"...Pourquoi on fait ça, papa ?" Incertain, les mains tremblantes, le petit Ryan tient fermement l'arme entre ses doigts, pointant la cible posée dans le jardin familial. Il ferme un œil, sort la langue comme si ça l'aidait à se concentrer. L'objet est lourd, trop lourd pour ce petit garçon à peine âgé de dix ans, et peu sûr de ce qui est en train de se passer. "Parce qu'un homme doit savoir se défendre. Un homme doit savoir se servir d'une arme, et - mon fils - tu en aura besoin plus que personne d'autre." Il perd de sa concentration, alors que son paternel se baisse pour l'aider à stabiliser ses bras, l'aider à viser. "Pourquoi ?" L'homme tourne le regard, le posant sur sa progéniture. "Parce que tu évolue dans un monde différent de celui des autres petits garçons. Un monde sans pitié, cruel, parfois injuste. Un monde froid, qui ne te fera aucun cadeau, qu'importe ton nom, qu'importe ton âge et qu'importe tes actes. Il te détruira, et tu dois apprendre à le prendre à revers. A régner, avant de te faire écraser." Il empoigne les mains du garçon, l'aide à positionner son doigt sur la détente et l'incite à ne plus bouger alors que ses mains se posent sur les oreilles de l'enfant qui tire, droit sur la cible, après avoir tenté l'expérience une bonne dizaine de fois. Il en tremble, se recule, retenu par le patriarche qui récupère l'objet avant de se pencher vers son fils. "Soit un Roi, mon fils, avant qu'on ne te transforme en vulgaire pion." Il regarde son père s'éloigner, figé au milieu du jardin, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Sois un Roi. Des mots gravés dans sa mémoire à jamais. N'être rien d'autre qu'un roi, jamais. Et pendant les quelques années qui ont suivit, Ryan s'est demandé pourquoi lui. Pourquoi son père fait de lui un monarque en devenir ? Pourquoi lui apprend t-il à tirer ? C'est l'aîné de la famille, Ryan, grand frère de deux jeunes femmes bien plus douces et innocentes qu'il ne le sera jamais. Trop innocentes pour comprendre ce qui se trame derrière les murs de l'entreprise. Il veut une relève, papa. Il veut façonner le garçon à son image, faire de lui un héritier. Et ça, il ne le comprendra que plus tard. Gamins bien élevés, élèves modèles, famille parfaite... Les Lockwood ont tout pour faire pâlir le voisinage.


Adolescence paisible du point de vue des professeurs. Mouvementée dans le cercle familial. Papa à finit par montrer à son fils qu'il était bien plus qu'un simple patron. Qu'il avait fait bien plus que de créer une entreprise. C'est une jolie façade, tandis ce qu'ils sourient tous devant les caméras. Une famille riche, exposée aux médias pour les créations du père. Une famille toute en classe, en éducation, dans le respect des autres. Mais papa... Papa, il est bien plus que tout ça. Il a toujours été ferme avec ses enfants, il a toujours été dur avec son fils. Il peut se montrer terrifiant, parfois, autant qu'il arrive à lui prouver qu'il l'aime. Il est fier de son aîné, fier de l'homme qu'il devient, mais il a encore beaucoup de chemin à parcourir. Et le patriarche, il n'est plus si jeune. Il se vieillit, il se meurt - surtout-, et il craint de partir avant que Ryan ne soit vraiment prêt à prendre la relève. Être ferme, être sec, être froid et surtout sans pitié. Il veut faire de lui le parfait successeur, quand bien même ça le choque. Alors encore tremblotant, il est là, dans ce bâtiment abandonné, l'arme pointée sur un inconnu. L'homme est ligoté, bâillonné, bandé. "Fais le, fils." Il tremble, Ryan. Il n'a aucune envie de presser la détente. Il n'a que 17 ans, et on vient de le balancer dans un monde qui n'est clairement pas le sien. Lui, le petit garçon protégé par sa douce mère. Lui, dont la main de fer de son père se referme lentement sur lui, dont l'emprise lui tord la gorge. Il ne veut pas tirer. Il ne veut pas tuer. "FAIS LE !" La voix de papa résonne contre les murs, surprenant l'adolescent dont la gorge se serre. Il réprime des larmes, réprime cette panique qui s'empare de lui. "Ne sois pas un putain de pion Ryan !" Faire la fierté de son père, de la famille. Prendre la relève. Devenir le Roi. On lui martèle la tête depuis qu'il est en âge d'écouter. La main chaude du paternel empoigne l'épaule du gamin qui en serre les dents. Il est incapable de quitter la cible des yeux, le regard pourtant flouté par des perles salées qui coulent le long de ses joues. "Sois un homme, Ryan. Sois un Lockwood. Les autres n'hésiteront pas une seconde, eux, à t'abattre. Tu dois t'imposer, tu dois devenir l'héritier. Tu dois faire prospérer le business et, surtout... Tu te dois d'être le plus fort d'entre eux, pour protéger les tiens." Parce qu'elle est là la vraie raison. En plus de l'entreprise cachée derrière le nom sur le building. Il y'a cette volonté de protéger sa famille. Même après la mort de l'homme, les affaires seront toujours présentes, et les ennemis avec. Il doit reprendre le trône, pour le bien de la famille, de sa mère, de ses sœurs. Il comprend, Ryan, que ce n'est pas un choix. C'est une nécessité. Alors son cœur se calme, comme si toutes les émotions s'étaient envolées, comme par magie. Et il tire, le gosse. Il abat la cible qui s'effondre sur le sol, le regard figé sur cette carcasse. Il a tiré. Il a tué. "Je suis fier de toi."


"Toutes mes condoléances, monsieur Lockwood." Il ne bouge pas, se contente de hocher la tête. Il reste figé, Ryan. Ce jour, il l'attendait. Ce jour, il le menaçait. En dépit de tout le mal qu'il ait pu faire, cet homme, c'était son père. Pas le meilleur des parents, pas le meilleur des hommes, mais pour lui, ça restait sa chaire, son sang. La main d'Emma glisse dans la sienne. Main qu'il serre, entrelaçant ses doigts. Emma et lui, c'est pas le plus beau des mariages. C'est beaucoup de sourires à la caméras, beaucoup de discours inspirants sur l'amour et le soutient de sa jolie femme. Beaucoup de sourires, de complicité faussement présente. Ils s'insultent, ils crient, ils lances des assiettes à travers la gueule de l'autre à longueur de temps. Ils se trompent, se mentent, se jurent et brisent leurs promesses. Ils jalousent, ils hurlent, ils frappent les amants de l'autre, menaçant parfois la tête de l'un d'eux d'un 9mm. Mais quand il faut être là, elle est là, toujours. Emma, quoiqu'on en dise, c'est la femme de sa vie. Emma, c'est le soleil de ses nuits, la seule qu'il ait jamais voulu à ses côtés. Elle est folle, elle est jalouse, possessive, colérique... Et bordel, ce qu'il l'aime. Une relation pire que toxique, plus basée sur les cris et les pleurs que l'amour. Il y'a quelque chose qui les lient, un amour inébranlable malgré toutes les fautes et les erreurs. Malgré le fait que Ryan se perd dans les draps de tout ce qui peut bouger devant lui. Qu'il traite les femmes comme des objets. Qu'il trempe dans des histoire louches. Qu'il veuille tuer quiconque pose son regard sur sa dulcinée. Elle l'aime. Elle est sa Reine, il est son Roi. "Bébé ?" Un murmure, alors qu'elle caresse son bras de sa main libre. Elle veut qu'il sorte de sa bulle, qu'il bouge. "Pleure, hurle, insulte moi, mais exprime toi." Mais il enfouit le moindre sentiment au fond de son cœur. Au plus profond, bien calé dans un coffre dont il veut perdre la clé. Ne plus rien ressentir, c'est ce qui fera de lui le Lockwood que son père voulait qu'il soit. Être impitoyable, être sans merci, ne pas avoir peur, ne pas faiblir. "Je vais bien." C'est froid, glissé avec la mâchoire crispée. Il lâche sa main, se faufile dans la foule, cherche sa mère du regard. Mais c'est un des employés de son père qui tombe sur lui. "Monsieur Lockwood ? Avant de mourir, votre père à rédigé cette lettre, ainsi que son testament. Il est de mon devoir de vous informer que vous devenez officiellement le nouveau PDG de Lockwood Enterprise dès lundi matin." Il reste fixé son interlocuteur, lettre entre les mains. "Et de tout ce que cela implique." La phrase est à double sens, et un regard échangé entre les deux hommes suffit pour comprendre de quoi il s'agit. Il n'a que 25 ans, et il se retrouve à la tête d'une des entreprises les plus importantes du pays, ainsi que d'un des business les plus prolifiques du milieu. "Comment vous vous sentez ?" Il pose son regard sur la lettre, la triture un instant, les souvenirs de son père, de son apprentissage et de tout ce qu'il lui a inculquer ces vingt cinq dernière années. Et puis il relève les prunelles, froidement, déterminé avant de répondre. "Prêt."