Les gardes s’enchaînent et ne se ressemblent jamais. Des années que je fais ce métier et même si certains jours sont plus calmes que d’autres, je n’en ai jamais vu un seul qui se ressemblait. C’est ce que j’aime dans mon métier en plus de sauver des vies et d’avoir la sensation de faire quelque chose d’utile et de gratifiant. En revanche ma vie, elle, prend une tournure à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Ca a été le cas à partir du moment où ma relation avec James a pris un autre tournant devenant plus importante et tellement plus vitale. Tout s’est enchaîné sans que nous ne levions le pied jusqu’à finir par se fiancer. Décision prise à cause de notre peur de ne pas avoir le temps de vivre les étapes importantes de notre relation, je sais que c’est surtout l’amour qui a parlé, cet amour qui a besoin d’être vécu à tout jamais. Le mariage est un pas en avant important et si par moment je me dis que le faire aussi vite est une pure folie, je ne peux que sourire. Je souris parce que je vais épouser mon meilleur ami, mon confident et le seule homme que j’aimerais jamais. Mais toute cette précipitation, le fait que l’organisation de la caserne est supposée changer sans que l’administration n’arrive à mettre tout le monde d’accord, ça m’épuise. Pas entièrement remise de son accident, je sais que je dois encore y aller doucement et par instant je me demande si je n’aurais pas dû prolonger mes vacances avant de me rappeler combien j’aime être ici et à quel point travailler m’avait manquer. Emmerder mon frère à chaque garde aussi ! Tous installés dans la salle de repos de la caserne, j’ai apporté avec mon un catalogue spécialisé dans le mariage. Je n’aurais jamais pensé être du genre à feuilleter ce genre de magasine mais puisque je dois me bouger un peu ne serait-ce que pour ma robe, il n’y a pas mieux pour me faire une idée. Aucune intervention pour aucune de nos équipes si bien que nous sommes tous là, à nous occuper comme nous le pouvons afin de faire passer le temps. Dans mon dos j’entends la télévision diffuser certaines informations relatives aux élections que je n’écoute pas, à vrai dire je pensais surtout emmerder un peu Devon lorsque je vois l’expression sur son visage après qu’il ait lu un message sur son portable. « Quoi ? Ton plan cul pour la soirée bien d’annuler ? » Je lance avec ce large sourire qui démontre à quel point j’adore le chercher sur tout et rien - ce que Devon me rend merveilleusement bien depuis que nous sommes enfants. Cela dit c’est surtout une façon détourner de m’assurer que ce qu’il vient de lire n’est pas réellement une mauvaise nouvelle.

Si James a été le premier à qui j’ai accepté de parler et auquel j’étais sans arrêt collée après avoir débarqué chez les Jorgensen, Devon est de loin celui dont je suis la plus proche. J’adore ma famille, j’aime ma fratrie plus que tout au monde, mais le fait que nous avons toujours été plus connectés lui et moi. Ce qui veut également dire que Devon est celui que j’aime le plus emmerder et puisque nous travaillons ensemble, au sein de la même caserne, dans la même équipe, autant dire que j’ai pas mal d’occasions d’en profiter. Comme là alors qu’il pousse un soupire qui attire forcément mon attention. Il n’est pas du genre à se poser, mon frère, je ne manque jamais une occasion de le charrier sur ce point. C’est un peu hypocrite venant de la fille qui vivait plus pour son travail que pour ses relations jusqu’à il y a quelques mois et qui pendant un temps enchaînait elle aussi les relations de courtes durées ou sans lendemain, mais qui aime bien châtie bien comme on dit. Taquinerie lancée, je ris en voyant son majeur se lever avant que ça ne soit son visage et son soupire presque las. « Quoi, tu t’occupes de ma vie sexuelle maintenant ? Elle est mignonne elle. » Faisant mine d’être particulièrement choquée autant pas sa réponse que par le fait qu’il lève les yeux au ciel, je croise les bras contre ma poitrine, moue boudeuse dessinée sur mon visage. « On s’intéresse à ta vie et voilà comment on est remercié, génial le frère. » Et, pour suivre son exemple aussi puéril que je le suis, je lève les yeux au ciel. J’aime exagérer, j’aime essayer de le faire culpabiliser même si ça fonctionne très rarement – Devon me connait trop bien pour ça – mais je ne manque vraiment aucune occasion. « Occupe-toi de tes préparatifs à la place de t’occuper de mes affaires, faudrait pas que tu commandes des draps verts et jaunes poussins, ça serait con ça. » Cette fois c’est moi qui lui fais un doigt d’honneur en me retenant de lui balancer mon magasine à la figure histoire de lui faire comprendre d’arrêter de se foutre de moi. « Sache que c’est pas moi qui organise mais James. Je dois seulement trouver ma robe mais y aura Alix et Kalia pour m’aider, merci de t’en inquiéter ! » Ce magasine n’est là que pour que je trouve des idées une fois dans la boutique, un moment qui me stresse par avance. Je pensais avant tout à faire un mariage rapide en mairie mais j’aurais dû savoir que le romantisme de James n’aurait pas été d’accord. Maintenant nous avons à peu plus d’un mois pour tout préparer et ça va me stresser encore plus qu’une intervention. « Arrête de me fixer parce que je te dirai rien même si tu me menaces de je ne sais quoi la blonde trop curieuse. » Me balance-t-il alors que je me suis penchée au-dessus de la table qui nous sépare, comme si ça allait me permettre de lui faire cracher le morceau. « Allez ! Tu ne peux pas soupirer aussi peu discrètement et t’attendre à ce que je te laisse tranquille, je pensais que tu me connaissais mieux depuis le temps. » Je tente d’appuyer un peu sur la corde sentimentale dans l’espoir que ça fonctionne ajoutant à mes propos mon regard de chien battu et une petite lèvre boudeuse, tout pour le faire craquer.

« Hollywood c'est un peu plus loin, ma chère sœur ! » Comme je regrette de ne rien avoir à lui balancer au visage ! J’ai bien mon magasine seulement aussi agaçant que soit mon frère je n’ai pas non plus envie de le blesser. Sans parler du fait qu’il me fatiguerait des semaines durant sur le fait que j’ai abîmé ça soi-disant belle gueule ! Non vraiment, je préfère éviter de lui lancer quelque chose d’aussi dangereux qu’un pauvre petit magasine. Alors, faisant preuve d’une très grande maturité, je tire la langue. De toute manière ça ne surprendra personne. En présence de l’un et de l’autre – soit les trois quarts du temps et je plains nos collègues – Devon et moi sommes parfaitement puérils. C’est le risque d’être aussi proches et taquins que nous les sommes. « Maman dit souvent que j’ai manqué ma chance d’être actrice. » Je conclus en haussant les épaules. En réalité, je ne suis une bien mauvaise comédienne. Premièrement je ne sais pas mentir et deuxièmement je n’ai que très peu de patience avec ma tendance à foncer tête baissée sans réfléchir. Et puis le cinéma ce n’est pas mon dada, c’est celui de Tomas et je le lui laisse. J’ai déjà assez à faire de ma pseudo célébrité que je dois à mon nom de famille, j’aime mieux rester planquer dans mon métier dangereux mais si passionnant. S’il croit que ses petites taquineries m’empêcheront d’insister et de lui tirer les vers du nez, c’est qu’il me connait mais or je sais que ce n’est pas le cas. Sur le bout des doigts que Devon me connait ! « Tu. Ne. Sauras. Rien. Nada. Niet. On est dans un pays libre, j'ai le droit de soupirer de la manière que je veux la concierge. » Poussant un soupire un peu exagérer, je retombe contre le dossier de ma chaise, bras croisés contre ma poitrine, boudant un petit peu. « Tiens pour la peine. », « Eh ! » Je m’offusque lorsqu’il attrape mon magasine et se lève pour m’empêcher de l’attraper. « Espèce de chieur ! » En termes d’insultes violentes c’est vrai qu’on a connu mieux, c’est la première qui m’a traversé l’esprit. Debout à mon tour, je sais que je ne fais pas le poids avec ses vingt-trois centimètres de plus que moi. « Allez, joue pas au con. » Je râle en m’approchant pendant qu’il feuille le magasine qu’il finit par me tendre une fois une page sélectionnée. « Elle t'irait bien cette robe. » J’allais lui rire au nez en ajoutant qu’il n’y connait strictement rien en robe de mariage mais je ne le fais pas. En réalité, elle est plutôt pas mal cette robe. « Depuis quand tu t’y connais, toi ? Tu me caches des choses ? » Evidemment qu’il m’en cache, tout un tas apparemment, mais je parle vis-à-vis du mariage et de la mode.

Est-ce que j’ai envie de l’assassiner ? Parfaitement ! Comme bien souvent depuis environs vingt-trois ans maintenant. Seulement c’est de cette façon que fonctionne ma relation avec Devon : on se cherche, on se taquine, parfois on s’engueule, mais nous finissons toujours par revenir l’un vers l’autre. Qu’importe ce que mon frère peut faire, il reste justement mon frère ce qu’aucune dispute ou micro prise de tête ne pourra changer. Pas même lorsqu’à cet instant j’ai envie de gagner quelques centimètres pour parvenir à l’étrangler sans trop de difficulté. Je récolte ce que j’ai semé après tout … A le taquiner, à vouloir fouiller dans sa vie privée – que je respecte bien plus que je ne le laisse paraître aujourd’hui – il finit par se venger, c’est parfaitement normal … Hormis que ça me casse les pieds. C’est le but, j’en ai bien conscience, mais j’étais concentrée sur mes recherches, du moins je l’étais un minimum, et voilà qu’il m’emmerde. Mon mariage arrive trop vite pour que je puisse me permettre de perdre du temps et Devon le sait. Il sait bien des choses mon frère, ça ne l’empêche de se venger pour mon indiscrétion et à la persistance qui découlé de cette dernière. « Je te croyais plus incroyable dans tes insultes Teddy, tu peux mieux faire ! » Frappant son épaule avec conviction, lèvres pincées, je le fusille du regard. « Je suis au travail, je reste polie ! » Mon excuse est complètement naze étant donné que je suis l’une des premières à jurer lorsque je suis de garde – particulièrement sur le terrain, lorsque quelque chose ne va pas – seulement là je suis fatiguée. Je ne cache pas le fait que je voudrais que cette garde termine pour que je puisse rentrer chez moi dormir dans les bras de mon fiancé, mais je tiens le coup parce que c’est le boulot. Si ça veut dire que j’ai des insultes à chier, tant pis. Devon en fait de même, il garde le magazine assez haut pour que je ne puisse pas lui arracher des mains, le feuilletant jusqu’à me surprendre en me proposant une robe qui, oui, est plutôt pas mal. « J’en sais rien, je suis pas styliste dans les robes de mariée et je suis pas un fou dans la mode. Je sais pas, je la trouve belle comme robe, j’pense qu’elle pourrait t’aller, la dentelle c’est plutôt cool en vrai, c’est tout. Et le bustier pourrait t’aller, j’en sais rien moi. Si t’as l’ocas’, essaye-la et montre là à ton petit con de frère. » Je regarde une fois encore la robe puis Devon qui retourne s’asseoir, pour finir par suivre le mouvement. Laissant de côté la taquinerie, je me pose sérieusement devant lui, bras en appuient sur la table qui nous sépare de nouveau. « D’ailleurs, pendant que j’y pense … » Débutais-je en refermant le magazine que je pousse sur le côté, mon regard planté dans celui de Devon dont j’ai désormais toute l’attention. « T’étais sérieux quand t’as dit que je voulais faire une partie du chemin vers l’autel ? » Question qui me trotte depuis quelques jours et que j’ai envie l’occasion de poser en tête-à-tête, ou presque si on n’oublie nos collègues.

Se faire chier mutuellement c’est dans nos habitudes. Je sais que notre ancien chef a pris un risque le jour où il a accepté que nous soyons tous les deux dans la même caserne, sous le même toit pendant des gardes de vingt-quatre heures. Il n’est pas rare de voir des membres de la même fratrie dans une même caserne mais concernant Devon et moi … eh bien disons que nous avons une grande tendance à nous rentrer dedans et à nous chercher sans arrêt. Pour certains ça peut être fatiguant de voir un frère et une sœur se chamailler sans arrêt mais à la 48 c’est une grande famille. En réalité, nous nous chamaillons tous sans arrêt parce que nous nous aimons de cette façon et que notre lien est également notre force. Alors pourquoi Devon se retiendrait-il de m’emmerder ? Et pourquoi devrais-je me retenir aussi ? Il n’y a que mes insultes que je tente de contenir au maximum parce que … eh bien je n’ai pas de raison particulière, disons simplement qu’aujourd’hui je ne suis pas d’humeur à sortir de jolis petits noms d’oiseaux, encore trop stressée par tous les préparatifs d’un mariage qui va arriver très vite. Même si James organise tout, qu’il a tenu à s’en occuper – probablement parce qu’il tourne en rond à la maison – je dois tout de même superviser certaines choses et je ne pensais pas que ça pourrait être aussi stressant. Dire que je me moquais de certaines futures mariées qui faisaient tout un plat des choses qui n’allaient pas. Autant dire que maintenant je retiendrai mes critiques étant pratiquement dans le même état qu’elles. Forcément en pensant au mariage, je pense également à cette requête que Devon a eu par message et que je n’avais pas osé remettre sur le tapis jusqu’à présent. Le voyant arquer un sourcil comme s’il s’attendait à ce que je l’emmerde avec une question agaçante, je lève les yeux au ciel, soupire et me retiens de le frapper. « Parce que je n’avais pas l’air sérieux en disant ça ? » Je hausse les épaules. Comment savoir puisqu’il n’a pas plus insisté et que nous n’en avons pas discuté jusqu’à présent ? Je ne suis pas devin ! « Je sais très bien que c’est notre père qui va faire tout le chemin, je pense que c’est ce que tu veux, mais ouais, j’aurai bien voulu réserver une partie du chemin pour emmener ma sœur jusqu’à son mari, normal comme envie sur le coup. Être acteur dans le bonheur d’une personne que tu portes dans ton cœur. » Silencieuse, je l’analyse un instant, penchée sur la table entre nous et je finis par me redresser sans le quitter du regard. « Eh bien t’avais tort ! » Je lâche en retombant contre le dossier de ma chaise. « Je pouvais pas savoir si t’étais sérieux, tu m’en as pas reparlé. Papa va forcément vouloir me confier à James, ça lui tient à cœur mais tu peux parfaitement faire la première partie du chemin avec moi. Si ça te va bien sûr, je voudrais pas que tu sois obligé de supporter ta sœur en larmes. » J’attrape un de ces gâteaux à la con qu’il arrête pas de manger et lui rebalance au visage, un petit sourire au coin.