Ça doit bien être la première fois que je suis comme ça devant elle. Faible. Vulnérable. Le cœur ouvert. C’est vrai que ce n’est pas dans mon habitude. Je n’ai pas peur de dire ce que je pense ou encore d’exprimer mes sentiments, mais ce que je fais là, c’est bien au-dessus. Pour moi, c’est comme admettre que quelque chose ne va pas. Comme si une faiblesse venait de prendre réellement forme, en lui disant tout haut ce que j’ai dû vivre là-bas. Je ne sais pas pourquoi j’ai autant de mal avec tout. Peut-être parce qu’on ne m’a jamais formé pour être militaire et que ce n’est pas tellement une formalité à mes yeux.

Et maintenant qu’elle le sait, je ne sais pas ce qu’il va advenir de moi. Mon intention n’était pas de l’attendrir ou de lui donner une raison de pardonner les mots odieux que j'utilise depuis que je suis arrivé ici. Tout ceci, c’était totalement stupide de ma part et je m’en veux maintenant horriblement. Je peux enfin voir un peu plus clair, la colère qui bouillonnait en moi s'estompe plus les secondes passe, mais aussi plus les larmes continuent de couler. “Je ne sais même plus quoi faire maintenant. Je ne dors plus la nuit, tout ça, c’est trop pour moi. Ca me bouffe, vraiment. Autant l’armée et ce qui s’est passé là-bas, que l’amour que j’ai pour toi, mais qui semble être si loin…” d’une voix un peu défaillante, alors qu’elle s’approche de moi, pour coller sa tête contre la mienne. Je n’ai pas eu l’occasion de l’avoir si proche de moi depuis très longtemps, si bien que j’ai un frisson qui me remonte dans le dos. Je ferme les yeux quand je sens ses mains qui se posent sur mes joues. “Tu n’as pas besoin de t’excuser, toi tu n’es pas du tout fautive dans cette histoire. Tout est de ma faute, comme toujours. Autant là-bas, qu’ici. J’ai l’impression de toujours décevoir les gens.”

Ce moment, ou elle vient me prendre dans ses bras, j’ai envie qu’il continue, pour toujours. Ne jamais bouger d’ici pour que cette instant continue aussi longtemps que possible. L’unique moment où je peux me sentir en sécurité, en vie. Avec elle, jusqu’à ce que la mort nous sépare. C’est bien ça qui était prévu. “Tu mérites bien mieux que la souffrance que je t’ai donné. Tu mérites mieux que moi.” alors qu’elle est toujours dans mes bras.

Ne pas rester dans cet état, c’est bien plus facile à dire qu’à faire. Je le sais très bien que je suis différent maintenant. Comme si le Luke d’avant l’armée n’était plus présent. Et pourtant, qu’est-ce que j’aimerais redevenir cet homme, toute ma vie pourrait être bien mieux que ce que je peux subir en ce moment. Ce n’est qu’une question de choix, j’imagine. En tout cas, c’est ce que ma sœur m’a dit. Ca ne tient qu’à moi de trouver le moyen pour avancer et laisser tout ça derrière moi. Plus facile à dire qu’à faire. “Quand je suis rentré de l’armée, je ne suis pas revenu ici tout de suite. Je suis resté dans un hôpital militaire en Europe durant un temps. J’avais une psy là-bas, ça allait un peu mieux. Je pense que je devrais voir quelqu’un ici, tu as raison.”

Je reste bien vaste dans mes paroles, je ne veux pas vraiment lui dire que je suis resté là-bas, car cette scène, qui m’a forcé à rentrer, m’avait touché bien plus que ce que je peux dire maintenant. J’avais besoin de faire le point et d’être aidé à reprendre un sens à la vie, si je peux dire. “Je le sais très bien que je ne suis pas le seul, mais certaine erreur peuvent te gâcher la vie, j’ai l’impression d’être doué pour ça.” C’est vrai, il suffit de me regarder, assis sur le sol, lamentable. Je ne sais même pas pourquoi j’ai pu avoir cette réaction en arrivant ici. J’imagine que c’est aussi parce que je commence à reprendre mon calme et que l’alcool s'atténue un peu.

Cette sensation, qu’est-ce qu’elle m’avait manqué. De sentir sa présence contre moi, sa peau, sur ma joue. J’en ai même un frisson qui vient me foudroyer tout le long de mon échine. Je ferme un léger instant les yeux, voulant juste profiter de ce moment, comme si rien de tout ça ne s’était passé, comme si ces dernières années n’avaient pas eu lieu. “Chaque jour, je pensais à toi. Tu ne pouvais pas sortir de ma tête.” Je passe la main dans ma veste pour attraper mon porte-feuille et en sortir une photo d’elle. “J’avais ça, accroché au-dessus de mon lit. C’était un peu comme si tu étais avec moi.” Puis, je viens relever la tête, pour ancrer mon regard dans le sien. “Je t’aime Lou, je t’ai toujours aimé et je t’aimerai toujours. Tu es toute ma vie et ma vie n’est rien sans toi.” Arme à terre, je n’ai plus rien à dire. Aucun reproche, aucune méchanceté, tout ça, c’est très loin maintenant. L’armure vient de tomber, me révélant ainsi devant elle. Vulnérable.

Est-ce que j’avais imaginé une seule seconde que la situation allait tourner comme ça avant de venir ? Non, pas du tout et bien au contraire. Au début, c’est vrai que l’unique motivation de ma visite, aussi impromptue soit-elle, était uniquement pour avoir une réponse simple à ma question. Mais je m’en rends bien compte maintenant, en la retrouvant contre moi, dans mes bras. Ce n’est pas difficile de voir que je suis un parfait idiot. “Je ne sais pas quoi faire, je suis perdu.” Je crois bien que je ne l’avais jamais dit à voix haute, c’est une sensation étrange. Accepter la vérité, tout en la dévoilant à quelqu’un, même si ce n’est pas n’importe qui. Pour moi, je ne mérite tellement pas d’être pardonné. Encore moins après mon petit numéro de ce soir. “C’était bien plus qu’une erreur, c’était un choix de ma part. Quelque chose que je n’arrive pas à me pardonner.”

Je suis l’unique coupable dans cette histoire. De sa souffrance, de ma souffrance. Mon égoïsme m’a poussé à faire du mal, comment est-ce que je pourrais me rattraper pour ça. Je le sais très bien, quand je vois cette photo. Ce qui me poussait chaque soir à la regarder quand je me trouvais loin d’elle. La culpabilité. Mais ça, je ne veux pas le dire, c’est… je ne sais pas. Une faiblesse. Et même si maintenant, c’est difficile de garder la tête haute, c’est quelque chose que je dois faire, j’en suis certain. Je ne sais pas encore si je vais pouvoir le faire, mais je dois apprendre à vivre avec les choix que j’ai pu faire.

Mais c’est elle, qui me fait comprendre que tout est différent. En un instant, je venais d’ouvrir les yeux, de me rendre compte de ce que je peux encore avoir. La réalité s’ouvrait devant moi au moment où je peux sentir ses lèvres se poser contre les miennes. Ce moment, je ne sais même pas quoi dire… C’est tout ce que j’ai toujours voulu depuis le moment ou j’ai fermé la porte et que je suis parti. Un pincement au cœur, une explosion dans ma tête, c’était tout aussi parfait pour moi que la première fois où j’ai eu la chance de l’embrasser. Je venais enfin de comprendre. Je suis rentré, je suis à la maison. Avec ma famille, c’est elle ma famille. “Plus jamais je ne te laisse toute seule, je suis à toi pour toujours.” Je viens la prendre dans mes bras, pour la rapprocher de moi et la serrer le dos contre mon torse. Mes bras autour de son torse, je ne voulais en rien quitter cette position, sortir d’ici et laisser ce moment s'évaporer. Je ne me suis jamais senti aussi bien depuis mon retour. “Je suis désolé d’être un idiot. Mais au moins, je suis ton idiot.” J’en profite pour venir délicatement l’embrasser dans le cou, puis je viens poser mon visage contre le sien, voulant juste profiter de cet instant.

C’est étrange, cette sensation. Comme si je venais de ressentir un sentiment pour la première fois. Un sentiment qu’en soit, je connais, mais que je n’avais pas eu l’occasion de connaître depuis que je suis rentré. Mais maintenant, il est là, il est présent. Cette sensation d’être vraiment de retour. D’être chez moi. Je n’avais pas besoin de grand chose finalement, juste d’elle, de ses bras, de son amour. Je m’en rends vraiment compte maintenant, que j’ai fait le mauvais choix en partant de nouveau et en la laissant derrière moi, car c’est elle, mon tout, ma famille, ma vie. “Je ne sais pas… Tu as peut-être raison. Mais ça ne m'empêche pas de souffrir, de me sentir mal.”

Ca ne va pas être facile de tout remettre en ordre, je le sais très bien. Mais si je ne le fais pas pour moi, je dois au moins le faire pour elle. Elle mérite d’être heureuse et je vais tout faire pour que ce soit le cas. “C’est toi qui vas m’abandonner tellement que je ne vais plus te lâcher.” Et c’est le cas de le dire, avec elle, actuellement dans mes bras. Pourquoi bouger, alors que je me sens parfaitement à ma place comme ça. Je ne pourrais l’expliquer, mais je sais juste que c’est ce que je voulais, depuis trop longtemps. Un besoin que je peux enfin combler. Un manque qui s’estompe, alors que je profite de cet instant, contre elle. “Je sais que ça va être difficile, mais on va le faire.”

Du temps, c’est ce qu’il nous faut, on ne redeviendra pas le couple d’avant aussi facilement. J’ai changé, durant tout ce temps, peut-être qu’elle aussi est différente. C’est un peu comme si on venait de se rencontrer et qu’on doit apprendre à se connaître. Même si j’en sais déjà énormément sur elle. “Merci Lou, de me laisser rester dans ta vie.” J’approche mon visage pour venir l’embrasser de nouveau. Maintenant, je suis présent. Je suis rentré.