La vie reprend son cours. C’est lent, douloureux parfois, mais elle recommence. Parce qu’au fond, elle ne s’est jamais vraiment arrêtée. Si le retour sur scène a été difficile, il s’est avéré cathartique. Ça m’a fait un bien fou de pouvoir retrouver le public, faire ce que j’aime le plus au monde. Ça aurait pu être encore mieux si j’avais pas fait de crise de panique, mais on ne peut jamais totalement maîtriser ni son corps ni son esprit, alors voilà. J’ai fait au mieux, j’ai réussi à remonter sur scène, et c’est tout ce qui compte. Je sais que je suis probablement à nouveau entré dans ce cycle infernal, qui va me forcer à rejoindre les coulisses une ou deux fois par concert, juste pour pouvoir respirer, mais je n’y peux rien. Au moins, je sais que les gars sont là, que je peux compter sur eux comme j’ai toujours pu le faire, qu’on ne me forcera jamais à faire quoi que ce soit dont je suis incapable. Et puis, il y a l’autre famille, celle de sang. Ma mère et ma sœur sont toujours aussi encourageantes, et j’ai réussi à renouer le contact avec Noa, après l’avoir carrément déçu. Il a accepté mes excuses, m’a dit qu’il comprenait, mais je m’efforce d’être encore plus présent pour lui maintenant, pour lui montrer que je ne l’abandonnerai pas, que je ne l’abandonnerai plus. Je ne peux pas être constamment avec lui, pour plein de raisons différentes, mais j’essaie de faire sentir ma présence en envoyant des messages, en me pointant chez lui sans l’avoir prévenu ou en lui faisant parvenir des petits cadeaux, rien de bien exceptionnel, juste de petites attentions. C’est sûrement idiot, comme façon de faire, mais je veux juste qu’il sache que je suis là. Et c’est pour ça que je me retrouve dehors, aujourd’hui. On est en pleine préparation de la tournée avec les gars et j’ai pas eu beaucoup de temps à moi ces derniers temps. J’ai donc décidé de sortir pour trouver quelque chose qui ferait sourire mon petit frère en le recevant. Après m’être arrêté pour prendre un café à emporter, je me suis finalement décidé, trouvant l’idée amusante et plutôt mignonne. C’est d’un pas décidé que je marche vers la petite boutique que j’ai repérée. Café toujours en main, je commence à faire le tour de l’endroit, n’ayant absolument aucune idée de quoi prendre. Je finis par repérer un employé et me dirige vers lui, me raclant la gorge pour attirer son attention, puisqu’il est dos à moi.

« Hm, excusez-moi ? J’ai besoin d’un petit... »

Je m’arrête de parler lorsqu’il se retourne et hausse les sourcils. Ça, pour une surprise. Je souris doucement en reconnaissant Luka, glissant ma main libre dans mes cheveux.

« Oh. Salut ? Je… Pardon, tu… Tu travailles ici ? »

La question était complètement con, ça c’est clair, alors forcément que la réponse serait tout aussi con. Pourtant, je peux pas m’empêcher de sourire, même de rire un petit peu. Probablement le rire le plus franc qui ait franchi mes lèvres depuis un moment. Pas que les gars m’aient pas fait rire, mais je sais qu’ils essaient juste d’être là pour moi, qu’ils veulent simplement me faire penser à autre chose. Alors que là, y’a rien de tout ça. Là, Luka a juste l’air d’un poisson hors de l’eau, qui savait absolument pas comment répondre à ma question de merde... Et qui l’a pourtant fait avec brio. C’est juste... Marrant. C’est tout.

« Ah. Euh... Ouais. Du genre t’as vu de la lumière tu t’es dit que t’allais entrer, quoi. Plutôt sympa de ta part. »

Je plisse les yeux en hochant la tête de façon appréciative... Avant qu’il ne reprenne finalement la parole, me faisant hausser les épaules.

« C’est ma question qui était stupide, on va pas se mentir. J’étais juste... Surpris de te voir là, je m’y attendais pas. Quant au surf, effectivement, je pense que c’est mieux si tu restes loin de l’eau. J’ai pas trop le temps de venir à ta rescousse à chaque fois. »

Tentative de plaisanterie à son tour, pas très concluante. Il se racla la gorge après une nouvelle gorgée de café.

« Hum, ouais, j’ai besoin d’aide effectivement. Je suis pas trop trop doué dans les fleurs alors euh... Ouais. Je recherche, euh... Je sais pas vraiment, en fait. »

Pas des roses – il n’en achetait que pour Charlie – mais il ne connaissait absolument pas les autres fleurs alors il ne savait pas trop ce qu’il était censé acheter. On achetait quoi comme genre de fleurs pour son petit frère qu’on avait déçu à mort ?

« Je… Ce serait cool que tu sois discret sur tout ça, mais je te fais confiance. C’est pour mon frère, en fait. J’ai des trucs à me faire pardonner et je me suis dit que les fleurs c’était cool comme cadeau. Genre pas classique, le cadeau qu’on reçoit pas forcément tous les jours. Il a 18 ans, il est hypersensible, il est un peu euh... Un peu dans son monde. Je sais pas si ça t’aide, désolé, mais je sais juste pas du tout quoi choisir. Ça fait pas beaucoup d’infos. Tu penses que tu peux m’aider quand même, s’il te plaît ? »

Je suis pas tout à fait certain qu’on le prenne pour un fou, pour être tout à fait honnête. En ce moment, toute la presse à scandale et la presse tout court même cherche tout et n’importe quoi à mon sujet, histoire de faire des articles à la con sur la mort de Charlie. Le moindre truc les intéresse. Alors me savoir chez un fleuriste pourrait lancer je sais pas combien de rumeurs. Mais je me contente d’hausser les épaules, satisfait par sa réponse. Je sais pas pourquoi mais j’ai envie de le croire, ce mec. Après tout, il est pas allé se vanter partout que je l’avais sorti de l’eau, ce qui est déjà vraiment bon signe. Il commence rapidement à m’expliquer ce qui pourrait me convenir et j’écoute attentivement, ayant vraiment envie de faire la meilleure chose possible pour Noa. Sa première suggestion me donne un frisson et je détourne le regard une seconde, n’ayant vraiment pas envie de me mettre à pleurer pour l’instant. Les roses, ce n’est pas une option. Peut-être que ça le redeviendra, un jour, mais c’est encore trop tôt. Jacinthe... C’est quoi déjà, ça ? Il en sort une et je penche la tête sur le côté. Pourquoi est-ce qu’il me dit qu’elle est violette et il me sort un truc vert ? C’est normal de vendre des fleurs pas écloses ? J’y comprends rien à tout ça moi... Il continue à parler et je me mords l’intérieur de la joue. Noa ne m’en veut pas, il me l’a dit, mais je peux pas m’empêcher de penser que ma connerie était énorme. Il me sourit et je ne peux m’empêcher de faire la même chose avant de soupirer longuement.

« J’espère qu’il aura le même genre de pensée que toi. Mais je pense que oui. Je sais même pas si on lui en a déjà offert, j’espère que oui. »

Ne pas me mettre la pression pour un truc qui concerne Noa, c’est vraiment difficile. J’ai envie d’être le grand frère parfait, celui dont il a besoin et qu’il mérite. Il a perdu sa mère, a un géniteur qui ne mérite même pas qu’on évoque son nom, et n’a globalement pas la vie la plus facile qui soit. Alors merde, il mérite quelqu’un qui soit là pour lui, qui l’accompagne et l’encourage.

« Est-ce qu’il y a des fleurs qui durent un peu plus longtemps que d’autres ? Y’en a qui fanent super vite et je me dis que c’est peut-être mieux un truc qui tienne plusieurs jours ? Je sais pas, qu’est-ce que t’en penses ? »

Après tout, c’est lui le spécialiste ! Enfin, ça a l’air d’être un spécialiste. Je regarde un peu autour de moi et souris légèrement.

« Elle est cool, cette boutique. Je venais souvent dans le quartier avant mais j’avais jamais trop fait gaffe. Je m’arrêtais juste prendre un café en face, en général. Mais bon, maintenant je sais que si j’ai besoin de fleurs je connais un bon vendeur. »

Discussion un peu bizarre, pas vraiment forcée, mais un peu malaisante. Je sais pas trop quoi lui dire, mais j’ai envie de discuter avec lui. Peut-être parce que c’est à peu près la seule personne à pas me rappeler Charlie, à pas me prendre avec des pincettes. Je me sens bien, là, dans cette petite boutique. Y’a tellement de fleurs et de plantes partout qu’on peut pas voir grand-chose de l’extérieur, alors je me sens un peu protégé. Si j’avais la main verte, j’achèterais des dizaines de trucs histoire de mettre des touches de couleur dans ma nouvelle maison.

« Merci, au fait. De pas avoir parlé de la dernière fois à qui que ce soit. »

C’est vrai que ça fait de l’effet, de recevoir des fleurs. Mais j’ai envie de me dire que je serai pas le premier à lui en offrir, parce que ça voudrait dire que quelqu’un d’autre aurait eu ce genre d’attention pour lui et je peux lui souhaiter que ça.

« Je sais pas. J’dirais que c’est dans tous les cas une première fois en fonction de la personne qui les offre. Quelqu’un qui t’a jamais offert de fleurs et qui t’en offre, tu t’en souviens longtemps aussi. »

Les premières roses offertes par Charlie, je m’en souviendrai probablement toute ma vie. Pourtant, c’était pas les premières que j’ai reçues. Ouais, ça dépend de la personne je pense. Mais effectivement, y’a des chances pour que mon petit frère soit content. C’était une bonne idée, au final. Luka continue à me montrer des fleurs, à m’expliquer des trucs que j’arrive ni à comprendre ni à retenir. C’est décidément pas mon truc, tout ça. Je grimace un peu et prends une gorgée de café, avant qu’il ne soit complètement froid.

« J’t’avoue que j’en ai aucune idée, vraiment j’arrive pas à me décider. Je peux... Tu serais ok que je te fasse juste confiance et que tu fasses un truc ? Pas forcément un bouquet, juste... J’sais pas, un truc qui t’inspire ? J’arriverai jamais à me décider sinon. »

Si on parlait musique, je serais vachement plus à mon aise, mais là c’est pas du tout le cas. Autant laisser le choix à l’expert. Au moins, je suis sûr que ce sera pas moche ! ‘Fin à vrai dire j’en sais rien, hormis ce qui m’entoure je connais pas son travail, je sais pas ce qu’il est capable de faire, mais ça me paraît cool. Et puis lui aussi, il est cool, alors pourquoi pas lui faire confiance ? Ouais. C’est une bonne idée. Toujours de bonnes idées, le Gabe.

« Ton patron doit être content avec un vendeur pareil en vrai. Franchement pro. Sauf sur un surf, quoi. Et ouais, il est bon, j’aime beaucoup. J’habitais pas loin. »

C’est là que je me suis installé en revenant en ville, là où Charlie a emménagé avec moi. Trop de souvenirs, fallait bouger. Mais j’aime bien revenir par ici, j’ai certaines habitudes qui me manquent, comme ce café par exemple. Je pense que je reviendrai un peu plus souvent, maintenant que je connais ce havre de verdure, qui a l’air carrément loin de tout. J’en profite pour le remercier de n’avoir rien dit à personne pour la dernière fois et sa réponse me fait rire. J’aime beaucoup sa façon de rebondir et me renvoyer la balle, il est plutôt marrant.

« Ah ben oui. Suis-je bête ! »

J’hoche ensuite doucement la tête. Effectivement, j’ai pas besoin de ça. On m’a suffisamment tapé sur la gueule dans les médias récemment, ils auraient juste trouvé un moyen de détourner ça, de dire que je suis déjà passé à autre chose ou je sais pas trop quoi. Et puis, il continue à parler et je me mets à mordre l’intérieur de ma joue. Merde. Sa blague passe complètement inaperçue dans mon esprit, plus concentré sur le fait qu’il ait été témoin de mon énorme crise de panique. Je déteste avoir ce genre d’image auprès des fans, mais c’est encore plus gênant quand c’est quelqu’un que j’ai en face de moi.

« Ah. J’t’ai pas aperçu dans la foule. Mais euh... Content que ça t’ait plu. »

J’ai sûrement l’air d’un connard à pas lui répondre de façon hyper enthousiaste, mais j’ai un souvenir mitigé de ce soir-là. J’espère juste qu’il va pas m’en vouloir trop...

Tendu ? Nan, à peine. Comme tout ce qui concerne mon petit frère, en vrai. J’ai l’impression que je vais foirer à n’importe quel moment, que je vais encore le décevoir et qu’il va m’en vouloir à vie. Vraiment, c’est assez relou comme sensation. Mais j’ai envie de lui faire confiance, à Luka. C’est pour ça d’ailleurs que je lui demande de créer lui-même un truc, sans m’avoir sur le dos pour quoi que ce soit. C’est son domaine après tout, il est clairement capable de faire quelque chose d’incroyable sans que je lui donne aucune indication. C’est même sûr que si je lui donnais la moindre instruction, ça serait complètement foiré.

« Eh ben c’est parfait alors ! Si ça t’inspire, vraiment, fais-toi plaisir. »

Il me propose de rester ou d’aller me poser en face et je sais pas trop quoi choisir. J’ai peur d’être relou si je reste ici et de bloquer sa créativité, ce qui serait vraiment pourri. Alors je me mets à regarder autour de moi, puis lance une exclamation de victoire en trouvant ce que je cherchais. Je pose mon café sur le comptoir et attrape doucement le pot en argile – peint de la même couleur que les yeux de Noa – avant de le tendre au fleuriste.

« Voilà ma petite touche à moi. Si tu peux mettre tout ça là-dedans... Ça sera nikel ! Comme ça je t’embête pas pendant que tu crées ton truc. Ça te va ? »

C’est peut-être pas faisable, j’ai aucune idée de ce qu’il veut faire, mais au moins j’aurais essayé, non ? C’est l’essentiel. Le sujet dévie et on se met à parler du dernier concert du groupe. Enfin, j’avoue que j’ai pas vraiment envie d’en parler, mais il semble plutôt décidé et se lance dans un petit discours qui finit par me faire sourire. C’est très mignon, ce qu’il est en train de dire. Même si pour l’instant, mon cerveau est pas tout à fait d’accord, j’imagine que quand j’irai un peu mieux, je verrai les choses de la même façon. Je me suis toujours présenté comme un mec ordinaire, même quand je me cachais derrière un pseudo. Pas un super-héros, pas une célébrité intouchable. Juste un mec, qui a parfois des problèmes, qui s’en sort pas toujours. Alors ouais, peut-être qu’il a raison de dire tout ça, que les fans ont besoin de me voir dans des moments pas fous pour savoir qu’au fond on est comme eux. J’en sais rien et j’ai pas trop envie d’y réfléchir pour l’instant je crois. Mon silence a peut-être été trop long parce qu’il s’excuse et je secoue la tête, posant une main sur son épaule.

« T’excuse pas, t’as rien fait de mal. »

Je l’enlève et reprend la parole après m’être raclé la gorge.

« C’est juste… Pas evident d’en parler. Mais merci. Ça fait du bien d’entendre ce genre de chose, de se rappeler qu’on est humains avant tout et qu’on a le droit de... Bref. Merci. »

Je lui souris doucement, avant de glisser les mains dans mes poches.

« À la base, je venais par ici pour racheter des roues pour mon skate, y’a un super magasin pas très loin. Donc je vais aller faire ça et je reviens après ? Si ça te va, bien sûr ! »