Je l’attends depuis longtemps ce jour-là. Depuis un mois et l’ouverture du Bastet's CHOIce en fait. Cet établissement est un bar et hôtel à chats qui a ouvert à côté de ma boutique. La propriétaire a mis un an à se décider. Pendant un an, cette cliente m’a questionnée sur les démarches à effectuer pour ouvrir son commerce. Je l’aidée de mon mieux avec ma maigre expérience. Je me suis lancée dans cette aventure sans diplôme, juste à l’envie et à la motivation. Tout l’inverse d’elle ! Je me suis d’ailleurs souvent demandée pourquoi elle m’interrogeait autant. Sans doute car la pratique diffère de la théorie. Ça ne m’a jamais dérangée. Au contraire, j’ai été ravie de lui éviter des pièges. Et pour le moment, mes conseils semblent avoir été payants. Son magasin est encore debout. Et je lui souhaite de l’être encore longtemps. Jusqu’à sa retraite si telle est son souhait. Ce sera pas mal qu’il reste en place un moment. Surtout avec notre arrangement. On s’est mises d’accord sur le fait que j’organise un tournoi chez elle une fois par mois. J’ai toujours voulu le faire mais je manquais de place. Elle, elle a des mètres carrés à gogo à rentabiliser. En plus, je lui apporte des client.e.s et lui offre un coup de pub gratuit. Elle ne pouvait pas dire non à un remplissage de caisse assuré. Encore moins quand je me coltine tout le sale boulot au niveau de la mise en place de la salle. J’aurai dû y réfléchir avant. Ses deux bras n’auraient pas été de trop. Je lui en ferai part à la fin de la soirée. Je compte la mobiliser pour le rangement.

En attendant, la bataille fait rage depuis une bonne heure. Chaque combattant se rend coup pour coup. Coup de pied, coup de poing, coup spécial, tout y passe. Le tout sous le regard avide d’une foule en délire applaudissant à chaque KO, félicitant lea vainqueur.euse. Oui car je le précise, le spectacle observé n’a rien à voir avec une bagarre de rue. Les participant.e.s en question se battent à travers un jeu vidéo. Iels se tapent dessus pour déterminer qui remportera la figurine de dix centimètres de haut de l’héroïne emblématique de cette licence. Je l’ai reçue en cadeau lors de ma dernière commande. J’ai hésité à la garder égoïstement pour moi au début. Elle aurait représenté Lara Croft, je l’aurai conservée sans me poser la question. N’étant pas fan du personnage et du jeu en général, j’ai décidé de récompenser un.e de mes plus fidèles client.e.s. Je n’ai pas voulu choisir arbitrairement. J’ai envisagé organiser un tirage au sort. J’ai finalement opté pour une compétition. Ça me paraissait parfait comme occasion pour inaugurer les soirées tournoi. J’ai l’air d’avoir vu juste étant donné le monde présent. A ce rythme, on n’est pas couchées. Moi, je m’en fiche, je suis habituée à filer au lit tardivement. Azalea risque de moins apprécier. « Pause d’un quart d’heure avant d’attaquer les quarts de final ! » Je suis montée sur une chaise et j’ai hurlé pour passer l’information. Malgré mon annonce, les manettes ne quittent pas beaucoup les mains des joueur.euse.s. Iels préfèrent continuer de jouer pour ne pas perdre le rythme. Moi je ne reste pas dans le coin. J’ai besoin d’un café. Une heure sans caféine, ça commence à faire long.

Je me dirige vers le comptoir où la brune se trouve. Je me dépêche d’y aller avant qu’elle ne soit prise d’assaut. Me voilà devant elle, dans mon jean noir moulant, mon t-shirt à l’image de la franchise à l’honneur ce soir et ma paire de baskets blanches. « Un café s’te plait ! Ton plus grand ! » Patientant qu’elle me serve, je pose mes fesses sur un tabouret. Je regarde l’assemblée. Ça rit à foison. L’évènement est un succès. Sans avoir le retour des gens, je le sais déjà. Je suis tout sourire rien que d’y penser. « Tu as un favori pour la victoire finale ? » Je tente d’impliquer l’asiatique. Je ne peux pas croire qu’elle ne s’intéresse pas un minimum à ce qu’il passe. Je crois même l’avoir décelée lancer des regards sur Nelly. Nelly, la seule fille en lice. Une mignonne blondinette de vingt-huit ans, taillée comme une déesse avec ses courbes harmonieuses. Elle n’est pas coach sportive pour rien. Elle me donnerait envie de faire du sport. Et j’en ferai volontiers si elle n’avait pas un léger défaut : elle est hétéro. « Elle te plait Nelly ? Si oui, tu peux l’oublier. Les femmes l’intéressent pas. J’ai déjà tenté ma chance. Mais moi, je suis dispo. » Je lui lance un clin d’œil. Mon humour est de sortie. Je lui dévoile ainsi être lesbienne ou du moins aimer mes consœurs féminines. On n’a jamais évoqué le sujet lors de nos discussions. Je n’ai même jamais essayé de la draguer. Ce n’est pas qu’elle ne me plait pas. Aza est une jolie femme. Obnubilée par son projet, je ne l’ai jamais croisée en dehors de nos échanges dessus.

La pause est autant pour les participant.e.s que pour moi. La gestion me fatigue. Surtout qu’elle a commencé bien avant leurs arrivées. Je ne vais clairement pas me faire prier ce soir pour dormir. Mon lit va être surprise de me voir lui rendre visite si tôt. Je sens que je vais filer sous ma couette dès mon retour à mon appartement. Enfin je dis ça et si ça se trouve, les joueur.euse.s vont vouloir finir en boite pour arroser le tournoi. Ou chacun voudra rentrer chez soi pour geeker quelques heures supplémentaires avant de se coucher. Vue le profil des gens présents, je n’en serai pas étonnée. Toutes les personnes font parties de ma plus fidèle clientèle. Sauf que je me rappelle que je vais devoir ranger la salle. Je ne peux pas me sauver sans l’avoir remis en état. Demain, Azalea reprend son activité normale. Je peux oublier l’extra festif éventuel. A moins qu’il ne se déroule avec l’asiatique. Ça pourrait être cool d’aller fêter la réussite de cet évènement. Et je n’envisage rien de plus. Ma remarque sur Nelly n’est qu’une blague habituelle de ma part. Mais j’avoue qu’il y a toujours une part de vérité dans mes plaisanteries. Et la brune ne me met pas de frein. Aurai-je une ouverture ? Je m’emballe un peu. Elle n’a pas validé mes propos non plus. Disons qu’elle me laisse dans le flou et attise ma curiosité.

Mon sourire se fait plus charmeur. Je la teste davantage. Suivant sa réceptivité, j’aurai une opinion plus précise sur la signification de ses paroles. Même si la coloration de ses joues m’en a déjà donnée une. Elle est mignonne avec les pommettes rosies. Encore plus que d’ordinaire je veux dire. J’adore quand une fille se fait timide comme cela. La plupart du temps, ce sont celles qui sont les plus dévergondées dans l’intimité. Ce n’est pas une règle universelle quand même. Se rendant sans doute compte de son attitude tendancieuse, elle se décharge et botte en touche. Elle me fait glousser à ne pas assumer. Elle a le doit d’apprécier les jolies blondes. Surtout que j’en suis moi-même une sans vouloir me vanter. Je pivote ma tête pour découvrir le garçon dont elle parle. Eddy donc. Un étudiant de dix-sept ans encore au lycée. Un grand brun proche du 1m80 portant une barbe de trois jours. Il est plutôt beau gosse je dois l’admettre. Je suis certaine qu’il est très populaire. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, il était en couple. Je refais face à mon interlocutrice. « Ah t’es plus jeune homme… Je te savais pas cougar. » J’explose de rire. Elle est loin d’avoir l’âge d’une cougar. Et de toute façon, chacun est libre de ses préférences sexuelles. Je n’irai jamais juger quelqu’un à ce sujet. Tant que le consentement mutuel est là et que la loi est respectée.

Je me calme au bout d’une dizaine de secondes. Cinq minutes viennent déjà de passer. Le temps passe trop vite. Mon estomac grogne et me rappelle qu’il n’a toujours pas eu son café. « J’en pense que c’est possible mais que si tu tardes trop à me servir mon café, tu vas devoir me supporter en mode furie. » Je ris légèrement. Sans ma dose de caféine, je suis rapidement chiante. Je ne fais plus de blagues pourries, je deviens acerbe et piquante. Je peux même mordre. Je pourrai lui faire peur et ruiner mes chances éventuelles avec elle. Le temps qu’elle prépare ma boisson, je réfléchis. Ma joueuse interne me souffle une idée. Je m’empresse de lui formuler lorsqu’elle est de nouveau à mon écoute.  « Et si on pariait ?! Moi sur Nelly et toi sur Eddy pour la victoire finale. Si je gagne, tu m’offres mes cafés toute la semaine prochaine. Si tu gagnes, je t’offre le jeu de ton choix dans ma boutique. » C’est un deal honnête. Niveau valeur, elle est même avantagée. Je ne regarde pas à la dépense. Ce jeu est juste un amusement et nullement pour faire du profit. Je marque une pause. Un rictus malicieux se dessine sur mon visage. « Et si on s’est ratées toutes les deux, on ira noyer notre chagrin en s’envoyant en l’air comme des folles jusqu’à l’aube ! » J’éclate de rire. Elle va me prendre pour une folle. L’idée est si saugrenue. Quoi que le sexe est un bon remède à la tristesse. Et je parle en connaissance de cause.