Probablement en demandé-je trop ? Voir sa mère semble relever de l’impossible et je comprends. Je le comprends plus qu’elle ne l’imagine. Après la découverte de la vérité concernant les affaires de famille j’ai détesté mon père et je n’ai pas compris le choix de sa femme de rester avec lui en sachant qu’il pouvait mettre les filles en danger. Surtout, je l’ai détesté de m’impliquer dans un monde qui allait détruire le mien et j’avais raison. Il suffit de voir où j’en suis maintenant pour le comprendre. J’ai abandonné certaines choses qui n’auraient pas été compatibles avec mon nouveau mode de vie et je continue d’éprouver une certaine rancœur envers notre père. Mais la mère des filles ? Impossible de ne pas lui pardonner en sachant à quel point cacher la vérité à ses enfants lui fait du mal. Donc, lorsque Lou me demande si je promets de ne pas me mettre de son côté je commence par secouer la tête à l’affirmative. « Ça peut même se faire chez moi si ça te rassure et que tu veux un terrain un peu plus neutre. Je serais là pour m’assurer que ça ne dérive pas mais ça sera une conversation entre vous deux. » Louanor accepte, ce qui est plus que ce que je demandais. Je souris un peu trop fièrement d’ailleurs, seul véritable sourire auquel elle aura le droit ce soir. D’autant plus lorsque la conversation dérive vers mon ex petite-amie et ces sentiments que je pensais disparus. « On verra, je ne peux rien te promettre. » Je déçois assez de personnes comme ça, je ne voudrais pas faire une promesse que je ne tiendrai pas et le décevoir elle. Je ne peux pas non plus lui promettre d’être heureux en entendant qu’elle s’est mariée avec Luke. A mes yeux il ne la mérite pas, pas après ce qu’il lui a fait. Pas après la souffrance qu’il lui a infligée. Je suis méfiant et je le serais toujours, ce qui ne veut pas dire que je dois obligatoirement m’énerver vis-à-vis de ce qu’elle m’avoue. Je crains qu’elle souffre, c’est normal en tant que frère. « Encore heureux qu’il ne l’ait pas fait ! » Revenir comme si de rien n’était ça, ça m’aurait énervé ! Ça aurait fait de lui l’enfoiré qu’il est selon moi. Je ricane un peu quand il est question de mariage à Vegas et je ne peux pas m’empêcher de lâcher un « original … » un peu sarcastique. Il aurait pu l’épouser à la mairie plutôt que devant une copie d’Elvis Presley, mais passons. « Lou, t’es assez grande pour prendre tes décisions sans avoir besoin d’essayer de me convaincre. Je t’ai dit que je ferais un effort, pour le reste on verra. Il a intérêt de me prouver sa valeur c’est tout. Tu mérites d’être heureuse et aimée, si ce type ne le comprend pas il aura affaire à moi, point. » De toute manière je n’ai aucun droit d’empêcher mes sœurs de rencontrer des hommes. La seule chose que je leur demande c’est de faire attention à elles, de ne pas plonger la tête la première de peur qu’elles se blessent. Je n’ai jamais fait fuir les hommes dans leur vie mais je restais sur mes gardes, analysant tout et me renseignant parfois sur eux. Toutes les trois savent à quel point je peux m’énerver en sachant qu’on leur a fait du mal, même une seule fois et je suppose que c’est ce qui les effraie parfois.

Satisfait de sa réponse, j'approuve en agitant la tête sans un mot. C'est plus que ce que je demandais, plus que ce que sa mère n'en demande je le sais très bien. Nous savons tous les deux que ce n'est pas ce qui va entièrement crever l'abcès, il y a trop de travail pour que la situation se règle aussi facilement, mais c'est un pas en avant. Je serais là pour surveiller la conversation et pour m'assurer qu'il n'y aura pas de dérapage. Cela dit c'est une autre conversation pour un autre temps, maintenant il nous faut passer à autre chose. Même si cette autre chose ne me plaît pas le moins du monde. Parler de Kalia, admettre que l'avoir laissé partir m'a tué à l'intérieur, ça ne me plaît pas. Louanor le sait et je devrais pouvoir en parler avec elle mais ça me fait trop de mal. Je déteste cette perte de contrôle et cette incapacité à brider mes émotions lorsque ça ne va pas. Kalia m'a rendu plus faible que n'importe qui. Elle est ma plus grande faiblesse, plus que le sont mes sœurs et peut-être même mon fils. Une nouvelle fois, je me contente d'un geste de la tête pour toute réponse. Je vais tenter de m'écouter même si je n'ai pas la moindre idée de là où ça va me mener, cela dit ça ne me coûtera rien d'essayer. Enfin si Louanor peut offrir une seconde chance à Luke – ce que je ne comprends que peu – peut-être que Kalia le peut aussi me concernant ? Bon sang, voilà que je me mets à espérer l'impossible ! Je tente de me détendre, d'être autre chose qu'un pauvre con, d'être plus le frère dont elle a besoin même si je resterai toujours surprotecteur. « Je ne l'ai jamais compris, ce besoin d'avoir mon avis alors que question petit ami j'ai toujours été le pire des frères. » Admis-je. « J'en suis désolé. Je veux ce qu'il y a de mieux pour vous trois et je suis trop bien placé pour savoir que la vie est chienne quand elle s'y met. Je ne veux pas que tu souffres c'est tout. » Je passe un bras autour de ses épaules et l'amène contre moi. J'ai conscience de ne pas être toujours facile à vivre, d'avoir énormément changé depuis que j'ai accepté l'héritage de notre famille, mais il s'agit avant tout d'une peur : celle que le pire leur arrive. « On verra, Lou. Peut-être qu'un jour je serais moins méfiant. Je connais les hommes, je suis moi-même un goujat, c'est normal que je me méfie. » Quand je vois la façon que j'ai parfois de traiter les femmes il m'est impossible de croire être le seul et il n'est pas question qu'elles subissent ça.

Peut-être qu'en temps normal j'aurais réagi différemment à l'annonce du mariage de ma sœur, un mariage dont personne n'a été mis au courant, mais je n'en suis pas certain. J'aurais probablement été énervé quelques minutes pour ensuite de me radoucir. Tout ce que je souhaite c'est le bonheur de mes sœurs et même si je suis certain qu'il y aura toujours des connards pour leur faire du mal, je ne serais pas là à tout jamais pour les protéger. C'est quelque chose que je dois tenter de me mettre en tête même si ce n'est pas simple. Mes sœurs sont plus que précieuses à mes yeux, je les ai aimé et protégé dès leur naissance et me promettant de veiller sur elles quoi qu'il advienne. Mais … Peut-être dois-je apprendre à me calmer sur certains points en freinant le frère protecteur que je suis ? Je l'ignore. Toujours est-il que je réagis calmement, bien plus que ce à quoi elle a dû s'attendre même si je ne mâche pas forcément mes mots. « Je ne suis pas un saint, c'est surtout ce que je veux dire. Ça et le fait que j'ai effrayé pas mal de vos copains seulement parce que je considérais qu'ils ne vous méritaient pas. » A mes yeux, ils étaient tous des salauds, tous capables de leur faire du mal mais pas de les rendre heureuse. Je ne peux pas chasser de mon esprit l'assurance que Luke n'est pas fait pour elle, pas alors qu'il l'a déjà fait souffrir, mais pour une fois je vais apprendre à me taire et à faire des efforts. « Je peux comprendre ... » Admis-je. Je ne pourrais pas moi-même m'empêcher d'approcher Kalia même si elle me le demandait alors je peux tout à fait comprendre. Plus que je ne lui admettrais d'ailleurs. « Non, t'es loin de l'être mais c'est pas grave, ça fait du bien d'entendre l'inverse pour une fois. » Son baiser posé sur ma joue me fait sourire et chasse un petit peu la mauvaise humeur que je trimballe depuis des jours. Je la serre un peu plus contre moi en l'entendant me promettre que tout ira bien. « Dans le cas contraire tu sais déjà ce que je risque de faire. » Mais inutile d'en parler pour le moment, inutile de voir le négatif immédiatement. Si elle est venue ici ce soir c'est afin de se confier à moi et d'avoir mon soutien et pour une fois c'est ce que je vais faire : je vais être là pour ma sœur et arrêter de jouer au con.