je vois presque le mécanisme qui chauffe à travers son regard. Je la vois essayer de saisir où je veux en venir, ce que je veux dire, sans y parvenir. « Pas bien comment ? Parce que là je comprends pas du tout pourquoi j'étais pas au courant qu'ils étaient dans le coin ... » Oui, ça je le comprends et je ne me suis pas gêné pour le signaler à notre père. En aucun cas ils n’avaient le droit de venir à Los Angeles sans la prévenir, de l’éviter sous prétexte qu’ils ne tiennent pas - qu’il ne tient pas - à ce qu’elle apprenne la vérité. « Pas bien … vraiment pas bien, Lory. » Les mots n’arrivent pas à franchir la barrière de mes lèvres. J’ai même du mal à regarder ma sœur dans les yeux parce que je sais, je sais que tout lui avouer va la blesser et lui faire peur. Elle aura raison d’avoir peur, je suppose que c’est le pire. « Il tenait pas à ce que je vienne, il ne tenait même pas à ce que tu saches mais t’as le droit de savoir … t’as le droit … » J’arrête de parler et passe nerveusement une main sur mon visage. « Il a un cancer, Lory, un cancer qu’il ne compte pas combattre. » Déclarais-je d’une voix tremblante avant d’humecter mes lèvres asséchées par l’angoisse.
Mon frère n'a pas l'air bien du tout et ça m'inquiète énormément, même si j'essaie de rester calme. Il n'est plus question d'être dans le déni mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que peut-être, ce n'est pas si grave que ça... pas vrai ? Mon premier réflexe est de penser à Janie et le bébé mais il me rassure aussitôt. Okay... Janie et le bébé vont bien, c'est déjà ça. Je vois bien qu'Eliott a du mal à trouver les bons mots et si une part de moi a envie de lui dire de cracher le morceau, l'autre part a plutôt envie qu'il se lève et quitte l'appartement sans rien me dire parce que ça serait plus facile. Mais je sais bien que c'est inutile. Mon cerveau fonctionne à mille à l'heure mais j'ai l'impression qu'il tourne dans le vide, parce que je suis incapable de véritablement me faire une idée sur ce qui se passe. On est assis tous les deux quand il finit par parler. Mon coeur loupe un battement en apprenant que notre père ne va pas bien et l'incompréhension me gagne quand je réalise que je n'étais pas au courant qu'ils étaient en ville. La voix un peu tremblante, je demande des précisions à Eliott, redoutant en même temps de les avoir. « Pas bien … vraiment pas bien, Lory. » Les mots me manquent sur le moment. Une drôle de sensation m'envahit. En soi, ces mots ne rendent pas encore la situation vraiment concrète, mais c'est déjà un premier choc. Qu'il me le dise comme ça c'est un premier choc. En plus, Eliott a du mal à me regarder dans les yeux, ce qui empire tout parce que ça me fait comprendre que c'est grave. Il finit par réussir à enchaîner : « Il tenait pas à ce que je vienne, il ne tenait même pas à ce que tu saches mais t’as le droit de savoir … t’as le droit … » Il y a déjà des picotements dans mes yeux et je n'ose même plus bouger. J'attends. J'attends la sentence, incapable d'abandonner le secret espoir que même si c'est grave, ça va bien se passer. « Il a un cancer, Lory, un cancer qu’il ne compte pas combattre. » Mes yeux s'agrandissent en entendant cette chute que je n'attendais pas. « Quoi ? » ai-je lancé sans réfléchir. Mon cerveau fait encore le tri dans toutes ces informations que je viens de recevoir. Cancer... un mot si horrible. Enfin, c'est un mot banal qui cache tellement de négativité. Mais ce qui me laisse sous le choc c'est qu'il ne veut pas se battre. C'est cette information que je n'attendais pas. « Mais... pourquoi ? » ai-je fait en sentant les larmes monter. Soudain, ça tilte soudain dans ma tête. « C'est pour ça qu'il ne voulait pas que je sache qu'ils étaient là... parce qu'il prévoie de ne pas se battre...? » ai-je soufflé. Un trou béant s'ouvre en moi. Je me sens blessée et je suis encore à des années lumières de comprendre une telle décision. Pourquoi le dire à Eliott et pas à moi ? À quoi ça sert ? Mon cerveau fait n'importe quoi, toujours sous le choc après ce que je viens d'apprendre. Il faut que je me calme. Une chose à la fois. « Tu veux quoi à boire ? J'ai du rhum, de la vodka et de la tequila. » Quoi ? Il me faut du courage liquide... ou juste une façon de mieux supporter la discussion qui va suivre. Je quitte le canapé, les mains tremblantes, et vais vers le placard des alcools et celui des verres. J'en profite pour effacer d'un revers de main les deux larmes qui ont réussi à sortir et à couler sur mes joues.
Les mots me brûlent la langue puis les lèvres. Admettre à ma petite sœur une vérité qui m’a foutu mal, qui m’a foutu à l’envers, c’est pas vraiment ce que j’aime dans le fait d’être son frère. Je ne devrais pas être le messager d’une telle nouvelle. Elle ne devrait pas l’entendre de ma bouche mais bien de la sienne. Je ne reconnais plus notre père. Lui qui nous a inculqué des valeurs, qui nous a appris à dire les choses franchement, à éviter le mensonge lorsque ce n’est pas nécessaire, je ne le reconnais plus. Peut-être est-ce la maladie ? Qu’est-ce que j’en sais ? Mais elle mérite de savoir, quand bien même ça la détruit autant que ça m’a détruit. C’est également son père, également sa famille, je ne pouvais pas accepter l’idée qu’elle ne soit pas au courant. Pourtant, en lui confiant la vérité, mon estomac se contracte et mon cœur se serre. Je vois son regard s’agrandir. Je peux presque lire la panique dans ses grands yeux clairs. Je la comprends, que je la comprends putain ! « Quoi ? » Je n’ose dire quoi que ce soit. Je la regarde encaisser la mauvaise nouvelle, encaisser le fait qu’elle n’était pas supposée connaître la vérité. Je laisse bien trois bonnes minutes s’écouler tandis qu’elle se fait à la nouvelle, si tant est que ça soit possible. « Mais ... pourquoi ? C'est pour ça qu'il ne voulait pas que je sache qu'ils étaient là ... parce qu'il prévoie de ne pas se battre … ? » Je commence par acquiescer à sa première question pour ne plus vraiment bouger en entendant la suite. En réalité, Lorelei connaît la réponse. Elle n’a pas besoin que j’en dise plus pour comprendre que, oui, c’était l’idée. Ma main cherche la sienne et la serre doucement. Je sais que c’est une maigre consolation par rapport à ce qu’elle doit ressentir mais je tiens à la soutenir comme je peux. Je voudrais être capable d’effacer tout par des paroles ou une étreinte, je sais que c’est impossible. Mon mur et mon poing s’en souviennent encore. « Tu veux quoi à boire ? J'ai du rhum, de la vodka et de la tequila. » Mes sourcils se froncent sans qu’elle me laisse le choix de dire quoi que ce soit. Lorelei est déjà debout, à la recherche de verres et du courage liquide qu’elle compte y verser. « Vodka. » Je réponds en me levant à mon tour pour la rejoindre. Mes mains se posent sur ses épaules pour qu’elle arrête de s’affairer et qu’elle lève les yeux vers moi. « On va le forcer à changer d’avis, d’accord ? Tu le connais, s’il n’a rien dit c’est parce qu’il sait qu’à nous deux on peut le faire céder. » Ou du moins je l’espère plus que tout ! Et puis, sans rien dire je l’amène contre moi, la serre dans mes bras, ma joue en appuie contre le sommet de sa tête.
Je ne comprends pas ce qui se passe mais je redoute le moment où les mots vont finir par sortir de sa bouche. Voir mon frère aussi mal veut déjà tout dire et même si mon cerveau se prépare au choc... on n'est jamais réellement prêt à entendre ce genre de vérité. Alors quand Eliott finit par me dire la vérité, les phrases s'enchaînent et j'ai l'impression que mon coeur dégringole dans ma poitrine. Les mots tournent dans ma tête alors que le choc se lit sûrement sur mon visage. J'encaisse la nouvelle de la maladie de notre père comme j'encaisse aussi le fait qu'il ne compte la combattre et surtout, le fait qu'il ne veuille pas que je sois au courant. Les larmes sont déjà présentes même si je veux encore essayer de les contenir mais ça fait quand même beaucoup de choses à encaisser en quelques instants. J'essaie de comprendre et évidemment, maintenant ce n'est plus très difficile d'expliquer pourquoi je n'étais pas au courant que mes parents étaient en ville. J'y crois pas ! Tout dans la réaction de mon frère m'indique que j'ai vu juste, que non seulement tout ce qui me dit est bien réel mais aussi que mon père n'a pas voulu me mettre au courant parce qu'il a sans doutes pensé que ça serait plus facile de ne pas se battre. Eliott se penche et serre ma main dans la sienne pour me réconforter... j'ai honte de dire que sur le coup, je ne réagis pas parce que je suis encore sous le choc. Mon frère aussi a sûrement besoin de réconfort. Mais je finis par serrer brièvement sa main en essayant de revenir sur terre. Il faut que j'encaisse, j'ai pas le choix de toute façon mais y a un truc qui pourrait nous aider tous les deux à poursuivre cette discussion... et c'est de l'alcool fort. Je vois à peine l'étonnement d'Eliott car je suis déjà dans la cuisine à ouvrir le placard où se trouve les bouteilles. Quoi ? Un spécialiste dirait sûrement que ce n'est pas très sain de réagir comme ça mais qu'est-ce que j'en ai à foutre ? Mon père est malade ! Et il s'en fout de mourir... Okay je suis injuste mais pour le moment, je suis encore trop sous le choc et surtout en colère pour m'en empêcher. « Vodka. » répond mon frère. Je hoche la tête et lui sers son verre. Faire ça me permet de me concentrer sur quelque chose de concret et ça me permet aussi de ne pas éclater en sanglots. Mais avant que je n'ai pu me servir mon verre de tequila, Eliott me rejoint et pose ses mains sur mes épaules pour que je le regarde et me pose une seconde. « On va le forcer à changer d’avis, d’accord ? Tu le connais, s’il n’a rien dit c’est parce qu’il sait qu’à nous deux on peut le faire céder. » Je veux lui répondre mes ma gorge se noue. Les larmes reviennent, elles sont si nombreuses que pendant un instant je vois flou. Les mots n'arrivent pas à sortir alors je ne fais que hocher la tête. Si j'ai réussi à contrôler la première vague de larmes grâce au choc et à l'incompréhension, celle-ci est impossible à maîtriser. Alors que le barrage s'est ouvert et qu'à présent elles coulent sans s'arrêter sur mes joues, Eliott me prend l'instant d'après dans ses bras et ça suffit à me faire craquer. Mon visage se déforme sous les assauts des sanglots du chagrin et ma respiration devient plus bruyante et tremblantes. Mon père. Mon père va peut-être... Non c'est pas possible. « Je veux pas qu'il meure... » ai-je soufflé d'une voix tremblante. Je reconnais à peine ma voix. Je reste quelques instants dans les bras de mon frère à laisser couler mes larmes et à laisser couler les nouvelles. Puis j'essaie de me calmer et de me reprendre et m'écarte de lui en essuyant mes joues. « Laisse-moi juste un instant pour me servir aussi... » Je lui tends son verre de vodka et verse rapidement la tequila dans le mien. Mon menton tremble encore mais j'essaie de respirer profondément pour me calmer. Je prends la bouteille de vodka au-cas-où en plus de mon verre et nous retournons au salon. Je dis pas que j'ai envie de boire comme un tour mais... je sais pas, j'ai juste pris la bouteille, comme un réflexe. « Il a quoi comme cancer ? Il a été voir plusieurs spécialistes ? » ai-je fait en reniflant. Je pose mon verre et la bouteille sur la table basse et me rassois dans le canapé. J'efface de nouvelles larmes qui réussissent toujours à franchir les barrières. Je m'en veux d'embêter Eliott avec toutes ces questions, c'est papa qui devrait me dire tout ça. « Je comprends pas sa logique... pourquoi te faire traverser tout ça à toi et pas à moi... » ai-je soupiré en buvant deux trois gorgées de tequila.
Impossible de chasser cette foutue sensation d’être l’annonciateur de mauvaise nouvelle. Notre père a toujours énormément compté pour moi. Il est celui qui m’a apporté l’amour dont j’avais besoin tout bébé là où ma mère n’en était pas capable. Il a veillé sur moi et m’a fait confiance, bien assez pour me laisser partir de Londres à dix-sept ans pour Los Angeles. Sur bien des plans il a toujours été mon héros et mon modèle. Là, pourtant, j’en viens presque à le haïr. Je déteste la position dans laquelle il m’a mis. Je hais le fait d’être celui qui annonce ça à Lorelei. Certes, il m’a demandé de ne rien lui dire mais il devait savoir, non ? Il devait se douter que je n’aurais pas ma langue dans ma poche, que je ne pourrais pas cacher ça à ma petite sœur ? Il sait que je suis droit dans mes bottes et que la famille a une importance primordiale dans ma vie tout comme la sincérité. Alors non, je n’arrive pas à savoir à quoi il pensait exactement en me demandant ça et en décidant de ne pas se battre. Pourquoi baisser les bras aussi vite ? Pourquoi putain ?! Le pire est de voir le regard de Lorelei se voiler. Elle retient ses larmes comme elle le peut alors que devant moi elle n’y est pas obligée. Jamais je ne la jugerais pour ça, encore moins après ce que je viens de dire. Elle encaisse comme elle le peut mais toujours mieux que la façon dont moi je l’ai fait. Plus posée que je ne peux l’être, la différence est d’autant plus flagrante en comparant nos réactions. Finalement debout, une fois ma surprise passée en l’entendant me proposer de l’alcool, j’opte pour de la Vodka tandis qu’elle choisit une bouteille de tequila lorsque je la rejoins. Les mots n’ont pas toujours été des alliés pour moi, je fais néanmoins de mon mieux pour essayer de convaincre Lory que nous parviendrons à faire entendre raison à notre père … Ensemble. Elle finit par craquer une bonne fois, calée dans mes bras qui voudraient encore la protéger de la cruauté de la vie comme lorsque nous étions plus jeunes. « Je veux pas qu'il meure ... » Je déglutis péniblement en sachant que je ne peux pas lui dire que ça n’arrivera pas, c’est impossible. Optant pour le silence, nous restons ainsi un moment, jusqu’à ce qu’elle se dégage et tente de se reprendre. « Laisse-moi juste un instant pour me servir aussi ... » J'approuve sans un mot, prends le verre qu’elle me tend et la suis lorsqu’elle repart vers son salle, verre et bouteille à la main. Partie comme c’est, je ne suis pas certain que la bataille tienne la soirée. « Il a quoi comme cancer ? Il a été voir plusieurs spécialistes ? Je comprends pas sa logique ... pourquoi te faire traverser tout ça à toi et pas à moi ... » Mon verre finit que trop vite dans mon estomac, avalé cul sec dès sa première question. « Cancer des poumons. » Je lâche. Bouteille de tequila attrapé, je remplis mon verre en sachant qu’un verre ne me suffira pas. « Il en est au stade 3 … Pour le reste j’en sais rien, il a pas été très loquace et j’ai été trop … impulsif. » Au point de fracasser ma main contre le mur et de m’écrouler dans les bras de Janie. « T’es sa princesse, Lory, il veut te protéger autant que je veux le faire. Et je pense qu’il me l’a dit uniquement parce que je vais être père et qu’il veut rencontrer Zoey avant de … partir. » Il n’est pas question que je prononce le mot "mort", ça rendrait tout ça trop réel et je le refuse encore.
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Mar 15 Sep - 9:42