Neal & Jae

No.

Pas moyen. Il n’y avait pas moyen. Lui vivant, jamais. Il avait éclaté son téléphone contre le mur en recevant le message de Jae puis s’était précipité en dehors de son appartement. Il était hors de question qu’il le laisse partir à l’autre bout du monde. Certes, c’était lui qui avait mis fin à leur « relation », mais ce n’était pas pour autant qu’il vivait tout ça comme une promenade de santé. Au début, il avait réussi à se convaincre que Jae ne lui manquait pas. Trop enfermé qu’il était dans son idée qu’il n’y avait eu entre eux que du sexe, il avait occulté la partie de lui qui s’était attachée. Et puis un jour, il l’avait croisé avec un mec. Un type qui l’avait fait tiquer. C’était qui, d’ailleurs, ce connard ? Il se prenait pour qui à le prendre dans ses bras devant tout le monde, comme ça ? Il l’avait détesté dès le premier regard, sans même se demander pourquoi. Mais la petite voix dans sa tête ne cessait de murmurer que ça n’avait rien à voir avec ce connard, mais plutôt avec le jeune homme qu’il tenait entre ses bras. Foutue petite voix. Et voilà que plusieurs semaines plus tard – après les avoir croisés tous les deux à de nombreuses reprises en faisant tout pour ne pas être vu – Jae lui annonçait qu’il partait. Alors quoi ? Il partait avec l’autre con ? Qu’est-ce qu’il avait de plus que lui, au juste ? Et puis merde, qu’ils aillent se faire foutre, tous les deux. Complètement perdu dans ses émotions, il ne faisait plus la différence entre la rage, la tristesse, la jalousie... Il était tard, la nuit était tombée depuis un moment, et Neal avait déjà bu plusieurs verres, s’était même injecté sa substance préférée. Il n’était pas des plus clairs, titubait légèrement dans la rue, mais il continuait à marcher avec un but précis en tête, sachant pertinemment où il allait et ce pourquoi il y allait. Il y fut  bien plus rapidement que ce qui était prévu et se retrouva à frapper à la porte de toutes ses forces, prêt à hurler le prénom de Jae s’il ne lui ouvrait pas dans les secondes qui suivraient. Lorsqu’enfin le battant de la porte s’ouvrit, il entra sans demander son reste, bousculant légèrement le plus jeune au passage. Il aperçut les valises dans un coin de l’appartement et pointa un doigt accusateur sur son ex-petit-ami.

« Hors de question. »

Face à son air interrogateur, il poursuivit, des larmes de rage lui montant aux yeux.

« Hors de question que tu te tires. T’as pas intérêt. Pas à l’autre bout du monde et pas avec ce... Ce type. Tu m’entends ? Tu peux pas. Tu pars pas, tu restes ici. »

Le connard qu’il était se faisait plus insupportable que jamais, pensant que la violence et les ordres pourraient faire en sorte qu’il obtienne ce qu’il désirait. Il fonctionnait ainsi depuis des années et était toujours parvenu à ses fins. Ça ne changerait pas aujourd’hui. La mâchoire serrée, un air fou sur le visage, il continuait de soutenir le regard de Jae, lui faisant ainsi comprendre qu’il était des plus sérieux.

no

Neal & Jae

No.

La colère faisait s’échauffer son sang, brûlait la chair sous sa peau. Neal avait l’impression qu’il allait bouillir de l’intérieur tant il était énervé. Alors quoi, c’était tout ? Jae lui promettait d’être là pour lui et il se barrait à l’autre bout du monde ? Non, hors de question qu’il accepte ça. Pas moyen. Ouais, il allait encore jouer les connards, les égoïstes, mais il s’en foutait pas mal. Après tout, c’était un monstre, non ? Alors pourquoi déroger à la règle ? Il leva les yeux au ciel en l’entendant dire qu’il était bourré. Ouais, il l’était, et alors ? Ça changeait quoi, au juste ? Que dalle. Il avait dit qu’il se foutait de lui et c’était vrai. Alors pourquoi est-ce qu’il n’arrivait pas à se le sortir de la tête, au juste ? Pourquoi est-ce qu’il refusait catégoriquement de le voir partir ? Bordel il allait se chopper une migraine du tonnerre. Il grogna et secoua la tête en l’entendant dire qu’il allait gâcher son départ. Ouais, c’était exactement pour ça qu’il était là.

« Le gâcher ? C’est une putain d’erreur de te tirer ! Tout ça pour aller où, hein ? En Corée ? Y’a quoi là-bas ? Rien du tout. Tu veux juste fuir, c’est ridicule. »

Aussi ridicule que lui. Parce que lui aussi, il passait son temps à fuir. Il fuyait son passé, fuyait ses actions, fuyait ses peurs, fuyait... Jae. Il ferma violemment les yeux et porta une main à sa tête, appuyant sur son front pour tenter de faire refluer la douleur, en même temps que les émotions. Sauf qu’avec le mélange d’alcool et de drogues, la fatigue et la peur... Tout remontait, s’entrechoquait, le laissait incapable de se contrôler. Il rouvrit les yeux et lança un regard presque suppliant au plus jeune.

« Tu m’avais promis. T’avais promis que tu m’abandonnerais pas. »

Sa mâchoire se resserra aussitôt, mais il ne retira pas ses paroles. Il avait refusé son aide, avait refusé sa présence, et qu’est-ce que ça lui avait apporté, au juste ? Rien du tout. Jae avait été le seul à voir à quel point il allait mal, à quel point il était brisé. Et malgré tout ça, il avait tout de même cherché à l’aider. Ne pas accepter sa main tendue, ça avait très certainement été la plus grande preuve du fait qu’il était complètement perdu. Que le Neal qu’il avait été autrefois, le grand-frère de Sean, cet homme fier mais humble, avait tout à fait disparu. Il n’était plus là, ne le serait certainement jamais plus. Il frappa soudainement dans le mur, la colère déformant ses traits. Sauf que la seule cible de sa colère, c’était lui-même. Personne d’autre.

« Bordel, tu comprends pas ? Tu comprends pas que t’es venu foutre la merde dans ma vie ? Putain j’m’en sortais très bien tout seul ! J’avais de comptes à rendre à personne, j’pouvais faire ce que je voulais et personne me disait rien. Et après tu te ramènes et tu m’fais sentir des trucs que j’veux pas sentir ! Et t’es là, gentil, naïf, comme si le monde était tranquille et sans aucun problème ! Et tu m’as fait des promesses, t’as dit des trucs... T’as tout foutu en l’air ! Et maintenant tu crois que j’vais te laisser te barrer ? C’est hors de question ! Y’a pas moyen. Parce que... Parce que j’ai besoin de toi. »

Poing toujours sur le mur, il ne regardait plus Jae, honteux d’avoir prononcé ces mots qui le faisaient passer pour un faible. Il n’avait besoin de rien ni de personne, il pouvait se débrouiller tout seul, s’en sortir parfaitement. Du moins, c’était ce qu’il pensait. Mais la seule perspective de devoir voir le plus jeune s’en aller le faisait douter de tout. Il laissa glisser sa main, laissant son bras à nouveau balancer sur le côté de son corps. Il était beau, tiens, le Ranger invincible. Réduit à supplier un gamin de ne pas le laisser seul. Il était faible, c’était tout ce qu’il était. Faible et seul.

no

Neal & Jae

No.

Pas le droit. Putain de merde, il le savait, qu’il avait pas le droit. Il avait aucun droit sur lui. Pourtant il se permettait de faire comme s’il avait tous les droits du monde. Parce qu’il y avait ce truc en lui, qui lui hurlait de retenir Jae, de pas le laisser s’échapper comme ça. Y’avait une voix qui criait dans sa tête, tellement fort que le sang lui battait aux tempes. Il était sûr que c’était ni l’alcool ni la drogue qui lui faisait ça. C’était juste le putain de mec qui se trouvait juste devant lui et qui l’obsédait. Sauf qu’il avait aucune foutue idée de comment exprimer ce qu’il voulait, ce qui lui bouffait le cerveau petit à petit. Parce qu’il avait jamais fait ça avant, par peur de se faire virer ou pire, et parce que depuis son départ de l’armée il avait jamais pris le temps d’apprendre à faire les choses correctement. Il prenait ce qu’il voulait, donnait ce qu’il voulait donner, et ça s’arrêtait là. Sauf qu’avec Jae, y’avait plus. Y’avait ce truc qui lui tordait les boyaux rien qu’à l’imaginer dans un autre putain de pays. Il avait jamais ressenti ce genre de chose et n’avait aucune idée de comment gérer ça. Il en aurait parlé en thérapie, s’il en suivait une, ou bien dans un groupe de parole, s’il en avait rejoint un. Mais c’était pas le cas. Parce qu’il avait besoin de personne, Neal. Il se débrouillait très bien tout seul. Carrément bien. Tellement bien qu’il était là, en pleine nuit, à supplier un mec qu’il avait foutu à la porte de tout abandonner pour lui. Putain de génie, tiens ! Et puis il avait raison, merde ! Il savait pas gérer ses émotions, surtout sa colère. Ouais, il le laisserait pas sortir. Parce qu’il supportait pas l’idée qu’un autre mec le touche, le regarde d’un peu trop près. Ça lui hérissait le poil, ça l’foutait en rogne. Il serra la mâchoire et détourna le regard. Ok, Jae avait raison. C’était pas pour autant qu’il allait le dire à voix haute non plus. Et puis la main du plus jeune se retrouva sur son bras, le mit en mouvement, l’attira dans ses bras... Neal se brisa.
Les larmes se mirent à couler sans qu’il puisse les retenir tandis que ses bras s’enroulaient autour du corps fin de Jae, appliquant une certaine force pourtant emplie de douceur. Il l’étreignait comme il ne l’avait jamais fait, comme s’il s’agissait de la chose la plus précieuse au monde, mais également de son ancre dans le monde. Il lui assura ne pas pouvoir l’aider et cela ne fit que renforcer l’étreinte du plus âgé, dont le visage s’était niché dans le creux du cou du brun, les larmes ruisselant sans discontinu sur ses joues. C’était comme si le poids de toutes ses actions lui tombait enfin sur les épaules, l’assommait de sa grandeur. Il avait fait n’importe quoi. Absolument n’importe quoi, putain. Sean l’aurait regardé comme un foutu moins que rien, l’aurait même sûrement fracassé pour le remettre à sa place.

« Pardon... Pardon... Je voulais pas... Je suis tellement désolé... »

Il savait précisément de quoi il s’excusait, mais n’arrivait pas à formuler les phrases décrivant tout ce dont il se rendait compte. A dire vrai, il s’en était toujours rendu compte. Il avait toujours su qu’il faisait du mal, qu’il se comportait comme la dernière des merdes, mais il s’en foutait. Ce soir, en revanche, les choses changeaient. Certainement la peur de voir s’en aller la seule personne qui avait montré ne serait-ce qu’une once de sympathie et de compréhension envers lui. Jae avait été le seul à lui tendre la main. A voir l’animal blessé derrière le monstre. Et il allait le laisser partir pour quoi ? Parce qu’il n’arrivait pas à être un être humain décent ? Hors de question.

« Apprends-moi. Je t’en prie, apprends-moi. Me laisse pas. J’peux pas... Pas encore. »

no

Neal & Jae

No.

Neal s’était complètement brisé. Disparu le mec sûr de lui, qui menait sa vie d’une main de maître, qui ne laissait rien ni personne se mettre sur son chemin. Il était là, complètement poussé à bout par ce simple mec, ce gamin qui était entré dans sa vie sans crier gare et avait tout retourné sur son passage. Il ne comprenait toujours pas pourquoi l’idée qu’il parte l’avait autant affecté. Il voulait se persuader que c’était l’alcool, la drogue... N’importe quelle explication qui n’impliquait pas ses sentiments. Mais il n’était pas stupide. Il comprendrait – quand il serait sobre, quand la colère serait retombée – qu’il était tout simplement tombé amoureux, pour la première fois de sa vie. Qu’il avait laissé Jae entrer dans sa vie, dans sa tête, dans son cœur. Au fond, c’était ça, qui l’avait fait craquer. Il était épuisé. Épuisé de ne connaître que la colère, le rejet, la rancœur... Son cerveau et son corps étaient finalement arrivés à saturation et ne supportaient plus tout cela. Alors ouais, lire qu’il partait à l’autre bout du monde, ça l’avait fait vriller. Pas dans le bon sens, d’abord, parce qu’il était juste trop habitué à réagir comme une enflure, comme une merde humaine. Et puis la douceur de Jae, ce geste aussi inattendu que magnifique, et le voilà perdu dans un tourbillon d’émotions toutes plus contraires les unes que les autres. Il le serrait tout contre lui, terrifié à l’idée qu’il parte réellement. En temps normal, il l’aurait frappé pour une telle remarque. Parce que pleurer ne faisait pas du bien, ça ne faisait rien d’autre que le faire paraître lâche. Mais ce n’était pas un temps normal, rien n’était normal dans ce qu’il était en train de vivre, en train de ressentir. Il se contenta donc de le serrer encore plus fort contre lui, sans se rendre compte de sa tentative de s’écarter. Le reste, en revanche, le réchauffa tout entier. Il avait été horrible, avait été à deux doigts de le frapper, l’avait traité comme rien d’autre qu’un objet un peu trop encombrant... Pourtant Jae cherchait à le rassurer, ne voulait pas le laisser rentrer seul. Plus que tout, il souhaitait qu’ils parlent, renonçait à son départ. Pour lui. Neal s’immobilisa, sa respiration se coupa. Il ne savait pas quoi faire de cette information. Est-ce qu’il lui mentait pour qu’il le laisse tranquille ? Est-ce qu’il était sincèrement prêt à renoncer à cette opportunité de carrière... Pour lui ? Tout était mélangé, compliqué, et son crâne commençait à le faire souffrir. Pas sous l’effet de l’alcool, il y était plus qu’habitué depuis le temps, mais la fatigue engendrée par sa lutte contre lui-même depuis des années le rattrapait enfin et le mettait complètement au tapis. Il se reprit finalement après quelques secondes d’un silence pesant et s’écarta légèrement, ne prenant même pas la peine de passer la main sur ses joues pour tenter de les essuyer. A quoi ça aurait servi, de toute façon ? Il posa ses deux mains sur les joues du plus jeune et ancra son regard au sien.

« Je... »

Tout se bloqua. Aucun mot ne voulait sortir, il n’arrivait pas à formuler la moindre pensée, à construire la moindre phrase.

« Qu’est-ce que tu veux, toi ? »

no

Neal & Jae

No.

C’était la première fois que Neal laissait le choix à Jae. Qu’il ne prenait pas tout simplement ce qu’il voulait. C’était étrange, de savoir que ce n’était pas lui qui avait un contrôle complet sur ce qu’il se passait. Ni bien, ni mal, juste étrange. Il n’y était plus habitué. Il hocha la tête en entendant le plus jeune et se dirigea vers la chambre. Là, nouvelle surprise, puisque Jae l’aida à se débarrasser de ses vêtements lentement, comme s’il était un animal blessé. Et puis, sans aucune arrière-pensée, sans quoi que ce soit d’autre, ils se couchèrent tous les deux. Les yeux du militaire se fermèrent, mais s’ouvrir d’un coup après quelques instants, lorsqu’il sentit le corps de l’autre se coller au sien. Son souffle se coupa un instant mais il passa un bras autour de lui, enfouissant son nez dans les cheveux bruns. C’était inhabituel, de simplement dormir dans les bras l’un de l’autre. Neal ne savait pas encore s’il aimait ça, mais ce n’était pas non plus un changement désagréable. Il ferma à nouveau les yeux, mais le sommeil ne vint pas. Son esprit travaillait. Dans son crâne, plusieurs voix hurlaient les unes sur les autres. La sienne, qui lui demandait s’il était devenu une serpillère. Celle de son frère, qui affirmait qu’il était enfin en train de faire quelque chose de bien. Celle de sa mère, qui lui répétait de prendre soin du beau jeune homme qui dormait paisiblement entre ses bras. Celle de son tout premier chef d’unité, qui se marrait en répétant que les taffioles, il les bouffait au petit-déjeuner. Il n’arrivait pas à se concentrer sur une seule, des dizaines de questions se bousculant dans son esprit. A bout de forces, il finit par sombrer dans le sommeil aux alentours de quatre heures du matin.

Il fut réveillé à peine quelques heures plus tard par un grand fracas. Il se releva d’un bond, cœur battant mais prêt à se défendre contre n’importe quoi, comme lorsqu’il était déployé. Dans la poche de son jean, il trouva son couteau et il sortit en silence de la pièce. Il rejoignit la cuisine et y trouva Jae, en train de ramasser des poêles et casseroles tombées au sol. Il soupira légèrement et referma son couteau, le posant sur la table, avant d’aller l’aider.

« C’était toi cet énorme bruit ? »

Il avait paniqué pour rien, comme très souvent lorsqu’il était confronté à des bruits un peu trop forts. Le pire, c’était les feux d’artifice. Sentant qu’il n’arrivait pas à se calmer, il arrêta de ranger et se releva, entraînant Jae avec lui. Il le serra contre lui, plutôt fort, pour tenter de s’ancrer à la réalité, tenter de faire comprendre à son cerveau qu’il n’était plus là-bas, qu’il n’y retournerait plus jamais.

no