Neal & Jae

No.

Il avait eu peur d’une intrusion, de quelque chose de dangereux, mais Neal se rendait compte qu’il n’avait pas eu peur pour lui même, comme d’habitude. Non, il avait eu peur que quelque chose soit arrivé à Jae et ça, c’était nouveau. Depuis Sean, il n’avait plus ressenti la moindre empathie pour qui que ce soit, se foutait pas mal de ce qui pouvait arriver aux autres. Mais la peur panique qui s’était emparé de lui au réveil ne le quittait pas. C’est pour ça qu’il avait attiré le plus jeune dans ses bras, qu’il le tenait si fort. Pour réussir à comprendre que rien ne lui était arrivé et que rien ne lui arriverait. Ils n’étaient pas en zone de guerre, ils ne risquaient pas leur vie à chaque seconde. Lorsque Jae s’écarta, il ne le retint pas, même s’il en avait envie. Il ne pouvait plus agir comme le foutu égoïste qu’il était, ou l’autre homme partirait et cette fois sans se retourner. Il ne pouvait pas prendre ce risque. Au fond, s’il était honnête, il était terrifié à l’idée de ce qu’il pourrait se passer si Jae sortait réellement de sa vie. Il cligna des yeux plusieurs fois à l’entente de sa remarque, pas vraiment certain de ce qu’il était censé faire. Finalement, il préféra ne rien dire, haussant les épaules.

« Ça va, j’ai assez dormi, merci. Et toi ? »

Il avait jamais eu trop besoin de dormir, arrivait à fonctionner avec seulement quelques heures de sommeil.

« J’vais juste... Aller m’habiller. »

Il se dirigea vers la chambre et récupéra ses vêtements de la veille, les enfilant rapidement. Il prit ensuite un moment pour rester là, silencieux, à se demander ce qu’il foutait. Maintenant qu’il était complètement sobre, il se disait qu’il avait peut-être tort d’être là. Pour une fois qu’aucune substance ne circulait dans son corps, il réfléchissait un peu clairement. Qu’est-ce qu’il foutait là ? Il s’imposait dans la vie de quelqu’un qui ne voulait pas de lui, logique vu son comportement de merde. Est-ce qu’il avait vraiment envie de changer pour quelqu’un ? Non. Est-ce qu’il avait envie de faire en sorte que les choses fonctionnent entre Jae et lui ? Ouais. Plus il y pensait, plus il le voulait. Il avait qui d’autre, à qui s’accrocher ? Plus personne. Jae avait pas abandonné à la première difficulté, il était resté avec lui alors qu’il lui faisait les pires horreurs, qu’il était infect. Il retourna à la cuisine, où le plus jeune avait terminé de préparer le petit-déjeuner, et il s’attabla avec lui.

« Merci. D’avoir préparé ça et pour hier soir. J’suis désolé, j’étais défoncé, j’étais en colère... J’aurais pas dû craquer comme ça. »

Il laissa le silence planer quelques secondes, prenant une bouchée de son petit-déjeuner, puis reprit.

« Mais j’le pensais. Je veux pas que tu partes. J’peux pas te promettre que je vais devenir le mec idéal en deux minutes. Mais j’ai envie d’essayer d’être quelqu’un de mieux. Pour toi. »

no

Neal & Jae

No.

C’était définitivement étrange de dire ce qu’il pensait à Jae, il n’était pas tout à fait sûr d’aimer ça, Neal. Il n’avait jamais aimé se livrer à qui que ce soit d’autre que son frère. Faire étalage de ses émotions, c’était pas son délire. Mais à cet instant précis, il avait compris que sans un minimum d'honnêteté, il n’arriverait jamais à son but. Alors il se força un peu, avoua que la veille n’avait pas entièrement été une expression de son taux d’alcool. Le silence s’étira entre eux et il ne le brisa pas. Il ne savait pas quoi ajouter, se disait au final que c’était certainement mieux de laisser le plus jeune réfléchir. Il prit une gorgée de café puis écouta lorsque son vis-à-vis se décida enfin à prendre la parole. Il ne dit rien, ne réagit pas, lui laissant l’occasion de s’exprimer comme il le voulait. Il pencha légèrement la tête sur le côté lorsqu’il s’arrêta finalement de parler et soupira, reposant sa tasse.

« Je peux pas te promettre que ça arrivera. Que je sois heureux. Ça fait longtemps que je l’ai pas été et je suis pas sûr de pouvoir l’être un jour. »

Il se mordit la langue avant de continuer. Pour l’instant, il était incapable de lui en dire plus. De se confier au sujet de sa famille, de son passé. C’était trop difficile, ça le touchait de trop près. Mais étonnamment, pour la première fois depuis qu’ils se connaissaient, il ne rejetait pas l’idée en bloc. Peut-être qu’il lui en parlerait un jour. Ce n’était pas complètement exclu. Ça ne l’était plus.

« Et ouais, tu peux pas comprendre ce que j’ai vécu ou ce que je ressens, c’est sûr. Je suis même pas certain de le comprendre moi-même, parfois. Mais t’es la seule personne à avoir essayé. T’es le seul qui m’ait pas laissé tomber, alors que j’ai été immonde avec toi. »

Ouais, il l’avouait maintenant. Il en prenait conscience. En fait, il en avait toujours eu conscience, mais son cerveau refusait d’admettre à quel point il faisait de la merde. A quel point il faisait du mal. Il se racla la gorge.

« Alors, euh... Ouais. J’aimerais bien te laisser l’occasion, aussi. Si j’ai autant vrillé avec toi, c’est parce que je me suis attaché alors que je voulais pas. Je sais que ça justifie rien, mais c’est pour ça que je supportais pas l’idée que tu voies d’autres mecs. Parce que je te voulais rien que pour moi. Je te veux toujours rien que pour moi, mais je veux plus te l’imposer. La peur que j’ai vu dans tes yeux l’autre fois, quand j’ai failli... J’veux plus jamais voir ça. J’aimerais être meilleur pour toi, mais j’ai aucune idée de comment faire. Je sais plus. Je crois que j’ai jamais su, en fait. C’était pas bien vu d’être gay, dans l’armée. Et après, j’étais déjà trop flingué pour apprendre. J’m’en foutais parce que tous ceux que je fréquentais s’en foutaient aussi. Et après t’as débarqué et... J’ai pas su gérer, ça m’a rendu encore plus dingue que je l’étais déjà. J’aurais dû te dire de t’éloigner plus vite, parce que je savais que ça finirait mal, mais j’ai été super égoïste. Et je pourrais même pas dire que je regrette. »

Il termina son café d’une seule gorgée.

« Si tu veux te barrer à l’autre bout du monde, fais-le. Mais je pouvais pas te laisser partir comme ça, sans rien te dire. »

no

Neal & Jae

No.

Peut-être qu’il était en train de raconter n’importe quoi, en fait. Que toutes ces belles paroles ne sortaient que parce qu’il avait été terrifié à l’idée de perdre la seule personne qui ne l’avait pas abandonné. Peut-être que son propre cerveau était en train de l’entourlouper, de lui faire dire tous ces trucs parce qu’il était incapable de voir Jae partir. Ou peut-être que non, qu’il croyait vraiment entièrement ce qu’il était en train de dire. Peut-être qu’il voulait réellement devenir une autre personne, une personne meilleure, une personne digne de ces sentiments incroyables qu’il lisait dans les yeux du brun. Sa réponse ne se fit pas immédiate mais Neal attendit patiemment – ou presque – qu’il reprenne enfin la parole. Lorsqu’il le fit, il écouta attentivement, tout d’abord confiant, avant de perdre son sourire. Sa mâchoire se serra et il prit une longue inspiration.

« Pour le rendez-vous, bien sûr. On parlera, on fera ce que tu veux, on ira où tu veux. Tout ce que tu veux. Pour le reste... Je suis possessif. Je pense que tu le sais. Je ferai des efforts, parce que t’es pas un objet et tu m’appartiens pas. Mais je peux pas te promettre de bien le prendre quand tu les verras. Quand tu le verras. Ce sera difficile. Mais j’irai combattre, j’essaierai de gérer. Je ferai au mieux. »

Autant ne pas lui mentir et lui faire croire que les choses seraient toutes roses. S’il le savait en compagnie d’un autre, il allait forcément péter un câble. Est-ce qu’il pouvait l’en empêcher ? Non, il n’en avait aucun droit. Alors il irait fracasser des gueules pour oublier que Jae était potentiellement dans les bras de quelqu’un d’autre. C’était à ses yeux la seule façon de procéder. Parce qu’il avait promis qu’il changerait et que pour une fois il voulait au moins essayer de tenir un engagement. C’était mal barré vu la réaction qu’il venait tout juste d’avoir face à la simple évocation de Will, mais ce n’était pas complètement perdu non plus. Il pouvait évacuer sa colère autrement qu’en hurlant sur Jae, en étant méchant avec lui ou en le baisant. Ou au moins, il pouvait essayer. Bras croisés sur son torse – position de défense qu’il adoptait sans même y réfléchir, sans le faire exprès – il continua de l’écouter. Au moins les choses étaient claires. Oui, Neal était volontaire et voulait changer, mais ce n’était pas pour autant qu’il y arriverait en une seule fois. Pour le reste... C’est sûr qu’il n’aurait pas dû accepter le traitement qu’il lui faisait subir. Mais est-ce que le militaire lui avait vraiment laissé le choix ? Il l’avait vu dans la rue et l’avait voulu, alors il l’avait pris. Il s’était immiscé dans sa vie comme une maladie infectieuse, s’était planté là et ne lui avait pas laissé le choix.

« D’accord. Ça me va. Et si t’as conscience du fait que je pourrai pas complètement changer du jour au lendemain, ça me va aussi. Je ferai de mon mieux pour essayer de retrouver... Enfin de redevenir... Mieux. »

De redevenir lui-même. Celui qu’il avait été des années durant, qu’il savait encore enterré au fond de lui, sous des tonnes de sable, de sang et de douleur. Il voulait redevenir ce Neal-là, celui qui rendait son petit frère fier, qui portait haut les couleurs de sa famille. Ce serait difficile, parce qu’il l’avait bâillonné et l’avait réduit à l’état de fantôme, l’avait empêché de faire la moindre apparence depuis des années, mais il voulait essayer. Pour Jae.

no

Neal & Jae

No.

Il avait été purement honnête, pour une fois. Du moins, il le croyait. Il était tellement perdu qu’il ne savait plus. Il avait menti si longtemps, avait manipulé si durement, qu’il n’était plus trop sûr d’où commençait sa réelle personnalité et celle qu’il s’était inventée pour survivre. Mais Jae, lui, semblait savoir. Savoir mieux que lui, alors qu’il n’avait jamais connu celui qu’il était réellement. Merde, c’était flippant. Grisant. Vertigineux. Pas forcément dans le bon sens, d’ailleurs. Neal avait l’impression d’être au bord d’une falaise, à deux doigts de tomber. Pas très agréable comme sensation. Alors que son honnêteté aurait pu faire peur, aurait pu décourager, Jae s’avança vers lui et s’installa sur ses genoux. Il passa aussitôt un bras dans son dos et posa l’autre sur ses genoux, aussi doucement que possible. Il ne voulait pas l’enfermer, le maintenir en place. Pas cette fois. Puis le plus jeune reprit la parole et l’ancien militaire ne put qu’acquiescer.

« D’accord. »

Que répondre d’autre, que dire de plus ? Il savait pertinemment que c’était impossible. Il n’était plus capable d’être heureux, seul ou accompagné. Son cerveau avait définitivement banni cet état, ce n’était juste plus faisable. Il pouvait aller mieux avec Jae, il était en train d’essayer autant qu’il le pouvait à cet instant précis, mais il ne pourrait plus jamais aller bien, être normal, heureux. L’autre homme continua à parler et Neal fronça les sourcils tandis qu’il réfléchissait. Faire des trucs ensemble, oui. C’était une bonne idée. Mais lui apprendre à se battre... Il frissonna, revoyant son air paniqué alors que son poing s’apprêtait à...

« Je peux pas. Je peux pas... Je... Pardon. »

Sa respiration s’accélérait, tout comme son rythme cardiaque. Il se leva comme il le put, déposant Jae sur ses pieds, puis s’écarta, courant presque jusqu’à la chambre. Il fallait qu’il se calme. Il avait besoin de... Merde. Ses poches étaient toutes putain de vides. Les images arrivaient à une vitesse folle, bien plus importante qu’elles ne l’auraient dû. Il fallait qu’il trouve un moyen d’endiguer la crise. Ses poings se serraient et se desserraient constamment tandis qu’il regardait autour de lui, impuissant. Il était complètement à bout de souffle, la vision presque entièrement noircie, recouverte par des images qu’il aurait préféré oublier. S’imaginer frapper Jae – même tout doucement, dans le cadre d’exercice – était en train de lui faire perdre tout contrôle. Parce qu’il était innocent, parce qu’il ne méritait rien de tout ça, parce qu’il était... Parfait. Alors que lui n’était qu’un monstre. Il tomba au sol, ses jambes tremblant bien trop pour le maintenir debout. Merde. Il était pathétique.

no

Neal & Jae

No.

Neal avait l’impression qu’il allait suffoquer. La panique habituelle était exacerbée par l’absence de drogue ou d’alcool qui l’auraient aidé en temps normal. Ses poumons étaient en feu, son corps tout entier allait céder d’un instant à l’autre s’il n’arrivait pas à retrouver un minimum de souffle. Il était tombé par terre, se retenait d’un bras, l’autre main sur le cœur. Il savait parfaitement que ce n’était pas une crise cardiaque, mais la douleur était si forte qu’il aurait pu en douter. Ça le brûlait à l’intérieur alors que les images continuaient de défiler à une vitesse folle dans son esprit. Toujours les mêmes, toujours aussi violentes. Il entendit les coups frappés, ne comprit pas vraiment les paroles. Pour l’instant, il était incapable de se concentrer. Et puis, soudain, il dut se lever et sortir en courant, fonçant jusqu’à la salle de bain. Le petit-déjeuner n’était pas resté bien longtemps. Il cracha plusieurs fois, tira la chasse, puis se leva pour se rincer la bouche avant de se laisser à nouveau tomber au sol, sur le carrelage frais. Il releva les yeux pour tomber sur le regard inquiet de Jae, qui le fit soupirer. Au moins, vomir avait eu l’avantage de lui remettre une partie des idées en place. Il ouvrit mollement les bras, invitation pour que l’autre homme vienne se glisser entre eux. Lorsqu’il y fut, il referma son emprise autour de son corps et posa la joue contre le haut de son crâne, fermant les yeux un instant.

« Désolé. »

Il n’était pas encore assez apaisé pour expliquer, mettre des mots sur ce qu’il venait de se passer, alors il se contenta de rester là, en silence, à essayer de reprendre une respiration complètement normale. Étonnamment, la crise se termina plus rapidement qu’à l’habitude et l’idée lui passa en tête que la présence de Jae n’y était pas complètement étrangère. Il finit par rouvrir les yeux et laissa un peu aller son étreinte, attrapant l’une des mains du plus jeune, entrelaçant leurs doigts.

« Tu veux qu’on apprenne à se connaître ? Y’a des choses que tu dois savoir. J’en parle pas parce que ça regarde personne. Mais si tu veux me connaître, ça te regarde. »

C’était bien plus difficile que ce qu’il pensait, de se livrer à propos de lui-même, à propos de son passé. Mais il le fallait, s’il voulait que Jae lui fasse à nouveau confiance, qu’il n’ait plus envie de l’abandonner.

« J’étais militaire. J’ai pas envie d’en dire plus pour l’instant. Mais ça veut dire que parfois, je vois des choses. J’entends des choses. Ce matin, j’ai cru qu’on était attaqués. Parfois, mon cerveau me fait croire que je suis encore là-bas et ça me fait faire n’importe quoi. Tu m’as demandé de t’aider à apprendre à te battre... »

Il se tendit de façon presque imperceptible et dut faire une pause, prenant deux longues inspirations.

« La dernière fois, j’ai failli te frapper, parce que mon cerveau m’a fait voir des trucs et que... Je peux pas faire ça, d’accord ? Parce que je suis terrifié à l’idée de lever la main sur toi, à l’idée de te faire mal. Je sais que je t’en ai déjà fait et que j’ai été le pire des connards. Mais si je franchis cette limite... Je serai perdu à tout jamais et même moi je veux pas en arriver là. »

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