Je ne sais pas pourquoi j'ai signé pour ça. C'est idiot et je suis encore de mauvaise humeur. Venue dans ce bar avec des amies du lycée, ces dernières sont tranquillement en train de siroter leur cocktail pendant que je finis les yeux bandés sans avoir la moindre idée de ce qui va se passer. Guidée par l'un des organisateurs, ma main cherche le dossier de ma chaise et le trouve. Je dois avoir l'air ridicule en plus de ça ! Dans un soupire je m'installe et privée de ma vue, j'entends l'autre arriver. Encore ce qui me semble une minute ultra longue et on nous invite à commencer. Qu'est-ce que je suis supposée dire moi ? Bonsoir ? Bon sang mais qu'est-ce que je fous là ? « C'est ma première fois, je me sens ridicule alors hm ... Bonsoir ! » Est-on vraiment sûr que le ridicule ne tue pas ? Parce que j'ai bien l'impression de mourir de honte là.

Qu’est-ce que je fous là exactement ? Dans cette soirée de speed dating où en plus de ça, nous avons la vue masquée ? Ah oui…j’ai perdu un pari. Des amis qui m’ont défié de baiser une inconnue le 14 février et qui m’ont proposé de tester ce nouveau concept. Tout ce qu’ils veulent, c’est une photo de ladite dénudée et dans mon lit. Bien…ça devrait être plutôt facile. Même si je déteste ce genre de rendez-vous, qui potentiellement donnerait des espoirs à toutes les nanas. Et ce genre de conneries, bordel c’est se tirer une balle dans le pied. Alors, je patiente les yeux bandés mon tour, et lorsque c’est enfin le cas, et qu’on m’installe à une table. Légèrement nerveux, j’attends, ne sachant pas quoi dire. Est-elle déjà là ? « C’est ma première fois, je me sens ridicule alors hm…Bonsoir ! » Est-ce une illusion ? Ce parfum, cette voix…Putain, suis-je vraiment déjà accro que je la pense être partout ? « Bonsoir…c’est une première pour moi aussi. » Dis-je assez hésitant, sans savoir si mon esprit ne me joue pas vraiment des tours.

Ma vue me manque déjà. Quelle horreur se serait de perdre ce sens … Et je n’ai pas la moindre idée du pourquoi je pense à ça maintenant. La nervosité sans doute. Si j’avais la possibilité de voir je pourrais gérer la situation mais là, j’avance vers l’inconnu et c’est déconcertant. Tout autant que réaliser que mes autres sens s’ouvrent plus pour palier l’absence de l’un d’eux. Je n’ai pas la moindre idée de ce que je dois dire alors quand les premiers mots glissent hors de mes lèvres je me retiens de m’en coller une. Je suis tellement pitoyable que je ne fais même pas attention à l’eau de Cologne reconnaissable qui vient me chatouiller le nez. « Bonsoir … c’est une première pour moi aussi. » Non, c’est là, en entendant sa voix que tous mes poils s’hérissent. Qu’ai-je dit à Oliana ? Qu’il y aurait moins de risque que je tombe sur un connard comme lui ce soir ? La blague, je tombe sur le connard en question. C’était tellement risible que je me mets à pouffer comme une débile. A croire qu’il a dit quelque chose de drôle. « Désolée … J’ai juste du mal à me dire que tu t’intéresses à ce genre de soirée. » Pourquoi lui hein ? Pourquoi ?! « Et avant que tu me retournes le compliment, j’en ai peut-être marre de me faire payer pour baiser. » Il n’a pas besoin de me voir pour savoir que je suis énervée. Le pire c’est que ce ne sont pas tant ses paroles vexantes qui me restent dans la tête qui me mettent de mauvaise humeur, c’est le fait d’avoir été blessée par lui et d’y accorder autant d’importance. Il m’obsède encore même en ayant été un enfoiré.

J’ai besoin de m’assurer à nouveau de sa voix pour savoir si mes sens ne me font pas halluciner. On dit bien que privé d’un seul sens, les autres s’éveillent un peu plus. Alors, peut-être que ce n’est pas vraiment un tour de mon imagination. Elle est vraiment là. De toutes les nanas à Los Angeles, de toutes les soirées de St-Valentin, il a fallu qu’elle soit devant moi. Son rire retentit alors, et je frémis. Se moque-t-elle vraiment de moi là ? « T’es sérieuse ? » « Désolée…J’ai juste du mal à me dire que tu t’intéresses à ce genre de soirée. Et avant que tu me retournes le compliment, j’en ai peut-être marre de me faire payer pour baiser. » Je sais au timbre de sa voix que ses épaules sont tendus et que ses sourcils sont sans doute froncés. Pas besoin de la voir pour comprendre qu’elle est encore énervée de notre dernier échange. « Si t’étais pas têtue, on en serait pas là. » dis-je en m’enfonçant dans mon siège, les bras croisés. Oh, je sens que la soirée va être longue, en sachant qu’elle va draguer d’autre type après moi. Je ne sais pas comment désamorcer la bombe qui s’est armé durant cette semaine. Elle fait tout pour me tenir tête, et ça m’énerve.

« T’es sérieuse ? » Je le suis ! Sérieusement dépitée par cette vaste blague qui veut que de tous les hommes présents dans ce bar ce soir il faut que ce soit sur Eli que je tombe. Sans ce fichu masque j’aurais pu anticiper et prendre mes jambes à mon cou. Ce n’est pas trop difficile de rester professionnelle au bureau, je sais faire, mais en dehors j’ai besoin de mon espace pour tenter de penser à autre chose que sa tête entre mes cuisses et à l’orgasme qu’il m’a donné. Ça m’énerve d’être incapable de penser à autre chose donc oui, je ris puis ne retiens pas mon sarcasme. « Si t’étais pas têtue, on en serait pas là. » Bien sûr ce n’est que de ma faute … trop prévisible. « Je suis peut-être têtue mais t’aime surtout pas le fait que je ne me plies pas à tes exigences. » Je lui ai déjà dit que je ne suis pas de celles que disent amen à chacune de ses paroles, j’ai trop de caractère pour ça. Mon père m’applaudirait même ! « Tu vas bouder pendant les quelques minutes qu’on a ? Oh oui je sais que t’es probablement en train de croiser les bras avec ton air renfrogné là. » Je le connais depuis assez longtemps pour parvenir à l’imaginer. « T’avais pas à me traiter comme tu l’as fait. Je te demandais de me dire, je sais pas … que ce n’était pas le moment ou que c’était déjà beaucoup d’avoir cédé. T’as juste été un gros con qui m’a traité comme de la merde. On n’en serait pas là si tu ne m’avais pas donné la sensation d’être un objet sale qu’on jette. » Je ne lui demande pas des câlins, des paroles et des sentiments, juste du respect.

La saint-Valentin et ses emmerdes, ses batifolages à gogo et cette fête commerciale qui attise les passions et les fantaisies. De la connerie pour moi, d’où le fait que je tente une nouvelle expérience, à cause d’un stupide défi. Hélas, lorsque la voix de Micah s’affiche en face de moi, je vois rouge. « Je suis peut-être têtue mais t’aime surtout pas le fait que je me plie pas à tes exigences » Non, clairement. Elle me tient tête dès le premier jour, et je ne supporte pas ça. Je n’y ai jamais été habitué, et généralement celles qui tentaient de le faire, je les virais de ma vie à grand coup de pied. Mais elle, je n’y arrive pas. C’est la sœur de Maks, putain ! Quoi que je fasse, j’en reviens à cette conclusion. Je ne peux ni la baiser, ni la virer comme j’aime si bien le faire. Non, je dois juste faire avec. « Tu vas bouder pendant les quelques minutes qu’on a ? Oh oui, je sais que t’es probablement en train de croiser les bras avec ton air renfrogné là. » En guise de contradiction, je dénoue mes bras et les laisse retomber le long de mes cuisses. « T’avais pas à me traiter comme tu l’as fait […] On n’en serait pas là si tu ne m’avais pas donné la sensation d’être un objet sale qu’on jette. » J’encaisse ce qu’elle à dire alors que ma jambe s’active dans un mouvement d’anxiété. J’ajoute pour me défendre : « Je t’avais prévenu que j’étais compliqué et que t’allais pas aimer ma personnalité. Je t’avais prévenu, Mikaëla » Je suis comme je suis, si elle ne l’accepte pas, c’est son problème. « Et, c’est toi qui t’es insulté de prostitué, toute seule. Tu sais très bien que je ne paye pas pour coucher. »

Subitement je n'ai plus la moindre envie d'être ici. Du moins, je n'ai pas envie d'être face à Eli même si je ne le vois pas. Je n'en ai pas envie parce que j'ai peur de vers où va nous diriger cette conversation. Nous pourrions laisser les minutes passer sans rien dire mais nous savons tous les deux que je n'ai pas ma langue dans ma poche. Alors, forcément, je lâche ce que j'ai à dire depuis notre dernier échange. Bosser en ayant autant de rancœur n'a pas été simple, j'y suis parvenue malgré tout. « Je t’avais prévenu que j’étais compliqué et que t’allais pas aimer ma personnalité. Je t’avais prévenu, Mikaëla » Malgré le bandeau je lève les yeux au ciel. Tant pis s'il ne le voit pas, c'est plus fort que moi. « Il y a être compliqué et agir comme un gros con. T'es pas une personne affreuse, je te connais depuis assez longtemps pour le savoir, en revanche tu sais vraiment pas y faire. » Ce n'est pas un handicapé social, il est le meilleur ami de mon frère, niveau interaction il s'y connaît, mais avec les femmes … Je commence à me poser la question. A moins que ça ne soit que moi et mon sale caractère qu'ils lui font perdre la tête.« Et, c’est toi qui t’es insulté de prostitué, toute seule. Tu sais très bien que je ne paye pas pour coucher. » Se défend-il encore. « Hm techniquement je t'ai insulté de gigolo et tu as renchéris sur le fait que je ferais bien de me prostituer … Pas dans ces termes mais ça revenait au même. » Insisté-je. « Tu sais quoi ? On a tous les deux nos torts, est-ce qu'on ne pourrait pas simplement passer à autre chose ? »