« да мам. Я буду там.* J’aurai même le costume que tu m’as fait faire. Oui. Promis. »

Jamie leva les yeux au ciel. Une soirée mondaine, ça le gonflait d’avance. Mais il avait promis à sa mère qu’il viendrait, pour que la famille soit au complet face aux caméras, et il tenait toujours ses promesses. Pour autant, ça ne l’empêchait pas de l’appeler dix fois par jour pour s’assurer qu’il n’avait pas changé d’avis. Alors pour la énième fois, il la rassurait depuis vingt minutes – heure à laquelle il avait quitté le lycée – et tentait de raccrocher à chaque occasion. Il commençait à faire chaud à Los Angeles et il avait enlevé sa veste, la posant sur sa sacoche en cuir tandis qu’il avançait dans les rues, les manches de sa chemise remontées sur ses avant-bras. Il soupira en entendant pour la dixième fois la même question et essaya cette fois de répondre en italien. Peut-être qu’un changement de langue lui ferait comprendre qu’il était sérieux ? Il arriva à un passage piéton et regarda à droite et à gauche plusieurs fois, s’assurant qu’il pouvait traverser. Une fois certain que la voie était libre, il commença à avancer, téléphone toujours à l’oreille. Soudain, un bruit d’accélérateur lui fit tourner la tête. Il n’eut pas le temps de réagir, pas le temps de dire ou de faire quoi que ce soit. Un coup de feu – peut-être deux – et la voiture le percuta de plein fouet avant de reprendre sa course folle, poursuivie par une voiture de police. Son corps s’envola, en même temps que tous les papiers et copies sagement rangés dans sa sacoche. Son téléphone s’explosa au sol, quelques petites secondes seulement avant que tous ses os ne fassent de même. Il était à peine à vingt mètres de chez lui. Vingt mètres de son fiancé, de leur petite fille. Vingt mètres qu’il ne franchirait pas, qu’il ne franchirait peut-être plus jamais. Quelqu’un hurlait non loin de lui, quelqu’un d’autre donnait des ordres. Il tenta d’inspirer... Peine perdue. Vingt mètres. Est-ce que c’était son sang, qui recouvrait sa main ? Il ne sentait plus son corps. Vingt mètres. Ses fringues étaient foutues. Les copies de ses élèves tournaient au rouge. Vingt mètres. Il ferma les yeux.


*« Oui maman, j’y serai. »

Tout était noir, fixe, comme figé. Jamie avait l’impression d’avoir les yeux ouverts et fermés en même temps. Il sentait son corps, aussi lourd qu’une pierre, et avait aussi l’impression de ne pas pouvoir le sentir. Il ne savait pas du tout pourquoi il était là, n’avait plus aucun souvenir de quoi que ce soit. Il savait qui il était, bien sûr, tous ses précieux souvenirs étaient bien là, mais la dernière chose dont il se souvenait, c’était le moment où il avait dit au revoir à Robbie et Ellie, le matin même. Un bisou sur le crâne de leur fille, un baiser tendre pour son fiancé, comme tous les matins, avant de franchir la porte. Et ensuite... Ensuite rien. Il était arrivé là, dans cette espèce de vide étrange. Il ne savait pas combien de temps s’était écoulé, si ça se comptait en secondes, en minutes... Ou même en jours. Il était juste là, il existait. Ou peut-être qu’il n’existait plus, d’ailleurs ? Comment est-ce qu’il était censé savoir ce qui était réel et ce qui ne l’était pas ?

Soudain, une voix se fit entendre. Elle appelait son nom. Il était sûr de la connaître, mais elle était si déformée qu’il ne parvenait pas à la reconnaître. Plusieurs fois, la voix revint. Pour dire son nom, lui parler du temps qu’il faisait, lui dire qu’Ellie allait bien et qu’il lui manquait. Au fur et à mesure, la voix devint plus claire, plus perceptible. Robbie. Bien sûr que c’était Robbie. Toujours à ses côtés, toujours là pour lui. Et en même temps que la voix se faisait plus claire, Jamie commença à prendre conscience de ce qui l’entourait. Des bips stridents, une odeur chimique, et surtout... Surtout une immense douleur. Partout dans son corps, la douleur irradiait, lui faisant presque regretter les moments qu’il avait passés tout seul dans le vide et dans l’inconnu. Lentement, ses paupières se soulevèrent et il croisa le regard de Robbie, paniquant. Il souffrait le martyr, voulait que tout ça s’arrête, se demandait pourquoi il était à l’hôpital, pourquoi il avait mal...

« R-Robbie… M-Mal… »

Les larmes coulaient sur ses joues tant la douleur était insoutenable, sa respiration était hachée et entrecoupée de sanglots qui ne faisaient qu’augmenter sa douleur. Il voulait que ça s’arrête.

La panique et la douleur étaient les deux seules choses que l’esprit de Jamie réussissait à enregistrer. Il souffrait le martyr et crevait de trouille. Il ne comprenait pas ce qu’il faisait là, ne comprenait pas pourquoi il avait mal. Heureusement pour lui, à son chevet, se trouvait celui qui était son phare dans l’obscurité, celui qui le guidait, l’épaulait et l’aimait depuis presque deux ans maintenant. Robbie avait l’air épuisé, ses yeux étaient rouges... Aussitôt, il comprit qu’il lui était arrivé quelque chose de grave et s’en voulut. C’était de sa faute si Robbie s’inquiétait. Il voulut hocher la tête face à ses paroles mais se rendit compte que ça lui faisait bien trop mal. Les mots de son fiancé lui firent également comprendre qu’il avait respecté son souhait, ce qui expliquait les douleurs lancinantes qui le traversaient tout entier. Pas de morphine, pas d’opiacés. Il ne voulait pas replonger, il le lui avait dit. Robbie lui annonça qu’il restait juste à côté de lui, qu’il allait s’en sortir, et les larmes continuèrent de couler sur ses joues tandis qu’il agitait les doigts, tentant maladroitement de bouger la main pour attraper celle de son amour.

« O-ok.. Ok. Ça va… Aller. »

Robbie appuya sur un bouton et à peine quelques secondes plus tard, une armée de gens en blanc entra dans la chambre, forçant le blond à s’écarter de lui et à reculer. On lui braqua une lumière dans les yeux, on l’ausculta dans tous les sens, on lui posa des dizaines de questions auxquelles il ne put pas répondre... Et puis soudain, une nouvelle figure entra dans la chambre et tout le monde s’écarta, laissant apercevoir un visage que Jamie connaissait bien.

« Monsieur Janovitsky... Vous nous avez fait une sacré peur. On m’a informé de votre arrivée ici et de votre état. Je vais reprendre votre dossier. On va avancer ensemble, d’accord ? Et ce qu’on va commencer par faire, c’est vous prescrire un petit peu de morphine.
-Non ! Non… Je veux pas…
-C’est moi qui vais vous la prescrire, vous me faites confiance ? Juste aujourd’hui, pour soulager vos douleurs. Après ça, vous n’en aurez plus. Mais vous avez subi un énorme choc et votre corps est pour l’instant trop traumatisé pour gérer la douleur seul. Vous avez de très nombreuses fractures et on surveille de très près votre tête parce qu’il y a un léger hématome qui pourrait très mal évoluer. Alors pour aujourd’hui, on va vous aider. On rediscutera de la morphine demain. Vous êtes d’accord ? »

Jamie était perdu. Cet homme, c’était l’un des médecins présents en cure de désintox. Il l’avait aidé à sortir la tête de l’eau et il lui faisait une confiance presque aveugle. Sur ce point-là, cependant, il avait peur qu’il ne se trompe. Et s’il n’était pas assez fort pour lutter ? S’il replongeait ? Son regard dévia vers Robbie, et il sut. Cette fois, il n’était pas seul. Il avait une raison de se battre et de rester lucide. Alors, à mi-voix, il accepta. Lorsqu’enfin tout le monde fut sorti de sa chambre, la morphine injectée, son fiancé se trouva à nouveau à ses côtés et Jamie lui tendit la main, les yeux toujours pleins de larmes.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

La douleur refluait peu à peu grâce à la morphine, mais la peur montait à vitesse grand V. Jamie était terrifié à l’idée de replonger. Mais la main glissée dans la sienne, les lèvres déposées sur sa peau meurtrie... Robbie lui donnait confiance en l’avenir. Pour lui, pour leur fille, il se battrait jusqu’à la fin. Il ne pouvait pas leur imposer ça, il se le refusait. Il avait donc été renversé par une voiture... Effectivement, vu son état, il avait eu une chance incroyable. Les larmes se mirent à couler en pensant à tout ce qu’il aurait pu perdre, et son cœur se serra en entendant la détresse dans la voix de Robbie lorsqu’il lui confia avoir eu peur pour lui. Il n’imaginait pas comment il aurait réagi si la situation avait été inversée. Il hocha légèrement la tête en l’entendant dire qu’il ne le lâcherait pas et serra doucement sa main.

« Je t’aime tellement… Je suis désolé. »

Désolé de n’avoir pas fait assez attention, de se retrouver dans cette chambre d’hôpital, de faire subir tout ça à son fiancé. Il fut heureux d’entendre qu’Ellie allait bien, qu’Alexis avait accepté de la garder pour l’instant, et un sourire en coin étira très légèrement ses lèvres. Il hocha à nouveau la tête, puis reprit la parole, regardant Robbie droit dans les yeux.

« J’ai besoin que tu adoptes Ellie. Qu’on monte le dossier au plus vite, même avant de se marier, peu importe. Parce que s’il m’arrive un truc, elle peut pas aller avec qui que ce soit d’autre que son père. Je veux pas qu’elle aille avec quelqu’un d’autre Robbie, je le supporterais pas. »

Il avait les larmes aux yeux, était tout à fait conscient qu’il ne s’agissait pas du meilleur moment pour dire ce genre de chose, mais ce qui venait de lui arriver le faisait paniquer. S’il mourait, leur fille ne serait pas reconnue comme étant celle de Robbie, et qui sait ce qui pourrait arriver ? Il voulait s’assurer du fait qu’elle reste avec son père. Il soupira et tenta de se décaler légèrement sur le lit, malgré la douleur qui irradiait son corps entier.

« Et je veux aussi que tu viennes là, s’il te plaît. Je veux te sentir contre moi... »

Sentir les doigts hésitants de Robbie essuyer doucement ses larmes lui fit un bien fou. Il aurait eu envie de lui dire qu’il n’était pas en sucre, qu’il n’allait pas se casser au moindre geste, mais pour l’instant, il appréciait la délicatesse. Malgré la morphine, son corps le faisait atrocement souffrir et il n’était pas certain de pouvoir encaisser le moindre geste un peu trop brusque. Il écouta en silence les mots de son petit-ami, se contentant d’hocher doucement la tête. Il avait raison. Il fallait se concentrer sur le fait d’être en vie, pour l’instant. Parce qu’il l’était, et qu’il devait en être reconnaissant. Il respirait, son cœur battait, et c’était sûrement là l’essentiel. Malgré tout... Malgré tout il ne pouvait s’empêcher de penser à ce qu’il se serait passé s’il ne s’en était pas sorti, obsédé par cette possibilité. Il ne supportait pas l’idée que s’il lui arrivait malheur, Ellie serait envoyée il ne savait trop où, loin de Robbie. Ce n’était tout simplement pas possible. Peut-être qu’elle finirait chez ses parents – qui accepteraient forcément que Robbie la voie – mais ce n’était pas ce qu’il voulait. Aucun d’eux ne voulait ça. En entendant qu’ils étaient d’accord sur ce point et que les procédures seraient lancées au plus vite, il fut un peu rassuré. Un léger sourire étira ses lèvres et il hocha la tête.

« D’accord... Promis je resterai aussi longtemps que possible. Même si je suis vieux. »

Ça aurait presque pu être léger comme conversation, si le contexte avait été différent. C’était le genre de petites piques qu’ils pouvaient s’envoyer parfois, juste pour s’embêter. Mais les mots avaient une tout autre saveur aujourd’hui. Comme un goût de cendre laissé dans la bouche, la réalité des faits obscurcissant tout le reste. Il avait failli ne pas vieillir. Ne plus jamais voir Ellie. Ne plus jamais voir Robbie. Ne plus jamais le serrer contre lui. Cette idée lui donna envie de le sentir au plus près de lui dès cet instant et il en fit la demande sans attendre. Son petit-ami commença par refuser, arguant que ce n’était pas possible, mais une fois Jamie légèrement décalé sur le lit – effort qui l’avait essoufflé et avait fait naître de nouvelles douleurs dans son corps – il le rejoignit sur le lit. Sentant son souffle contre son cou, les plus âgé ferma les yeux, une paix certaine se répandant en lui. Auprès de Robbie, c’était là sa place. Il n’en doutait plus depuis bien longtemps, mais chaque jour le lui rappelait un peu plus.

« Hmm... »

Il ne savait pas quoi répondre de plus. Est-ce qu’il était fort ? Il n’en était pas si certain. Mais il se battrait bec et ongles pour rester auprès de son fiancé et de leur fille. À ses yeux, plus rien d’autre ne comptait. Il ferait tout ce qui était nécessaire pour s’en sortir. Pas parce qu’il était fort, mais parce qu’ils lui donnaient la force de le faire.

« Si… Si je rechute… Si je rechute, tu seras là ? »

Il avait rouvert les yeux, mais refusait de regarder Robbie pour l’instant. L’idée de retomber dans la drogue le terrifiait, mais plus encore celle de perdre l’homme qu’il aimait à cause de ça. Alors il voulait savoir. Même si cette réponse n’engageait pas son fiancé à quoi que ce soit. Il avait besoin de savoir qu’il serait là, peu importe les circonstances.