Ce soir, le temps me parait suspendu. Perdu en haut d'un toit d'immeuble, mes jambes pendent dans le vide. Mes yeux embrumés de larmes se suspendent désespérement au ciel coloré de rose et d'orange. Mon cerveau patine. Je n'arrive pas à réaliser. Je n'y arrive pas. Mon esprit est bloqué. Plus rien ne passe. Plus rien. Je ne sais même pas comment j'ai pu arriver là. Ni depuis combien de temps je suis assis à cet endroit exact. Je déglutis péniblement. Bière à la main m'aide à faire passer l'amère vérité. Mes dents se serrent alors que je tente de reprendre une lampée. C'est impossible bordel. C'est impossible.

Il est mort nino. Ils l'ont tués.

La voix de ma mère vibre dans mes pensées. Ils ont tué André. Ils ont tué mon petit frère. Mes dents se déserrent sous le sanglot qui m'échappe. C'est impossible. C'est faux. Ça ne peut pas être réel. Pourquoi lui bordel. Pourquoi ?

Luis flotte dans mes pensées sombres. Je ne sais pas par quel miracle j'arrive à l'appeler. J'ai besoin de lui. J'ai besoin de l'entendre. Juste ça. Les deux premières sonneries me font retenir mon souffle. Il ne décroche pas, c'est le bip désagréable du répondeur qui m'écorche l'oreille.

« Hey... »

Ma voix tremble. Je souris pour moi-même. Je refuse de craquer. La boule dans ma gorge m'empêche de m'exprimer clairement.

« Dis tu... Tu fais un truc là ? »

Je mords mes lèvres. Je ne veux pas demander. Je ne veux pas réclamer et être faible. Je me déteste. Je reprends une gorgée de bière pour me donner du courage. Un soupir fébrile passe mes lèvres, résigné.

« J'ai besoin de toi... »

Mes yeux se ferment alors que ma voix se brise. J'explose. Mes larmes ruisselent brusquement le long de mes joues alors que je me recroqueville sur moi-même. J'en ai marre. Marre de tout. Je veux partir. Je veux disparaitre. Je veux qu'il vienne. Maintenant.

« Je suis... Je crois que je suis en haut de l'immeuble. »

Putain Alvi t'es même plus capable de dire où tu te trouves. Tu sers à rien. Pitoyable.

« Viens... S'il te plait. »

Avant que je fasse une connerie.

J’ouvre difficilement un œil alors que la lumière directe du soleil couchant darde ses rayons en plein dans ma chambre. Mes yeux voient flous, mais il ne m’en faut pas plus pour savoir que j’ai franchement abusé. J’ai encore dormi tout l’après-midi. Après un réveil bien trop tôt ce matin pour me trainer jusqu’à l’épicerie, je suis rentré pour me jeter dans mon lit aussitôt. Sans manger, sans même totalement me déshabiller, rien. J’ai pertinemment conscience que c’est ridicule. On ne soigne pas une peine de cœur en dormant toute la journée. Le type qui me faisait tourner la tête est parti, et alors ? Le monde ne s’arrête pas de tourner.

Un gigantesque soupir m’échappe alors que je m’oblige à bouger de sous la couette. L’odeur d’Alvi flotte encore sur les draps, pour autant je sais qu’il n’a pas mis le nez par ici de toute la journée. Je traine ma carcasse hors du matelas, enfile le premier tshirt qui me passe sous la main, et quitte la chambre beaucoup trop lumineuse et exposé au soleil tombant.

Mes pieds évoluent instinctivement jusqu’à la cuisine. Je passe une main sur mon visage et ouvre le frigo. Un grognement dépité m’échappe lorsque je constate qu’il est presque totalement vide. Repoussant ce problème à plus tard, j’attrape une bouteille de jus de fruit et me sers un verre. Mes doigts viennent ensuite chercher comme une habitude morne mon téléphone portable, que j’ai eu la bonne idée de brancher avant d’aller dormir. L’appareil se rallume sous mes yeux, et bientôt la notification qui apparaît sur l’écran pique vaguement mon intérêt.

Un message vocal d’Alvi.

Mon souffle se brise à l’instant où sa voix résonne à mon oreille. Quelque chose ne va pas. Son timbre tremblant, sa manière inhabituelle d’hésiter. Mes sourcils se froncent alors que je presse un peu plus le téléphone contre mon oreille. Mon inquiétude s’éveille pour de bon lorsqu’il souffle qu’il a besoin de moi.

- T’es où, Alvi ? je murmure pour moi-même.

Et comme s’il m’avait compris, le répondeur délivre la réponse à ma question. Quoi ? En haut de l’immeuble ? Un sentiment d’épouvante me glace les os. Le verre de jus d’orange quitte mes doigts et éclate sur le carrelage. Je l’entends à peine. Le cellulaire disparaît de ma prise avant que je n’ai eu le temps de vérifier l’heure à laquelle j’ai reçu le message vocal. Je suis déjà dans le couloir. Je cavale à toute allure jusqu’à l’escalier. J’avale les marches quatre à quatre. Oh bon sang. Fais pas de connerie, Alvi. Me fais pas ça.

Je débouche sur le toit comme un ouragan. La silhouette de mon meilleur ami accroche aussitôt mon regard. Je me pétrifie, le souffle court. Il est au bord du vide. Si haut. Si proche d’une chute facile.

- Alvi ...

La peur me broie le ventre. J’ose avancer de quelques pas, priant de toute mon âme pour qu’il n’ait pas l’idée totalement folle et funeste de sauter du toit.

- Alvi, je suis là.

Il pleure. Pourtant il a l’air indemne.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu ... S’il te plaît ... Descends du rebord. Viens ...

Je m’arrête à sage distance. Suffisamment proche pour me jeter en avant s’il venait à glisser. Je tends une main vers lui. Tout ce qui m’importe pour le moment, c’est qu’il s’éloigne du vide.

Mes pensées confuses tournent dans ma tête. Je ne me souviens même pas de m'être levé. Mon regard plane dans le vide en dessous de moi. Ce serait facile. Si facile. Ça résoudrait tout. Toutes les douleurs, tout ce qui m'étouffe un peu plus jour après jour. Cette fois, pour une fois, je n'ai pas de poudre dans le nez. Je n'ai pas la drogue pour me faire oublier. Il n'y a que la crue réalité. Tranchant et mortelle. Celle que j'ai tellement de mal a accepter.

Je relève instinctivement la tête lorsque j'entends sa voix. Il est là. Enfin. Il est venu. Je me tourne vers lui. Son visage emprunt d'inquiétude me passe totalement à travers, tout ce qui compte, c'est qu'il soit là.

« Ils...Ils l'ont tué. Ils ont tués... André. »

Ma voix se brise sur un ultime sanglot. Les larmes dévalent mes joues. Je suis incapable d'en dire plus. Totalement incapable. Je tente de respirer, mais j'ai l'impression que même ça, c'est peine perdue. Je suffoque. Sa main tendue appelle à ma raison. La mienne la rejoins, tremblante, pour descendre du rebord et me jeter dans ses bras. Ma prise se resserre sur lui comme si ma vie en dépendait. Il est ma seule lumière, dans cet océan de noirceur.

« Ils ont tués mon frère Luis. »

Pour la première fois, je me laisse complètement aller dans ses bras. Tout explose en moi. Il n'y a plus rien que le vide. La douleur prend toute la place.

Les propos d’Alvi me paraissent incohérents. Je ne comprends rien à ce qu’il raconte. Il éclate en larmes devant moi, ce qui ne fait que renforcer mon sentiment d’urgence et de terreur. Descends de là Alvi, merde ! Le chilien est à bout de souffle. Mon cœur bat à tout rompre dans mon torse. S’il glisse ... Si je fais un geste et qu’il recule ... Je n'ose même pas l'imaginer. Il finit par écouter ma voix. Sa main se lève vers la mienne. Je n’en attends pas plus. Je fonds sur lui à l’instant où il esquisse un pas dans ma direction. Mes bras se referment autour de lui. Je le serre de toutes mes forces contre moi et l’éloigne du vide. Oh bordel. Mon nez s’enfouit dans ses cheveux fous. C’est fini. Il est là. En sécurité.

- Mon dieu ... Me refais jamais une peur pareille ...

Alvi se raccroche à moi tandis que sa peine éclate. La peur écartée, c’est l’inquiétude qui prend place dans mes tripes. Je ne l’ai jamais vu comme ça. Je crois même que je ne l’ai jamais vu pleurer. Lui qui rayonne toujours, quoi qu’il advienne. Lui découvrir une telle détresse me fend le cœur. Je l’entraîne en douceur vers le sol. Alvi ne tient plus debout.

- Qu’est-ce que ...

Ses mots sont marqués d’une dureté sanglante. Son frère ? Ma gorge se noue. Dans un autre contexte, avec n’importe qui d’autre, j’aurais pu imaginer que ce n’était qu’une lugubre métaphore. Mais Alvi vient du même milieu que le mien, et j’ai cruellement conscience des dangers mortels d’un tel état de fait.

- Qui a tué ton frère, Alvi ? je murmure, l’agrippant comme si je craignais de le sentir définitivement partir à la dérive.

Je n'ai jamais eu aussi mal. Je n'ai jamais autant pleuré, sauf lorsque Nonna s'en est allée. Rien n'est comparable à la douleur atone qui s'est imbriquée dans mon torse. La proximité de Luis m'aide à respirer. Il m'aide à tenir bon alors que je ne rêve que de me laisser aller. Mes jambes finissent par me lâcher, elles aussi. Je n'ai plus la force de rien. Le timbre de Luis est telle une caresse. Elle tente de m'apaiser dans cet océan profond et horriblement cruel. Pourtant sa question elle, me fait perdre la tête. Qui putain, qui avait pu ?

" J'en sais rien. J'en sais rien putain."

Mes larmes sont toujours là, mais c'est une colère sourde qui prend place à nouveau. Un déni, un refus. Je vais tous les tuer bordel. Enfin, je me décroche de lui. J'ai ce réflexe de me reprendre en chassant rageusement mes larmes. Je suis incapable de le regarder.

"Ces fils de pute. C'est eux qui lui ont tiré une balle."

Mes doigts cherchent unz clope, qui atterri rapidement entre mes lèvres alors que je reniffle. La première bouffée est salutaire. Elle m'aide à reprendre un souffle un peu plus correct. Assis à même le sol, la tige s'éclipse à la vitesse de l'éclair. Je tousse, peu importe. De toute façon je crèverais bien de quelque chose.

"Ils l'ont abattu. Devant la maison alors que..."

Ma voix se brise encore. La réalité est tellement insupportable.

"Je lui avais dis de se tenir à carreaux. Je lui avais dis de faire gaffe et de pas traîner avec ses connards. Il avait douze ans bordel.. Comment..."

Mon souffle se coupe encore. Je serre les dents et reprends une clope. Comment peut-on s'en prendre à un gosse ? Quel être assez immonde pour faire une chose pareille ?

" Quel crétin bordel. Pourquoi il m'écoute jamais hein ? Pourquoi ?"

Une nouvelle salve de larmes se glisse silencieusement le long de mon visage. J'ai pas la force de la chasser. Je m'en fou.

Alvi se laisse aller entre mes bras. Sa peine m’éclate au visage avec une force que je n’aurais jamais soupçonné. Mes mains glissent sur son corps, cherchent à lui procurer un semblant de réconfort. Pourtant rien ne me paraît à la hauteur de la douleur qu’il endure. J’essaye de comprendre ce qui s’est passé. Ses propos sont confus. Alvi s’enfonce dans quelque chose de sombre, et soudain je sens son aura changer drastiquement de couleur. Sa souffrance se teinte de colère. D’un coup, il quitte mon étreinte. Il bouge. Ses mains s’agitent. Elles cherchent nerveusement son paquet de cigarettes. Sa réponse claque dans l’air. L’horreur de la révélation me fait frémir tout entier.

- Oh bon sang ...

Son petit frère avait douze ans. Il est mort, devant chez lui, d’une balle dans la tête. Qui peut faire une chose pareille à un enfant ?

Je déglutis et serre les dents. C’est pour cette même raison qu’il faut que je tire ma famille des tréfonds de Medellin. Le chilien s’emporte. Je sais ce qu’il cherche à faire. Il contient sa détresse derrière sa clope, et il cache tout ça derrière sa rage. Parce que c’est bien plus facile à gérer comme ça. Je lui lance un regard navré lorsqu’il m’apostrophe. Pourquoi son frère ne l’écoute jamais ? Je n’en sais rien. Ce que je remarque en revanche, c’est qu’il parle de lui comme s’il était encore vivant.

- Je suis désolé ...

Je me rapproche face à lui et glisse mes paumes en étau de part et d’autre de son visage. Mes pouces ramassent doucement les larmes qui s’y accumulent en silence. Alvi bouillonne sous mes doigts. J’ai bien conscience qu’il est littéralement au bord du gouffre, et prêt à exploser. Comment pourrait-il en être autrement ? Qui pourrait gérer ça ? Une telle nouvelle, tout en étant à des milliers de kilomètres de sa famille ? L’impuissance d’une telle situation doit être étouffante.

- Est-ce que tu sais pourquoi ... pourquoi c’est arrivé ? je souffle sans défaire ma prise sur lui. Si je le lâche, j’ai peur de le perdre pour de bon.

Mes dents ne se desserrent plus. A nouveau, mes yeux cherchent une réponse dans les couleurs du ciel qui s'éteint tout doucement. La fatalité de la révélation que j'offre à Luis m'oppresse complètement. Je ne compte même pas le nombre de clopes que je grille en l'espace de quelques secondes. Comme si ça allait changer quelque chose. Comme si ça allait le ramener.

Je ne trouve rien à répondre à la réplique de mon ami. Moi aussi, je suis désolé. De l'avoir abandonné, lui et les autres, pour préférer une vie loin de tout ça. Si j'avais su que ça arriverait, je ne serais jamais parti. J'aurais continué à veiller sur ma famille, comme je l'avais toujours fais. J'aurais continué à élevé la fraterie et j'aurais fais une croix sur mes rêves. J'aurais subi, mais au moins, il serait toujours vivant.

Luis s'approche. Mes yeux ont du mal à maintenir le contact visuel. La caresse de ses attentions me fait frémir de la têre au pied. Personne à jamais fais ça avant. Personne n'a jamais veillé sur moi comme il le fait maintenant. Jamais. Mes larmes redoublent rien qu'à cette pensée. Je n'imagine pas ce qu'il doit penser de moi à présent. Ma langue claque sur mon palet à sa question.

« Ma mère... Elle m'a dit qu'il avait voulu faire le malin avec un gars du gang qui traine dans notre quartier... Qué idiota. »

Faut vraiment être complètement con pour ne serait-ce que penser à faire un truc pareil. J'écarte une énième cigarette avant d'en reprendre une aussitôt. La rage est là. Elle me grignote, elle tourne dans ma tête avec la douleur. C'est insupportable.

« C'est moi qui ai élevé ce gamin bordel. Pas ma crétine de mère ou mon connard de père. Moi. Ça a toujours été moi. Et il a fallu que je me barre pour que ça arrive. Même ça, ils ont pas été capable de le faire. Hijo de puta. »

Ce n'était pas seulement un frère que j'avais perdu. C'était un enfant que j'avais élevé, comme je l'avais fais avec les autres. J'avais eu la faiblesse de faire confiance à mes parents. Et pour quoi ? Je tire rageusement sur ma clope. Ma main libre trouve celle de Luis tel un point d'accroche. Ma lumière, pour ne pas sombrer.

« C'est ma faute. Si j'avais... Si j'étais resté, j'aurais pu veiller sur lui. J'aurais pu empêcher ça. Toute cette merde. Il serait encore en vie. Putain... »

Les larmes semblent intarissables. Je le couve d’un regard douloureux, désespéré de ne pas pouvoir réellement alléger sa peine. Le deuil d’Alvi sera compliqué, ça ne fait aucun doute. Il aura besoin de mon soutien, tout comme il m’a apporté le sien lors de mes propres moments de faiblesse.

- Mierda ... je souffle en réponse à ses explications.

Encore des gamins qui ont mal tournés. Encore des vies gâchées pour des vendettas disproportionnées. Combien y en a-t-il chaque jour, des enfants comme le frère d’Alvi ? Sa colère me broie le cœur. Et comme je m’en doutais, il finit inexorablement par retourner le tranchant de sa fureur contre lui-même.

- Non. Non cariño, ce n’est certainement pas ta faute.

Mon pouce glisse de son joue pour venir presser ses lèvres. Ma main libre glisse dans ses cheveux à l’arrière de sa tête, pour attirer son front contre le mien. Je ferme les yeux et m’imprègne de la douleur qui pulse dans son aura d’ordinaire si lumineuse.

- Je t’interdis de dire ça, d’accord ? Je t’interdis même de le penser. Tu te rends compte de ce que tu as apporté à ton frère, si c’est toi qui t'es occupé de lui ? Ce n’était pas ton rôle. Tu n’étais pas obligé de faire ça. Ce que tu as fait pour lui, c’est déjà énorme.

Mes doigts se font moins fermes. A présent, ils reprennent leurs caresses délicates contre sa bouche, cherchant à apaiser physiquement ce mal qui lui ronge l’esprit.

- Tu n’es responsable de rien. Si toi tu en doutes, moi je le sais.

Un soupir m'échappe entre deux bouffées de cigarette. La prise de Luis évolue sur moi. Elle cherche à me faire revenir à lui. Les paroles se voulant rassurantes de mon ami tournent dans mes pensées. La culpabilité me ronge les sang. Quelque part en moi, je sais qu'il a raison, je sais que ce n'est pas moi, qui lui ai tiré cette balle. Mais pour le moment, c'est comme si c'était moi qui avait tenu le flingue. Ma colère s'apaise sensiblement, elle oscille entre le déni et la tristesse, se mélange et m'éreinte entre deux excès de larmes. Ce qu'il dit me va droit au coeur. Un bref sourire apparait sur mon visage douloureux.

« J'aurais pu le sauver... »

Mes lèvres tremblent. Ma clope trouve ma bouche pour contrer le problème une nouvelle fois. Mes doigts cherchent sa prise, encore et encore. Mes pensées se mélangent trop dans mon esprit. Mes sentiments bouillonnent en moi, menaçant d'exploser malgré la présence rassurante de Luis. J'ai envie d'alcool. De drogues. J'ai foutrement besoin de me défoncer la gueule pour oublier tout ça. Pour endormir la douleur. Parce que c'est plus facile. Parce que je suis pas capable de le supporter.

« Faut que je parte... Faut... Faut que je bouge. Je peux pas rester ici plus longtemps. »

Je relève la tête pour enfin à nouveau rencontrer ses yeux.

« J'ai besoin d'oublier. »

Fais moi oublier. J'ai pas envie d'être seul. J'ai pas envie qu'il m'abandonne. Je veux le garder tout près. Mon front replonge, trouvant son salut contre son épaule.

« Viens. Reste avec moi...  S'il te plait. »

Un sourire fade apparaît sur ses lèvres. Mes mots l’ont touché, mais pas suffisamment pour réellement le soulager. Il tremble sous ma prise. Je le vois s’accrocher à sa cigarette avec un désespoir qui me laisse impuissant.

- Tu n’y es pour rien, je répète encore, doucement.

Sa main me cherche aveuglément. Mes doigts lui répondent aussitôt et viennent tendrement s’emmêler aux siens. Si Alvi a besoin de moi pour ne pas partir à la dérive, alors je serai ce roc dans la tempête. Je ne le lâcherai pas. Qu’importe tout ce qui pourra nous tomber dessus.

Sa requête ne me surprend même pas. Si je le laisse faire, il ira rejoindre la première soirée à croiser son chemin. Il ira se foutre en l’air avec des inconnus, à coup de coke et de mélanges d’alcool. Je le sais, parce que c’est déjà ce qu’il fait en temps normal. Alvi ne s’arrête jamais. Il ne se pose jamais. Comme s’il avait peur que quelque chose ne le rattrape. Mais ce soir, ce n’est pas une bonne idée de le laisser faire. Pas alors qu’il est dans cet état, et pas alors qu’une lugubre pulsion l’a portée jusqu’au rebord de ce toit.

- Je ne vais nulle part sans toi.

Un sourire rassurant se glisse sur mes lèvres. J’avance vers lui pour toucher son nez avec le bout du mien.

- Rentre avec moi.

Ma voix susurre doucement, essayant de lui communiquer de quoi apaiser ce feu dangereux en lui. Je relâche son visage pour attraper ses mains. Je me relève et l’entraîne avec moi.

- Ça va aller Alvi, je te le promets.

Mes bras s’enroulent à nouveau autour de lui pour l’étreindre. Je glisse une main dans ses boucles désordonnées. Je le serre précautionneusement, durant ce temps nécessaire à lui faire comprendre qu’il n’est pas seul et que je le soutiendrai jusqu’au bout.

- Je vais te préparer un truc chaud, je souffle dans un sourire en me détachant.

Et l’emmenant avec moi, je prends la direction de l’escalier, loin de ce toit maudit.