Pourquoi est-ce qu’il avait fait ça, au juste ? Il faisait une chaleur incroyable déjà sans faire le moindre effort, il avait mal, et il avait décidé d’aller faire des courses tout seul. Ils n’avaient pas besoin de grand-chose, seulement quelques légumes et fruits frais et de petites choses pour Ellie. Puisque Robbie n’était pas présent – parti passer un peu de temps avec Alexis – il avait mis leur fille dans son porte-bébé, solidement attaché sur son ventre, et était sorti, canne en main. Cela faisait cinq mois depuis l’accident, quatre seulement qu’il était sorti de l’hôpital en étant à peu près capable de marcher, mais il avait toujours un peu de mal à se déplacer et s’aidait donc d’une canne lorsqu’il sortait. Il évitait de l’utiliser à l’appartement mais s’appuyait bien souvent sur les murs et les meubles pour avancer, ce qui commençait à l’agacer passablement. Il voulait retrouver sa vie, sa mobilité, arrêter de dépendre de Robbie pour tout et rien. Alors il était sorti pour faire les courses, même s’il était seul pour s’en occuper. Bercée par sa marche lente, Ellie s’était endormie sur le chemin de la supérette mais s’était réveillée juste avant qu’il ne paie. Vu l’heure, elle n’avait pas mis longtemps avant de se mettre à pleurer et Jamie s’était maudit. C’était l’heure du goûter et elle devait avoir faim. Sauf qu’il n’avait pas de quoi la nourrir immédiatement, se trouvait à une vingtaine de minutes à pied de chez lui et était seul. Il s’était dépêché de régler ses achats et avait commencé à marcher aussi rapidement que possible, tentant aussi de bercer la petite à mesure qu’il avançait. Le sac de courses dans une main, il avait abandonné l’idée de s’appuyer sur sa canne préférant poser sa main libre sur le dos de sa fille pour tenter de la rassurer. Chaque pas était plus douloureux encore que le précédent et c’est la lèvre en sang à force de la mordre qu’il parvint enfin devant la porte de leur appartement essoufflé, trempé et souffrant le martyr. Il entra rapidement et laissa tomber les courses et sa canne par terre sans s’en préoccuper, se dirigeant difficilement vers la cuisine. Il installa rapidement Ellie dans sa chaise haute et lui prépare une collation, qu’il déposa sur la petite tablette. Il s’installa ensuite face à elle pour l’aider à manger, mais elle n’avait de cesse de repousser ses mains pour tenter de manger seule, babillant des « no, no, pa ! » pour lui faire comprendre qu’elle voulait se débrouiller seule. Alors, soupirant, il posa sa tête sur le dessus du plan de travail et se contenta de la regarder mettre du yaourt et des fruits un peu partout sauf dans sa bouche. Ses jambes le faisaient souffrir et il avait envie de hurler tant la douleur était forte, mais il était hors de question qu’il craque et se mette dans un tel état devant elle. Un enfant n’avait pas à voir ce genre de chose. Alors quand il entendit la porte d’entrée s’ouvrir, il se leva tant bien que mal, signala à Robbie que leur fille était en train de manger dans la cuisine et se traîna jusqu’à leur chambre en s’appuyant sur les murs. Il se laissa mollement tomber sur le lit après avoir fermé la porte et saisit son oreiller, mordant le tissu pour camoufler le hurlement qui quitta son corps à cet instant tandis que les larmes commençaient à rouler sur ses joues. Il avait mal. Tellement mal...

Depuis tout petit, on avait appris à Jamie que la plupart du temps, montrer ses émotions n’était pas une chose à faire. Il fallait se montrer fort, encaisser plus de choses que la plupart des gens et le faire avec un beau sourire. C’était en partie ce qui l’avait poussé sur le chemin de l’alcool, puis de la drogue. Masquer la douleur et le malheur fonctionnait beaucoup mieux en étant défoncé. Sauf qu’il avait arrêté toutes ces substances et que les divers psys qu’il avait pu voir lui avaient appris à s’ouvrir, à ne plus masquer ce qu’il ressentait. Il parlait plus facilement, exprimait ce qu’il ressentait : ses peurs, ses joies, ses peines. Mais récemment… Récemment, il retombait dans ses travers, masquait sa douleur. Il ne voulait pas inquiéter Robbie – qui en faisait déjà beaucoup trop pour son propre bien – et il ne voulait surtout pas créer dans l’esprit de leur fille des images et des souvenirs qui la marqueraient à vie. C’était pour cette raison qu’il n’avait pas voulu le moindre anti-douleur. Il ne voulait pas être un père absent, complètement à côté de ses pompes et sans arrêt défoncé. Il ne voulait pas replonger, c’était hors de question. Mais ce refus venait avec un prix, un prix énorme qu’il payait jour après jour, aujourd’hui plus que d’habitude. Il essayait de cacher ses crises de douleur autant que possible, mais il savait que Robbie n’était pas dupe. Ellie ne se rendait compte de rien, bien sûr, elle était trop petite. Mais ce n’était pas la même histoire pour son fiancé. Il ne fut donc pas surpris de sentir le matelas s’affaisser légèrement et une main sur son dos. Il avait cependant cessé ses cris en entendant les pas de Robbie s’approcher et il tenta de retrouver son calme avant de prendre la parole, secouant la tête face à la question qui lui était posée.

« Ca va. Ca va aller. Je vais bien. »

Il ouvrit légèrement les yeux et son regard accrocha celui du blond, tandis qu’il attrapait sa main et la pressait doucement. Son autre main était cachée sous l’oreiller, serrant le drap à s’en faire mal, juste pour se distraire de la douleur qui irradiait son genou.

« Va t’occuper d’Ellie, s’il te plaît. Elle a besoin de toi, pas moi. Laisse-moi. Je vais bien. »

Il était parfois difficile de gérer la douleur, voire très difficile, mais Jamie tentait de tenir le coup. Il savait très bien que la seule autre option possible n’était même pas envisageable pour lui. Oui, il avait aujourd’hui un très bon système de soutien et avait de quoi se battre contre ses addictions. Mais il restait un ancien drogué, il se connaissait, il savait qu’il replongerait tête baissée si on lui laissait la moindre occasion de le faire. Hors de question que ça arrive. Il s’en voulait, de faire subir tout ça à sa famille. Ellie ne méritait pas un père qui s’agaçait pour la moindre chose uniquement parce qu’il avait mal. Robbie ne méritait pas un compagnon incapable de s’occuper de lui-même, qui lui parlait mal et l’envoyer sans arrêt balader. Mais pour l’instant, il lui était impossible d’agir autrement. Il faisait ce qu’il pouvait, avec les armes qu’il avait. Certes, il n’était plus tout à fait cet homme doux et patient qu’avait connu Robbie, mais il faisait au mieux, il essayait... Peut-être pas assez, quand il entendait la résignation dans la voix de son fiancé. Il le laissa partir en silence et soupira avant de grogner de douleur. La position allongée la faisait refluer peu à peu, mais il avait trop forcé cette fois, il savait qu’il ne pourrait pas se lever normalement avant un moment. Serrant toujours les draps entre ses doigts pour tenter de se distraire de la douleur, une berceuse russe de son enfance tournant en boucle dans sa tête tandis qu’il tentait de s’apaiser. C’était celle-ci que sa mère lui chantait quand il était malade, qu’il chantait lui-même à Ellie chaque fois qu’elle pleurait. Cette fois, pas un son ne franchissait ses lèvres, mais la mélodie tournait dans sa tête, il se concentrait sur les notes familières en tentant de s’y accrocher pour oublier un instant à quel point il souffrait. Peut-être que s’il la répétait assez de fois, il ne sentirait plus rien du tout ? Il avait l’impression d’être redevenu un petit garçon, prêt à croire tout et n’importe quoi si cela pouvait lui arranger le quotidien. Et puis la voix de Robbie retentit à nouveau, lui faisant ouvrir les yeux. Leurs yeux se trouvèrent bientôt et sa demande – presque une supplique – fit monter une colère sourde chez le plus âgé.

« De quoi tu parles, au juste ? »

Est-ce qu’il était en train de lui dire qu’il devait prendre des médicaments ? Il ne lui avait même pas laissé le temps de dire quoi que ce soit, son esprit ayant tout de suite fait le lien. Il pouvait s’agir d’autre chose, mais entre la fatigue et la douleur, Jamie était tout simplement incapable de réfléchir.

« Tu te fous de moi, c’est ça ? T’es pas sérieusement en train de me dire que je devrais replonger ? »

Il se redressa tant bien que mal, mais fut incapable d’aller plus loin que la position assise, les jambes toujours étalées sur le lit.

« Alors quoi, hein ? Je devrais juste me défoncer parce que ça te soule que je sois mal, c’est ça ? Ça te gonfle d’être avec un putain d’infirme, tu préfèrerais être avec un drogué ? Mais vas-y, dis-le alors ! Peut-être qu’en étant complètement défoncé j’arriverai mieux à m’occuper de moi et ça te fera moins de travail, hein ! C’est ça que tu veux ? »

La colère de Jamie retomba aussi rapidement qu’elle était montée. Il venait de hurler sur Robbie, de lui balancer des horreurs à la tête... Et rien. Rien du tout. Au lieu de la tempête à laquelle il s’attendait, le calme plat. Robbie s’était simplement relevé, excusé, et était parti. Il n’était pas dupe, il connaissait très bien son fiancé et savait qu’il était lui aussi énervé – et à juste titre. Complètement sidéré, Jamie restait là, à moitié allongé sur leur lit. Comment en était-il arrivé là ? Il venait de cracher son venin, pire qu’un serpent, avait été aussi odieux que quand il était en manque. Et c’était Robbie qui s’était excusé. Plus qu’une dispute n’aurait pu le faire, la gentillesse et l’immensité de l’amour de son fiancé le frappaient en pleine face et le laissaient complètement coi. Il ne lui fallut que quelques secondes avant que son cerveau ne se mette à tourner à vive allure, réfléchissant à tout ce qu’il s’était passé ces dernières semaines. Il décortiquait chaque interaction, chaque moment passé avec Robbie. Et ce n’était pas brillant... Il avait fait bonne figure au début, les premiers jours, et puis il était devenu horrible. Méchant. Détestable. Et malgré tout, Robbie était resté là, à ses côtés. Sans se plaindre. Il avait été incroyable avec Ellie, mais avec lui surtout. Il l’avait épaulé, avait supporté ses humeurs, avait été patient, doux... Jamie saisit son téléphone, pianotant furieusement. Près d’une heure s’était écoulée et une bonne odeur émanait de la cuisine. Ça aussi, il le faisait de plus en plus. Jamie se leva tant bien que mal et attrapa les béquilles abandonnées depuis un moment contre l’un des murs de la chambre. S’appuyant dessus, il réussit à rejoindre la cuisine sans trop de mal et s’approcha de son fiancé, qui lui tournait le dos. Il se pencha légèrement pour déposer un baiser sur sa joue, déposant ensuite son menton sur son épaule.

« Je suis désolé. J’aurais pas dû te parler comme ça. »

Pour ce soir, il ne pouvait pas faire grand-chose de plus. Présenter ses excuses ne serait pas suffisant, pas après tout ça. C’était ridicule de le penser. Alors il se contenta de passer à table avec Robbie, de lui demander des nouvelles d’Alexis, de s’intéresser à sa journée. C’était loin d’être suffisant pour rattraper ce qu’il avait fait, mais il voulait faire de petits pas dans la direction de son fiancé, lui montrer qu’il avait compris son erreur, qu’il en avait conscience et qu’il voulait tenter de réparer les choses. Il continua sur cette lancée les trois jours suivants, utilisant plus régulièrement béquilles et canne pour ne plus se retrouver dans la situation qui les avait menés là, ne râlant pas une seule fois lorsque Robbie devait l’aider à faire certaines choses, allant même jusqu’à appeler son psy afin de planifier un rendez-vous conjoint avec son médecin, pour envisager une possibilité de traitement extrêmement suivi. Il avait même évoqué ce dernier point avec son fiancé, lui précisant bien qu’il n’était réellement pas sûr d’être capable de passer à l’étape où il devrait avaler des pilules. Il était aussi retourné en cuisine, préparait les repas assis sur une chaise, Ellie grimpant sur ses genoux pour toucher les aliments, sentir, s’émerveiller de ses grands yeux d’enfant. Ce matin, c’était un peu le branle-bas de combat dans l’appartement. Jamie avait annoncé la veille que toute la petite famille devait retrouver ses parents pour le brunch, dans un restaurant très chic de la ville. Costume obligatoire pour eux deux, et une jolie robe blanche et bleue pour Ellie. Mais une fois dans le taxi, c’est vers une tout autre adresse qu’ils se dirigèrent. Ce n’est qu’une fois arrivés devant la mairie, leur fille calée sur la hanche de Robbie, que Jamie prit la main de son fiancé, lui souriant doucement.

« Dans la santé comme dans la maladie, non ? Je... J’ai été horrible, depuis l’accident et j’en suis réellement désolé. Mais toi... Toi, t’as été là sans arrêt, sans plainte, sans me hurler dessus alors que je le méritais. T’as juste été là pour me soutenir, m’écouter, m’aider... T’avais besoin de quelqu’un qui te soutiendrait et j’en ai pas été capable. Je m’en suis rendu compte. Un peu tard, mais je m’en suis rendu compte. Et ça m’a fait prendre conscience du fait que... Je veux pas passer une seconde de plus sans qu’on soit mariés, Robbie. Tu peux dire non tout de suite si tu veux et on rentrera juste à la maison, on en reparlera plus tard. Mais si je continue à attendre, alors que j’ai la moitié de mon âme juste sous les yeux, prêt à m’épouser... Je serais vraiment le dernier des abrutis. Alors est-ce que tu veux... M’épouser ? Aujourd’hui ? »

Le Robbie d’avant n’aurait sûrement pas accepté la situation. Il se serait énervé en tant que bonne personne sanguine qui se respectait. Mais aujourd’hui l’amour rentrait en jeu et plus que de la colère, c’était de la douleur qu’il ressentait. Pas parce que Jamie lui avait mal parlé, non. Mais parce qu’il avait tellement mal de ses blessures qu’il balançait des choses aussi horribles à l’homme qu’il aimait. Dans des circonstances normales jamais Jamie n’aurait pu lui dire un truc pareil. Robbie ne pouvait pas faire grand-chose pour aider alors il fallait au moins encaisser et accepter que son fiancé se défoule. Il en avait besoin. Il souffrait le martyr, en disait le moins possible mais il fallait évidemment qu’il s’en décharge de temps en temps. Quand on acceptait de se mettre en couple et encore plus quand on choisissait de se marier, il ne fallait pas oublier qu’on promettait de s’aimer et de se soutenir pour le meilleur et pour le pire. Ils avaient eu beaucoup de meilleur, ils en auraient encore. Mais actuellement ils traversaient le pire. C’était même largement pire que la fois où Robbie avait quitté la maison, un peu après l’arrivée d’Ellie. Et ils s’en sortiraient tout autant quand bien même ça prenait un peu plus de temps. Robbie avait grandi à vitesse grand V avec sa relation et le prouvait de jour en jour.
Alors qu’il était en train de préparer à manger, à ravaler ses larmes et tout le désespoir qui pouvait l’habiter, il sentit la présence de Jamie derrière lui. Il se mordit la lèvre en entendant ses mots et se retourna vers lui. Il ne voulait pas cacher ses larmes. En fait il ne voulait rien cacher à Jamie. C’était peut-être la seule chose à faire pour qu’il accepte de se soigner correctement… « C’est pas ta faute. Je sais que c’est pas toi qui parle dans ces moments-là… » Il vint alors se blottir doucement contre lui, apaisé et un peu rassuré par l’odeur de son amoureux. Ils avaient fait une partie du chemin… Mais c’était difficile d’en apercevoir le bout.

Les jours passèrent en compagnie d’un Jamie qui culpabilisait plus que nécessaire. Robbie avait beau lui dire que c’était oublié, il sentait bien que ça travaillait son fiancé. Et d’un autre côté, sûrement que lui aussi ça l’aurait un peu obsédé s’il s’était comporté de la même façon, quand bien même il y avait de quoi l’excuser largement. Aujourd’hui, il fallait se faire beau pour un brunch. Autant dire que Robbie n’avait pas forcément envie de manger avec ses beaux parents. Pas qu’il ne les aimait pas… Il n’était juste pas dans le mood d’être très sociable ou de porter un costume, ou d’être dans un endroit chic. Faut dire que dernièrement les sorties de Robbie se résumaient à Ellie. Aller au parc, aller faire les courses… Parfois Alexis passait à la maison mais même elle avait du mal à le tirer hors de chez lui. Peut-être le début d’une petite déprime ou alors le signe d’une fatigue mentale énorme. Bref, ça lui coûtait ce brunch. Mais à la fois il se disait que ça pouvait leur faire du bien et surtout à Jamie de passer un petit moment à l’extérieur et en famille. « C’est vraiment obligé le costume… » avait-il dit en râlant, un peu boudeur. De toute façon c’était déjà trop tard, un taxi les attendait devant. Alors ils prirent la route du restaurant… Et se retrouvèrent totalement ailleurs. Une mairie ? Hein ? Robbie sortit de la voiture en fronçant les sourcils. Il ne comprenait pas. Il lança un regard à Jamie qui commença à parler… Et là, clairement, les larmes prirent possession de ses mirettes. « Jamie… » C’est vrai qu’ils avaient totalement abandonné l’organisation du mariage avec l’accident… Alors la surprise était totale. « Bien sûr que oui je veux me marier avec toi aujourd’hui ! Tous les jours je veux me marier avec toi ! Bordel… merci de m’avoir obligé à foutre un costume, on aurait été beaucoup moins classes si j’avais porté un jogging… » laissa-t-il échapper dans un léger rire. Merde, il n’avait plus rigolé depuis un moment. Il s’approcha pour déposer un baiser sur les lèvres de son amoureux, Ellie en profitant pour tirer sur les cheveux de Robbie. « J’vous aime… tellement fort. »

Robbie savait. Avait compris. Se doutait que ce que Jamie pouvait dire quand la douleur prenait le dessus, il n’en pensait pas un traître mot. Ils s’étaient réconciliés, avaient continué comme si de rien n’était. Pourtant le plus âgé savait très bien à quel point il avait fait n’importe quoi. Il avait parfaitement conscience du fait que son comportement était ignoble, inacceptable. Ce dont il avait conscience, aussi, c’était du fait que si n’importe qui d’autre s’était tenu face à lui, il n’aurait pas eu le droit à ce genre de compréhension. Parce que Robbie ne le jugeait pas, jamais. Il l’accompagnait, l’aidait, le pardonnait de tout et de rien. Il avait tellement changé, tellement évolué depuis qu’ils étaient ensemble. Parfois, il pensait avec tristesse que son fiancé avait raté une partie de sa vie. On lui avait volé son innocence en lui arrachant son meilleur ami, et voilà que le destin lui jouait un nouveau tour en lui mettant entre les bras un bébé et un amant incapable de s’occuper de lui-même. Il avait à peine vingt ans et plus de responsabilités sur les bras que la plupart des gens. C’était aussi pour ça qu’il avait voulu essayer de changer, Jamie. Parce que ça ne pouvait pas continuer de cette façon. Robbie devait retrouver un semblant de vie normale. Pouvoir passer du temps avec ses amis, sortir sans se soucier de l’état dans lequel il le retrouverait en rentrant... Ne serait-ce que reprendre ses études, ou trouver du travail. Il ne parlait plus de son projet de boutique de BD, n’évoquait plus vraiment aucun avenir professionnel et le plus âgé savait pertinemment que c’était en grande partie à cause de lui. Lui avait déjà une carrière et était désormais dépendant... Cela ne laissait pas beaucoup de place pour envisager quoi que ce soit. Alors, rien que pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas abandonné leur couple, leur famille, leur futur, Jamie avait décidé qu’aujourd’hui, ils feraient le grand saut. Il avait ri en entendant la mauvaise volonté de son fiancé à mettre un costume, mais avait insisté, lui confiant que le restaurant où ils devaient aller était bien trop classe pour y aller en pyjama. Et puis la peur s’était saisi de l’entièreté de son corps en voyant les larmes se glisser dans les yeux de son amour. Le cœur battant, il attendait une réponse, quelle qu’elle soit. Quand elle vint enfin, il fut si soulagé qu’il laissa couler une petite larme lui aussi tandis qu’il riait à nouveau.

« Oui, je sais que tu n’en es pas le plus grand fan, mais il fallait réellement que j’insiste, là. »

Robbie l’embrassa et Jamie en profita pour passer un bras autour de sa taille, collant leurs fronts l’un contre l’autre.

« Je t’aime aussi... On t’aime aussi. »

Il s’écarta ensuite, tendant la main à celui qui serait bientôt son mari.

« Bon eh bien... Allons nous marier, alors ? »

Ils entrèrent dans la mairie sans plus attendre et patientèrent quelques instants avant que leur tour ne vienne. C’était une cérémonie des plus classiques, sans fioritures, juste leurs noms signés au bas de documents officiels, ni vœux ni prière, rien qu’eux et leur fille. Un échange d’alliances, bien sûr, qu’il avait cachées dans sa veste. Deux anneaux en argent des plus simples, qu’il avait achetés depuis longtemps déjà. Aujourd’hui, ils devenaient le tout l’un de l’autre. Une seule famille, une seule âme.

Robbie n’avait pas vraiment imaginé son mariage parfait. A vrai dire il ne s’attendait pas à avoir sa petite famille à vingt ans et devoir réfléchir à ce genre de trucs. Il avait d’ailleurs déjà eu cette conversation avec James et Alexis, plutôt crever que d’avoir la corde au cou ! Là-haut, il devait bien rire le bougre. Quant à Alexis elle ne se gênait pas pour le faire au quotidien. Heureusement qu’elle et son humour de merde avaient été là ces derniers temps d’ailleurs car sinon Robbie aurait fait une connerie. Peut-être qu’il serait parti, ou pendu… allez savoir. Elle avait été formidable et d’une aide précieuse. Un petit pincement au coeur de savoir qu’elle n’allait pas assister au mariage… mais ce n’était pas parce qu’ils se mariaient officiellement aujourd’hui qu’ils ne pourraient pas faire une vraie cérémonie plus tard, pas vrai ?

Pour l’heure, ils étaient juste tous les trois face à l’engagement du mariage. Un moment solennel, simple, qui laissa malgré tout une petite frustration à Robbie. Il ne tenait pas plus que ça à un beau et grand mariage mais il lui semblait que les déclarations d’amour qu’ils se faisaient dans les films à ce moment-là manquaient un peu. Parce qu’à cet instant plus que jamais il avait envie de lui déclarer son amour. De lui redire ce qu’il ressentait, de lui affirmer à nouveau qu’il ne le lâcherait jamais. Les deux hommes avaient passé une période difficile et même si elle n’était pas totalement terminée, leur couple s’en était sorti sûrement plus fort. Ca montrait leur solidité parfois remise en question par certaines personnes… Connor, par exemple.
Cérémonie courte, si on pouvait appeler ça comme ça, la petite famille se retrouva vite dehors. Avant qu’ils ne reprennent la route, Robbie eut envie d’exprimer ses sentiments. « Attends, Jamie… je… voulais te dire que je t’aime. Pour de vrai. Comme dans les films tu sais ? D’une façon que j’aurais jamais cru possible. Je suis juste hyper fier de toi sur plein de trucs… T’as eu des périodes difficiles dans ta vie mais tu t’es toujours relevé. T’as mis au monde une magnifique petite fille et t’as mis de côté tous tes préjugés pour donner une chance à l’abruti que je suis. Ces derniers mois ont été un peu difficiles… Mais tu te bats. Et j’aime ça chez toi. T’es un guerrier, un exemple autant pour moi que pour Ellie. Je suis heureux d’être ton fi… ton mari, en fait. Tu m’as aidé à me relever, tu me donnes envie d’avancer et même si j’ai l’impression d’avoir pris dix ans et d’être déjà un daron, je crois que tu m’aides à être une meilleure personne. J’aurais pas pu rêver mieux que toi… Tu es véritablement l’homme de ma vie Jamie. »