La discussion m'aide à me détendre maintenant que je sais qu'Alya ne me juge pas même si je reste assez surpris par l'importance que son jugement semble avoir sur moi. C'est peut-être le fait qu'elle est ce que j'ai de plus semblable à une famille même si, bon, ça ne veut pas dire grand chose vu le peu d'autres relations 'normales' que j'ai dans ma vie. En tout cas, peu importe l'explication je suis maintenant plus serein et ça aide avec ma blessure comme je suis moins tendu et donc je ressent moins la douleur. Ne me demandez pas comment ça marche.

J'attends maintenant la réponse d'Alya face à mon explication. Mon rêve - si on peut vraiment appeler ça comme ça - est plus une illusion qu'autre chose, une vision idyllique de ce que ma vie aurait pu être qui se dessine derrière mes paupières lorsque le sommeil m'emporte. Je ne sais même pas pourquoi ce rêve en particulier. Ce n'est pas comme si ma mère était musicienne ou que j'avais déjà fait de la musique, non, rien de tout ça. C'est peut-être le résidu d'un souvenir d'enfance lointain que la vie m'aurait fait oublié mais qui, dans mon subconscient, resterait intacte. Quoi qu'il en soit, tout cela ne restera jamais qu'un rêve et en parler avec Alya n'y changera rien.

Je ne suis pas surpris par sa réponse. Du peu que je peut dire que je connais Alya, avec tous ses secrets et sa façade, je ne la verrais pas faire autre chose. Pas qu'elle n'en soit pas capable, elle est surement la personne la plus doué et omnipotente que je connaisse. C'est juste qu'elle est faite pour ça. L'adrénaline, le frisson, l'action, c'est ça la Alya que je connais, pas une fleuriste ou une caissière de supermarché, ça c'est certain.

"C'est sûr que tu n'aurais pas pu devenir infirmière ou médecin en tout cas, avec ces talents en bandages."

Malgré ce que je dis, je suis presque sûr que sans elle je ne serais qu'un corps de plus dans les rues de LA à l'heure qu'il est. Ca fait des années que je ne m'étais pas retrouvé dans un tel état et ce n'est même pas à cause de la drogue. Je ne sais pas trop quoi en penser. Je ne pensais pas avoir autant baisser ma garde que ça avec mes excursions nocturnes mais il semblerait que si. De toute façon, vu mon état actuel, je ne vais pas pouvoir faire grand chose avant quelques jours.

"Il va falloir que je trouve une excuse pour Styx. Je ne pense pas pouvoir aller bosser demain et il est hors de question qu'il apprenne ce qu'il vient de se passer." Le regard ferme, je cherche celui d'Alya pour voir un signe quelconque de questionnement ou de doute. Je ne pense pas qu'elle irait dire quoique ce soit mais on ne sait jamais. Ils sont devenu beaucoup plus proche - si on peut dire ça - depuis quelques temps, même s'ils ne veulent pas le montrer.

"Tu n'aurais pas une idée d'histoire toi?"

Il était une fois deux gamins des rues qui rêvaient en grand. Sur les bancs du même orphelinat, de ceux qu'on trouve dans les livres, de ceux où les rats traînent et où il y a de la poussière jusque sur les murs, ils s'étaient rencontrés, s'étaient bâtis ensemble, même si parfois pour ça il avait fallu frapper l'un sur l'autre. Infiltration de la violence dans le conte à la Disney. Avec le temps ils se construisaient, jusqu'au tournant dans leur vie, la rencontre, le détail, n'importe quoi qui changerait tout. Liam qui tomberait sur un violon dans un conteneur et se mettrait à devenir le nouveau Mozart ; Alya qui se pointrait à l'université pour une transaction et n'en repartirait jamais soudain attirée par un sujet ou un autre. C'était une putain de jolie histoire, de celle qui finissait bien, où il finirait par tomber amoureux - pas d'un chef d'une obscure bande ou d'un client à la prostitution, mais d'une personne adéquate à la société, bien inscrite dans tout ça avec un métier un peu ennuyeux, mais honnête -, acheter un maison et avoir des gosses. Quel beau scénario.
Pourtant ça ne collait pas, ça ne collerait jamais. Liam pouvait espérer voir apparaître des notes s'inscrire sur le plafond de sa chambre, la vie ce n'était pas ça. Ca, c'était de putain de belles histoires pour les Disney, pour faire croire aux gosses qu'on était tous égaux et que le prince charmant existait. Dans la réalité, ils se faisaient fracasser la gueule, couchait avec ceux avec qui il ne fallait pas et trempaient dans des affaires illégales. Il ne leur restait plus qu'à ramasser les dégâts et les éclaboussures de tout ça, les blessures qui suintait et qu'il fallait rouler dans des bandages - mal, apparemment. La vendeuse tend son majeur au bourreau dans un geste qui veut bien dire : la prochaine fois, tu te démerderas tout seul. Mais ce n'est même pas vrai. La prochaine fois elle viendra encore, tacher une autre voiture, parce qu'ils sont tous ce qu'ils ont sur Terre. C'est sale, c'est malsain, mais c'est la seule manière de survivre.

- Et encore, si c'était juste demain... une côte ça se remet pas aussi facilement.

Elle fouille la poche de sa veste pour en extraire un paquet de clope et un briquet, avant de se relever pour marcher jusqu'à la fenêtre qu'elle ouvre en grand histoire de se poser en équilibre dessus et ne pas enfumer totalement le salon. Inspiration cherchée dans la nicotine, Alya accroche le cylindre à ses lèvres avant de l'allumer, puisant une large bouffée de fumée qui fait rougeoyer l'extrémité du bâton bicolore.

- Faut pas que tu lui mentes totalement. S'il comprend que tu n'as pas dit la vérité, quelle que soit ton excuse, il va vriller. Alors déguise juste un peu les circonstances, dis lui que... que tu sortais d'un bar et que le mec t'es tombé dessus avec sa bande de pote, complètement bourré. Tu l'as peut-être un peu regardé de travers, il a attaqué le premier, t'a rétorqué, mais ils étaient bien plus nombreux que toi.

Tourner autour du pot, éviter simplement le point de déclenchement de l'embrouille. Si Liam n'avait pas envie de parler de son autre métier à Styx, elle pouvait le comprendre ; mais elle savait aussi que le Président des Sons of Hadès ne supporterait pas d'apprendre qu'on lui mentait, même pour ce genre de choses. Il tapait d'abord, posait les questions après. Mieux valait donc préserver une partie de l'histoire au cas où un des hommes de leur patron aurait pu apercevoir quoi que ce soit et le dénoncer. Au moins ainsi, ça restait plausible, même si un imprudent avait vu quoi que ce soit de la bataille.