Ca fait plusieurs semaines maintenant que j’ai rencontré Charlie. Ce mec m’intrigue. Je comprends pas pourquoi, mais j’arrive pas à me le sortir de ma tête. J’ai pourtant plein d’autres trucs pour m’occuper l’esprit, entre les retrouvailles avec ma sœur et les problèmes de Cameron… Mais quoi que je fasse, il est toujours dans un coin de ma tête. On a pas mal échangé par messages, parfois jusque tard dans la nuit, et on s’est revus plusieurs fois. Moi qui n’ai pas l’habitude d’être très sociable en dehors de notre entourage musical, je me suis surpris à vouloir le revoir, lui parler, le connaître mieux… Plutôt étrange, hm ? Pas tant que ça, si on considère que je le trouve… Extrêmement attirant. J’ai toujours plus ou moins su que j’étais attiré autant par les hommes que par les femmes, mais n’ai jamais réellement assumé ce côté de ma vie. Et puis, il y a tellement de choses qui ne vont pas dans cette relation… Je n’en ai toujours pas parlé à Tray, qui m’engueulerait de m’être autant rapproché d’un fan, de l’avoir laissé venir chez moi dès le jour de notre rencontre et de lui avoir donné mon numéro de téléphone. Mais j’y peux pas grand-chose, moi, si ce mec m’attire comme un aimant. Il faut quand même que je me rentre dans le crâne qu’il ne me connaît pas, qu’il pourrait n’être intéressé que par Ace et qu’il se mette à me fuir comme la peste dès qu’il entendra parler de Gabriel…
Malgré tous mes doutes et toutes les questions que je me pose, mes pas semblent toujours me ramener vers chez lui, même quand je suis censé me rendre à l’autre bout de la ville. Et c’est le cas aujourd’hui. Je me retrouve dans la rue, mains dans les poches, à marcher sans but, et j’atteins bien vite son immeuble. J’y suis déjà allé, une fois, pour récupérer mon t-shirt, mais je connais le chemin par cœur, maintenant. Aujourd’hui, nous sommes samedi, et je me doute qu’il ne travaille pas. Alors, posté en face de l’entrée, je sors mon téléphone et lui envoie un message. Parce que j’ai envie de le voir, même si je me fais certainement des films, même s’il n’est certainement intéressé que par ma célébrité. Mais ça, j’en sais rien pour l’instant, et si je peux me bercer d’illusions encore un peu, je ne vais pas m’en priver…

La réponse de Charlie arrive presque instantanément et je me mets à sourire comme un con. Il veut me voir. J’en sauterais presque de joie. Je marche rapidement jusqu’à l’entrée et pénètre dans l’immeuble, montant jusqu’à son étage. Je toque à la porte, mais souris en constatant qu’elle n’est pas fermée, et entre dans l’appartement, refermant derrière moi. Aussitôt, une bonne odeur sucrée vient me chatouiller les narines et je me dirige vers la cuisine, me doutant que c’est là que je le trouverais. Je souris en appuyant mon épaule sur le cadre de la porte, bras croisés sur mon torse, tandis que je l’observe. Il est affairé, mains pleines de pâte à cookies, alors qu’une fournée semble déjà être en train de cuire.

« Salut toi. »

Pourquoi j’arrive pas à lui parler autrement qu’en flirtant ? J’ai vraiment un gros problème. Il me déstabilise complètement, j’arrive même pas à comprendre ce qui se passe dans ma tête quand je le vois, quand on se parle… Peut-être que c’est ce que ça fait, quand on ressent vraiment un truc pour quelqu’un ? Mon estomac se tord à cette idée, que je préfère repousser le plus loin possible dans mon esprit. S’il ne ressent rien, ce sera la douche froide, la déception ultime. Mais si lui aussi a des sentiments pour moi alors… Je ne suis pas certain de pouvoir assumer. Parce que je suis un personnage public, parce que je suis censé être hétéro, parce que la dernière fois que j’ai été attiré par un mec… Je préfère ne pas y penser. Sourire toujours aux lèvres, je le regarde alors qu’il relève la tête vers moi, me souriant également.

« Je te dérange en pleine séance de pâtisserie ? »

Sa bonne humeur est contagieuse et je ne peux m’empêcher de sourire comme un con rien qu’à le regarder.

« Ça va. J’suis content de te voir. »

Il continue à s’activer en cuisine et je le suis du regard, détaillant chacun de ses mouvements. Puis il s’approche et me tend la main, me laissant perplexe. Bon… Ben ok. J’pensais qu’on était au moins passés au stade de l’accolade, mais tant pis. Je lui serre la main et souriant, puis secoue légèrement la tête en l’entendant parler. Je suis pas certain qu’il soit tout à fait honnête. Si je débarquais à trois heures du matin après une longue journée de travail, je pense que je le dérangerais carrément. Il retourne vers le four et sort une plaque de cookies du four, me faisant rire avec sa remarque. Je m’approche doucement et vole un cookie, le faisant danser entre mes mains, incapable de le tenir plus d’une seconde au vu de sa chaleur.

« S’il y a une chose à savoir sur moi, c’est que j’ai tout le temps faim. »

Comme pour lui prouver mes dires, je croque dans le biscuit, me brûlant légèrement, puis lui sourit largement une fois la bouchée avalée.

« Ok t’es un bon cuisinier, ça va. »

Je termine rapidement le cookie, qui a eu le temps de légèrement refroidir, tandis qu’il range sa cuisine. Nous ne parlons presque pas. A dire vrai, j’ai l’esprit totalement ailleurs. Ça fait plus de dix ans que je me cache derrière un autre moi, Ace, ce mec que je ne connais pas vraiment, au fond. Mais pour la première fois, j’ai envie d’être moi-même avec quelqu’un d’autre que les gens du groupe. Pourtant, je ne sais pas comment lui dire, comment lancer cette discussion. Si ça se trouve, il veut même pas savoir qui je suis réellement. Pourquoi il en aurait quelque chose à faire ? J’ai l’impression que mes journées se résument à ça en ce moment : me demander si Charlie en a quelque chose à foutre de moi. Il faut vraiment que j’arrête, que je me ressaisisse et que je passe à autre chose. Alors que j’étais totalement perdu dans mes pensées, je me rends compte que je me suis levé, et que je me dirige vers le producteur d’un pas assuré. Il est face à moi, adossé à l’évier, les mains appuyés sur ce dernier. J’arrive devant lui avant d’avoir eu le temps de paniquer, pose les mains sur sa taille, et l’embrasse. D’un coup, sans prévenir. Je devrais avoir vraiment, vraiment honte. Parce que le consentement, c’est essentiel, et que là, je ne lui ai même pas laissé le temps de me dire qu’il était d’accord pour que je l’embrasse. Me rendant compte de ce que je suis en train de faire, je m’écarte vivement, les yeux grands ouverts.

« P… Pardon ! Oh merde, je suis désolé ! Je voulais pas… Pardon. »

Putain, mais quel con !

Bon à marier ? Mon cœur s’arrête un instant avant de repartir, battant plus rapidement qu’il ne l’a jamais fait. Comment est-ce qu’une plaisanterie stupide peut me faire un tel effet ? J’ai vraiment des soucis ou quoi ? Et puis, clairement, il n’y avait pas de double sens à cette phrase, puisqu’il m’a serré la main pour me dire bonjour. Et aux dernières nouvelles, on serre pas la main des gens qu’on veut draguer. Mais c’est p’t’être juste moi ? Ses cookies sont vraiment bon, je mangerais bien tout le plateau, mais j’ai pas non plus envie de passer pour un goinfre, donc on va éviter. Et puis… Et puis tout s’accélère, d’un coup, sans que je comprenne pourquoi, comment. Mon cerveau et mon corps se sont mis en marche tous seuls, sans que je puisse rien y faire. Je me retrouve devant Charlie, puis je l’embrasse, avant de me rendre compte de mes conneries. Mais alors que je me confonds en excuse, il me coupe en m’attirant à lui pour m’embrasser, et je soupire contre ses lèvres, répondant au baiser. Il le rompt bien trop vite à mon goût, et je ris légèrement en l’entendant parler, collant mon front au sien. Mais sa dernière phrase me hérisse le poil et j’ouvre à nouveau les yeux, que je ne me souviens pas avoir fermés, pour les plonger dans les siens.

« Gabe. J’m’appelle Gabe. Gabriel. Pas Ace… »

C’est la première fois que je révèle mon vrai prénom. Réellement la première fois. Parce que les seuls qui le connaissent sont les gars, qui me connaissaient avant que je ne devienne Ace. Et depuis, plus personne n’a jamais eu besoin de le savoir. Ou alors, je ne me suis jamais senti assez en confiance. Mais avec Charlie… J’ai l’impression que je peux réellement être moi-même. Du moins, je l’espère… Et j’espère qu’il ne réagira pas trop mal à mon petit mensonge par omission. Parce que pour la première fois depuis longtemps, en me tenant face à lui, sa main sur mon bras, les miennes sur sa taille, nos souffles se mélangeant… Je me sens bien. Juste bien, comme si rien ne pouvait m’atteindre. Et ça fait un bien fou.

Il rouvre les yeux d’un seul coup en m’entendant et l’espace d’un instant, sa surprise me fait peur. Est-il énervé ? Déçu ? Peut-être que maintenant, il ne veut plus de moi. Parce que je ne corresponds pas à l’image qu’il a d’Ace ? J’aurais sûrement dû me la fermer… Continuer de jouer mon petit rôle, comme pour toutes mes relations passées. Mais Charlie est différent. J’arrive pas à comprendre comment, ni pourquoi, mais il est entré dans ma tête à la vitesse de l’éclair et j’ai envie de partager avec lui plus que ce que j’ai pu partager par le passé avec mes ex petites-amies. Comme une réponse à ce qu’il se passe dans ma tête, il se met soudain à sourire, et je souris à mon tour. Il n’a pas l’air de m’en vouloir et ça me fait un bien fou. Je n’aurais pas supporté l’idée qu’il me dise de partir, qu’il ne veuille plus me voir. Mon sourire ne fait que s’agrandir quand il pose une main sur ma joue et je tourne légèrement la tête pour embrasser la paume de sa main. L’entendre prononcer mon prénom, le vrai, fait battre mon cœur un peu plus vite. Je dois avoir l’air complètement con, mais je n’en ai pas grand-chose à faire. Je suis heureux. Soudain, il m’embrasse à nouveau, et je réponds immédiatement au baiser. C’est doux, tendre, comme si c’était arrivé un millier de fois par le passé. Je le sens sourire contre mes lèvres et mon cœur s’emballe à nouveau. J’ai l’impression d’être un ado face à son premier coup de cœur, et c’est aussi flippant que grisant. Le moment est cependant rompu par une vibration qui provient du comptoir, sur lequel mon téléphone est posé. Je n’y prête au début pas attention, me disant que ça peut attendre, profitant plutôt de l’homme qui se trouve tout contre moi, mais ce qui n’était qu’une simple vibration devient vite incessant et je comprends immédiatement ce dont il s’agit. Je romps le baiser et sourit à Charlie.

« J’en ai pour une seconde. Ça, c’est Eli qui pète un câble, et si je lui réponds pas il va pas me laisser tranquille. »

Je lui vole un dernier baiser avant de m’écarter, marchant jusqu’à mon téléphone. Je lève les yeux au ciel en voyant que j’ai parfaitement raison, puis fronce légèrement les sourcils. Il est vraiment chez moi, là ? Je suis clairement habitué à ce que mon meilleur ami squatte mon appart, sachant très bien qu’il n’aime pas être trop seul trop longtemps, mais j’avoue que là, ce n’est pas le meilleur moment. Nous discutons quelques minutes et je finis par mettre fin à la conversation, redéposant mon téléphone sur le comptoir. Je relève ensuite les yeux vers Charlie, et un sourire idiot revient aussitôt étirer mes lèvres.

« Pardon pour ça. »

Je me racle ensuite la gorge et me passe une main dans les cheveux, légèrement gêné.

« Est-ce que… Hm… Il faudrait peut-être qu’on parle, non ? »