“ hold onto me 'cause I'm a little unsteady JUILLET 2010 Crayon à la main, carnet posé sur la table près de l’air de jeux aménagé pour les sœurs Spencer, Charlotte fixe le dessin qu’elle a sous les yeux … Non, c’est même plus que ça : c’est une carte au trésor, un parcours qu’elle s’est inventé pour occuper son après-midi. Personne au manoir hormis son père aujourd’hui, sa mère ayant emmené Elvire en ville avec elle pour racheter cette fameuse robe que sa jumelle est parvenue à abîmer en même pas trois jours. Charlotte, elle, est restée par envie même si la voir séparer de sa sœur reste relativement rare. Liées comme quelques jumeaux le sont, Elvire c’est une partie d’elle, une partie de son âme et son ombre - et inversement. Impossible de séparer ces deux petites têtes rousses et pourtant l’enfant a préféré rester dehors pour profiter du soleil. Crayon désormais entre ses lèvres qu’elle mordille en analysant sa carte, elle se redresse et observe la fenêtre donnant sur le bureau de son père. Comme depuis deux heures, ce dernier est encore au téléphone et ne prête que très peu attention à sa famille, tant mieux ! Si la rebelle est sa sœur, que Charlotte reste dans le droit chemin, elle n’en est pas moins une enfant et comme tous les enfants elle a parfois besoin d’aventures, besoin de sortir du chemin qu’on lui a tracé, particulièrement en tant que Spencer. Crayon relâché, la petite fille attrape sa carte, la plie en quatre et la range dans la poche arrière de sa jupe en jeans. Ses mains attrapent ses cheveux attachés en queue haute et resserrent alors qu’elle s’approche d’une des murs du manoir, celui recouvert de plantes grimpantes qui l’aideront dans sa mission. « Charlotte, tu as fini tes devoirs de mathématiques ? » entend-elle son père lui demander. Aussitôt, elle s’arrête, grimace un instant et s’éloigne pour ne pas attirer l’attention de son paternel. « Dans une minute ! » Qu’elle ose mentir sans entendre de retour de son père, signal que la voie est désormais libre. Une main accrochée, son pied suit et elle commence à grimper. Gamine pas toujours intrépide, la voilà pourtant qui escalade sans la moindre crainte jusqu’à devoir se faufiler discrètement sous la fenêtre du bureau de son père qui, par le plus grand des hasards, s'approche, téléphone en main. Stoppée, la petite tend l’oreille non pas pour espionner mais pour savoir quand continuer son avancée selon le parcours qu’elle s’est dessinée. « Au prix que nous vous payons, le pensionnat a plutôt tout intérêt à accueillir mes filles comme il se doit à la rentrée … » Elle l’entend dire ce qui la fait grimacer. Sans Elvire, le pensionnat serait une torture. Bien que ses notes soient toujours exemplaires et que ses professeurs n’aient jamais eu à dire quoi que ce soit à son sujet - hormis des éloges - Charlotte déteste devoir s’y rendre tous les ans. Elle, ce qu’elle souhaiterait c’est aller dans une école un peu plus normale mais elle sait que les attentes de ses parents sont bien trop hautes pour ça. La voix de son père s’éloignant, elle reprend sa mission, continue sa progression malgré le danger dans lequel elle se met, perchée si haut mais elle ne perd pas espoir. Elle grimpe encore et encore jusqu’à parvenir au toit et ainsi gagner la fenêtre qu’elle savait ouverte, celle de la chambre de ses parents. Là, elle parvient à s’y faufiler et part fouiller dans la boîte à bijoux de sa mère, celle qu’elle adore explorer lorsque cette dernière l’y autorise. Elle fouille jusqu’à le trouver, ce collier confisqué la veille par son père à sa sœur parce qu’il ne savait de quelle façon la punir de ne pas avoir écouté ses ordres. Ce collier que Charlotte porte également autour de son cou, un double qu’elle fourre dans sa poche à toute vitesse. « Charlotte ?! J’arrive vérifier tes devoirs, tu as fini ? » Le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, la petite court vers la porte, la referme aussi discrètement et pique un sprint jusqu’à sa chambre où, le souffle court, elle parvient à s’asseoir derrière son bureau et ainsi reprendre l’air de l’enfant concentrée sur ses devoirs à l’instant même où son père ouvre la porte. Peut-être que ses calculs ne seront pas bons, loin d’être parfaits même, mais au moins elle aura le privilège de voir le sourire de sa sœur illuminer son visage lorsqu’elle lui rendra son collier. MARS 2021 Un soupir glisse entre mes lèvres alors que mon esprit refuse de se concentrer sur mon cours. Pourtant, un examen important m’attend à la fin de la semaine prochaine mais tout ce à quoi je parviens à penser c’est à l’absence d’Elvire. Pourtant, voilà un petit moment qu’elle est partie pour les Etats-Unis me laissant derrière elle. Si pendant un temps j’ai pensé qu’elle finirait par revenir en Angleterre, j’ai rapidement compris que ce ne serait pas le cas et … je le vis mal. Certes mes notes restent toujours aussi excellentes, je reste première de ma promotion mais je sais que quelque chose ne va pas. Je le sens. Des années que nous sommes inséparables avec ma jumelle et désormais j’ai l’impression qu’une part de moi m’a été arrachée. Je pourrais prendre la décision de quitter à mon tour notre pays natal mais je n’ai pas son courage. Pendant des années j’ai suivi ce que me dictaient mes parents. Elvire était - et est encore - la rebelle, je suis la jumelle sage et rangée. Oh il m’est arrivé de profiter de la vie comme il se doit, je ne suis pas non plus une petite princesse bien rangée et bien parfaite. J’aime profiter. J’aime pouvoir me dire que dans quelques années je me réveillerai sans aucun regret mais pour ça je sais aussi qu’il va falloir que je trouve la force que ma sœur a eu. Abandonnant mon cours pour attraper mon MacBook, je pianote rapidement sur le clavier et ouvre une page que je n’aurais jamais pensé ouvrir jusqu’à ce soir. Mordillant ma lèvre, mon doigt survole le lien menant aux admissions à la filière de danse pour finalement remonter juste au-dessus et cliquer sur celle de journalisme. Je ne réfléchis même plus. A cet instant précis, seuls mes doigts semblent être capables de réagir. Il voyage à travers le site de l’université de Californie du Sud, cherchant de quelle façon assurer mon transfert tout en cherchant comment me trouver un stage dans un bon journal avant d’arriver. Concentrée, j’agis, remplis les formulaires et n’ai pas même de seconde pensée lorsque je clique sur envoyer. Ceci fait, je réalise avoir retenu ma respiration pendant tout ce temps. Mon dieu … ai-je réellement fait ça ? A quoi je m’attendais de toute manière ? J’en ai voulu à ma sœur de ne pas rentrer tout en comprenant son besoin de s’éloigner de cette vie dont elle ne veut pas. Moi, je suis toujours parvenue à rentrer dans le moule, comme s’il s’agissait d’une seconde nature. Cependant, rien de tout ça ne veut dire que j’aime ma vie telle qu’elle est. J’ai dû abandonner mon rêve de devenir danseuse professionnelle puisque ce métier n’entre pas dans la catégorie de "ce que monsieur et madame Spencer souhaitent pour leur fille". Le journalisme … Disons que c’est venu uniquement comme ça, sur un coup de tête. Mais vivre loin de ma sœur ? Laisser un océan nous séparer plus longtemps ? Certainement pas ! Alors, je sens naître un petit sourire au coin de mes lèvres. Je vais aller la rejoindre à Los Angeles, là où elle s’est installée en décembre sans rien lui dire. J’irais la retrouver en Californie pour retrouver cette partie de mon être qui me manque tout en veillant à ce que nos parents approuvent et en restant celle que j’ai toujours été : Charlotte la sage.