Comme quasiment à chaque fois que je m’apprête à monter sur scène je me bois l’équivalent d’un demi litre d’eau. C’est autant pour calmer mon estomac qui se contracte que parce qu’une fois les projecteurs sur moi je vais mourir de chaud. J’éprouve toujours ce trac avant un numéro, particulièrement ceux où je suis au centre de l’attention. Jusqu’à présent je n’ai jamais connu la moindre catastrophe et je continue de croire fermement en ma bonne étoile, toutefois je ne voudrais pas me porter malheur et je continue mes petites habitudes comme pour me réconforter. Cora ne peut s’empêcher de revenir vers moi s’assurer que mes cheveux roux tombent bien comme il faut et que mon maquillage – certes léger – ne bave pas. « T’es parfaite ! » Me souffle-t-elle avec un sourire ravi que je lui rends. J’ai arrêté de rougir aux compliments vers l’âge de seize ans, hormis lorsqu’ils sont très osés. L’inconvénient avec une peau aussi claire que la mienne c’est que le moindre rougissement se voit à des kilomètres, je ne parle même pas de ma peau rosée après des ébats sexuels. Ronald me fait signe de me préparer et j’inspire longuement puis expire encore plus longtemps. Ça me permet de calmer mes nerfs et de dénouer mon estomac contracté. Toutes les lumières sur scène éteintes, je vais m’installer sur le canapé installé au milieu de la scène, les filles me suivant pour se mettre en place. Je replie mes jambes et laisse mes pieds habillés de talons aiguilles rouges dépasser. Tête baissée, mes cheveux retombent sur ma poitrine et cache la jolie brassière en dentelle de la même couleur que mes chaussures. La poursuite braquée sur moi la première chose à s’élever dans ma salle est ma voix qui entame les premières paroles de Diamonds Are A Girl’s Best Friend avant que la musique démarre et que la chorégraphie ne commence. Se mêle merveilleusement bien les paroles et la musique de Material Girl. Mon stress totalement disparu, mon corps se laisse emporter par la musique et suit cette chorégraphie apprise encore et encore au point de faire partie de moi. J’ai le souffle court et un large sourire aux lèvres lorsque les applaudissements explosent et qu’il est temps pour moi de laisser place à la prochaine performance. « Eh Nola ! T’as vu le DJ de ce soir ? Amber m’a dit qu’il est ultra canon, elle semble bien déterminée à l’amener chez elle celui-là. » Me dit Tonia accrochée à mon bras lorsque nous descendons les petites marches pour rejoindre les coulisses. « Qui Amber n’a pas envie de foutre dans son lit de toute manière ? » Je lève les yeux au ciel alors que Tonia pouffe. Cela dit je suis quand même bien curieuse de voir qui a été choisi pour mixer ce soir. Je suis déjà en train d’imaginer le type en question lorsque dans le couloir qui longe la scène j’aperçois une tête qui dépasse toutes les autres. Une tête que je n’ai pas vu depuis deux ans et dont le regard se braque immédiatement sur moi. Chaque fibre de mon corps réagit instantanément à sa présence au point que mes jambes décident de se mettre en marche toutes seules et de m’emmener droit devant lui. J’en oublie que je suis plus proche de nue que d’habillée face à un homme avec qui j’ai partagé plus ou moins ma vie pendant quatre ans. « C’est toi le fameux DJ ultra canon dont elles n’arrêtent pas de parler … » Ce n’est même pas une question, c’est juste une affirmation. Deux ans que je ne l’ai pas vu ce qui avec nos familles est un miracle, mais sa dernière tournée m’a grandement aidé à ne pas avoir à l’affronter durant tout ce temps. Et pourtant, à le voir là, devant moi, il m’a sacrément manqué.
Etre vraiment de retour dans ma vie natale est presqu’étrange. Oh, j’ai toujours mes repères, au final, même si je pars souvent, je reviens toujours. Mais après avoir fait une grosse tournée en Europe, remplie les plus beaux endroits, Los Angeles est presque peu fade, à mon goût. Mais c’est une nouvelle réalité avec laquelle je vais devoir m’habituer, parce que pour le moment, je mets en pause mes tournées. Une décision difficile, mais après 8 ans à vagabonder la planète, je préfère me concentrer peut-être sur un prochain album que de vouloir m’engager partout. Bon, j’ai encore quelques contrats et des obligations, mais je devrais arriver à voyager moi pour commencer une vie plus sérieuse à Los Angeles. Mes parents sont ravis que je revienne vivre ici, mes frères et sœurs aussi. Mais, je suis surtout fatiguée de devoir me taper ses déplacements, décalages horaires à gogo et transports. Je suis de retour que depuis quelques semaines maintenant et commence doucement à prendre des marques dans ma nouvelle maison. Ce soir, je rends néanmoins un coup de main à Eleanor, qui m’a limite sauté dessus – enfin littéralement même – en voyant que le DJ qu’elle avait commandé avait annulé. J’ai donc voulu dépanner, et c’est dans ce cabaret que j’ai finis. La première partie étant allouée aux filles, je m’occupe de la seconde, pour faire endiabler le dancefloor. « Y’a du monde dis donc » Je glisse à Eleanor, en venant déposer un baiser sur sa tempe. « Oh tiens, te voilà ! Le Show va pas tarder à commencer, ils viennent pour ça. » « Tu peux me dire à quoi je sers alors ? » Elle se met à rire et à hausser les épaules : « Tu es l’extra avec ta belle gueule » Je lève les yeux au ciel m’installe un peu mieux sur mon siège VIP en regardant la scène qui commence à s’animer. Une femme s’installe, et lorsqu’elle est illuminée par la poursuite, je recrache l’entièreté de mon champagne que j’étais en train de boire. « Mais ça va pas ? » Je tousse, en regardant toujours cette scène où elle semble danser. Enfin, se trémousser est le mot. Elle est si peu vêtue que son corps que je connais par cœur me monte à la tête, déjà. Elle semble heureuse, épanouie dans le spectacle qu’elle donne, mais moi ça ne me plait guerre, parce que tout le monde se rince l’œil, la matte ouvertement. Ses mecs en chiens, merde ! « Ça va ? » La main sur mon épaule d’Eleanor me force à acquiescer, mais ce n’est pas le cas. Je vois rouge, parce que je ne m’attendais pas à voir Nola Jorgensen sur la piste, à moitié vêtue. Non, je ne m’attendais pas à voir celle que j’ai aimé se trémousser ouvertement et être l’appel au sexe et à la dépravation en un seul show. Les applaudissements pleuvent, je n’y arrive pas. Je me lève doucement, et m’aventure dans les coulisses prétextant que je dois vérifier mon matos avant de commencer, et que j’en profite avec les prochains numéros. C’est là que je la vois, dans son costume qui me révulse et ses talons aiguilles qui claquent à mesure qu’elle s’approche. « C’est toi le fameux DJ ultra canon dont elle n’arrêtent pas de parler… » Dit-elle aussi sérieusement, comme si elle était énervée. Mais merde, a-t-elle conscience de ce qu’elle fait ? « C’était quoi ça, Nola ? » J’ose demander en lui désignant la scène, le regard électrique qui tombe dans le sien.
La première fois que mon père m’a vu sur scène il me semble que ma mère a dû lui tenir la main pour qu’il reste en place. Autrement je le connais assez pour savoir qu’il n’aurait eu aucune retenu : il serait monté sur scène et m’aurait couvert ne supportant pas l’idée que des tas d’hommes regardent sa fille avec envie. Tomas et Jay n’ont pas été plus heureux, surtout Jay qui ne se gêne pas pour me faire une remarque déplacée à chaque fois qu’il le peut. Tomas est plus … réservé sur le sujet depuis quelques temps et je suppose qu’il accepte que je sois heureuse dans ce que je fais. Ce qui est le cas ! La danse est ma passion depuis toujours et j’aime le pouvoir que j’ai sur scène. Être désirée n’est pas un objectif en soit mais il est valorisant de savoir que je peux être convoitée même si personne ne me touchera. Nous ne sommes pas dans une maison close, aucune d’entre nous n’est une prostituée. Nous sommes des danseuses, des chanteuses pour certaines comme moi, ça s’arrête là. Le premier homme qui tente quoi que ce soit se voit interdire l’accès au cabaret. Donc je n’ai jamais eu à me faire le moindre souci à chaque fois que je suis montée sur scène pour une numéro différent. Parfois il m’arrive d’enchaîner deux de suite mais ce soir j’ai accepté de dépanner et de reprendre le rôle de serveuse que j’avais en arrivant ici pour la première fois. Ce sont des habitudes qui ne se perdent pas, un peu comme le vélo. Il faut croire que mes plans sont un peu déviés de leur trajectoire quand j’aperçois James au long. Connaissant son métier, il ne me faut pas très longtemps pour comprendre que le type dont parlent les filles – celui que Amber veut se taper – c’est lui. Et mon ex petit ami semble tellement ravi que je me retiens de soupirer. « C’était quoi ça, Nola ? » J’aurais dû me douter à sa tête qu’il n’allait pas me répondre et sauter sur la critique aussitôt. « Ça s’appelle une performance, Jamie. » Je soupire en retirant le bout de tissu qui servait de gilet avant d’attacher mes cheveux roux qui me tiennent trop chaud. « Ça va, on dirait Tomas ou Jay avec cette tête ! Je ne suis pas en train de me prostituer, calme-toi ! » Ils ont quoi les hommes de mon entourage à s’imaginer que se produire dans un cabaret signifie forcément baiser avec un homme ? Et surtout : pour qui se prend-il ? C’est lui qui m’a trompé, pas l’inverse. « Continu de m’assassiner du regard comme ça et je vais passer de contente de te voir à l’envie de t’en coller une. » Ça pourrait être touchant dans un autre contexte que notre relation mais ça ne l’est pas.
« Ça s’appelle une performance, Jamie. » Le simple fait d’entendre le surnom exclusif qu’elle me donnait me fait frissonner et n’aide pas à me sentir mal en face d’elle. Avec sa soit disant performance, je vois rouge, parce qu’elle est plus que dénudée et que toute la salle a vu son corps. Le corps qui me manque tellement. Merde, il suffit d’un simple regard vers elle pour que je rechute comme un con. Je pensais avoir passé le cap et fait le deuil de notre relation. Mais faut croire que l’amour que j’ai pour elle est intemporel. J’ai juste cette promesse en tête, que je me suis faite : plus jamais je ne l’a fait souffrir. Alors, j’ai fait une croix sur ma relation avec elle, parce qu’elle est nettement mieux sans moi. « Une performance n’a pas à être autant….dénudé ! » Je dis d’une voix bien trop autoritaire, comme si malgré moi mon côté protecteur reprends le dessus. « Ça va, on dirait Tomas ou Jay avec cette tête ! Je suis pas en train de me prostituer, calme-toi ! » Je lève les yeux en ajoutant : « Encore heureux. » A vrai dire, imaginer un homme posant sur sa jolie peau clair me donne des envies de meurtres, je le sais. Forcément la voir se pavaner sur scène dans cette petite tenue ne me plait guère. « Continue de m’assassiner du regard comme ça et je vais passer de contente à te voir à l’envie de t’en coller une » Je croise les bras sur mon torse, pour masquer mon énervement, mais j’enregistre l’information bien après. Attends quoi ? Elle est contente de me voir ? Moi qui lui ais brisé le cœur ? Moi qui ais piétiné ma promesse, notre avenir et notre couple ? Non, c’est clairement pas possible. Elle devrait simplement me haïr. Mes bras retombent doucement alors que mon regard se plante dans le sien et que j’ose lui poser d’une voix bien plus douce et sincère : « T’es…contente de me voir ? » Après une rupture difficile, deux ans à broyer du noir, et à tenter de l’oublier avec toutes les nanas qui sont passées dans mon lit, je n’ai pas réussi une seule seconde à me l’enlever de la tête. Parce que je sais que j’aimerai toujours Nola Jorgensen, même si pour son bonheur, je dois m’effacer et lui laisser l’opportunité de trouver quelqu’un de meilleur.
Son jugement à la con est déjà en train de m’agacer. J’ai eu le droit au petit sermon de plusieurs personnes lorsque j’ai commencé, je n’ai certainement pas besoin que lui vienne me dire quoi que ce soit. Je ne fais rien de mal et j’exerce un métier que j’aime. D’accord, je ne suis pas très habillée mais je ne suis pas nue et aucune partie de mon anatomie n’est dévoilée – dieu merci ! C’est suggestif et c’est ce que j’apprécie là-dedans, sans parler des tenues qui sont merveilleuses et me font rêver à chaque fois qu’on me les présente. Une vraie petite princesse, c’est ce que j’ai l’impression d’être lorsque je vois tout ça et mon sourire ne quitte jamais mes lèvres, hormis là avec le regard désapprobateur de James sur moi. « Une performance n’a pas à être autant … dénudé ! » Mes talons sont hauts mais pas assez pour gommer la différence de taille qu’il y a toujours eu entre nous. Sur ce point je tiens plus de ma mère que de mon père et c’était très agaçant à chaque fois que j’ai essayé de lui tenir tête, comme ce soir. Je garde les bras croisés contre ma poitrine et si mon regard n’est pas mauvais, il est agacé. « T’as regardé où tu m’étais les pieds avant de venir ? » C’est un cabaret. Différent de ceux d’époque mais le thème reste très similaire et les performances ultra proches. Des femmes en petites tenues qui offrent du spectacle à des hommes et à d’autres femmes. Et puis quand on voit la tenue des danseurs de ballets ce n’est pas énormément plus habillé, il y a juste plus de collant opaque. « Encore heureux. » Déclare-t-il après m’avoir entendu dire que je ne me prostitue pas. Je le connais trop bien pour ne pas saisir qu’il n’aime pas l’idée que des hommes puissent me voir comme ça. Ce n’est pas seulement être protecteur, c’est être possessif et ça, il en a perdu le droit le soir où il a mis sa queue dans une autre femme. En revanche, m’entendre lui dire que je suis contente de le voir semble lui faire un choc à la manière dont il me regarde en décroisant ses bras. « T’es … contente de me voir ? » Je peux comprendre que ça le surprenne étant donné la fin de notre relation. « L’extrême rancunière c’est Hope, pas moi. » Dis-je en me penchant pour retirer une chaussure et ainsi perdre les centimètres que j’avais gagné. « J’ai passé un long moment à t’en vouloir, c’est vrai. Ça l’est autant que le fait que tu m’as fait du mal, mais on a grandi ensemble et une partie de moi est perpétuellement en manque de ta présence. » J’enlève ma deuxième chaussure et pousse un soupire de soulagement. « Je ne sais et n’aime pas mentir, je suis pas capable de te faire confiance sur un point de vue sentimental et je te confierai plus mon cœur, mais oui je suis contente de te voir. » Ce que je préfère ne pas dire c’est que malgré tout ça, malgré tout le mal, je continuerai de l’aimer en sachant qu’aucun homme ne pourra le remplacer. J’ai donc arrêté de chercher, arrêté de vouloir me poser, puisque le seul homme que je veux réellement je ne m’y autoriserai pas de peur de souffrir. « Nola, on t’attend pour prendre ton service. » Jake arrive de nulle part, nous regarde tous les deux et repart. « Je dois aller bosser et toi tu vas bientôt devoir faire ta magie mais reste après la fermeture, je t’offre un verre, Jake me doit une faveur. » J’attends sa réponse avec une certaine angoisse. J’ai envie de lui parler, envie de savoir ce qu’il a fait durant ces deux ans – sans vouloir entendre parler des femmes – mais ça ne dépend que de lui.
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Jeu 7 Mai - 18:22
