“ How continue to breathe ? Elle se perdait si facilement dans ses pensées, maintenant. Autrefois si consciente de la vie, aujourd'hui si déconnectée de celle-ci. Elle est là, Juliet, traversant le temps comme si elle n'y appartenait plus. Fantôme d'elle-même, mort vivante au milieu des gens normaux. Les gens normaux... Elle les enviait, ces gens qui n'étaient pas comme elle. Ceux qui n'avaient pas connu le fait de mourir sans que leur cœur ne cesse de battre. Ceux pour qui chaque respiration était facile, naturelle, sans même qu'ils y pensent, quand chacune de ses inspirations était un combat.

Elle en avait des raisons d'avoir du mal à respirer. Respirer. Elle avait l'habitude de dire que Romeo était comme son oxygène : vital. Que son fils était sa bouffée d'air. Elle n'avait plus rien aujourd'hui. Plus d'enfant, plus d'amoureux et le souffle coupé.

Elle n'avait fait que se poser la question ces derniers mois. Depuis un an en fait, quand son mari était parti, leur couple brisé, sans doute irréparable, tous deux incapable de cesser de se faire du mal... Comment font-ils pour continuer de respirer ?

“ You take a breathe, and another. That's it ! La réponse lui était venue comme un souffle, une respiration difficile, la douleur lancinante de son plexus. Tu prends une inspiration, puis une autre. C'est tout. Tu continues de respirer, un souffle après l'autre. Ils avaient tous cru que l'accident n'en était pas un ce jour-là. Comment leur en vouloir ? Elle avait tout perdu, tellement en si peu de temps. Un enfant, un mari, une condition de vie. Elle sombrait lentement, s'enfonçait tout en continuant d'accepter les mains tendues, tout en refusant de demander de l'aide. Elle sombrait et personne n'était là pour l'empêcher de couler, de passer ses journées à faire un travail sous-payé alors qu'elle avait un doctorat et une équipe qui n'attendait que son retour, ses nuits à pleurer son enfant, roulé dans son petit lit trop fragile, entouré de peluches qui n'avait plus de propriétaires, réduisant toujours un peu plus ses dépenses, à mesure que son compte en banque fondait comme neige au soleil. Elle n'avait pas voulu mourir, elle était juste trop triste, trop prise dans ses pensées, trop inconsciente que le monde continuait autour d'elle, que sa voiture roulait, qu'un virage arrivait et qu'il fallait qu'elle freine avant de s'engager dans celui-ci. Ce n'était pas une tentative désespérée. C'était une inattention de trop, une pause de trop dans une vie qui ne l'attendait plus. Une chanson de trop qui l'avait fait pleurer et plonger dans les souvenirs d'une vie plus heureuse. Ce n'était pas un appel à l'aide ou une volonté d'en finir, mais ça avait été son électrochoc, sa réalisation. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle ne pouvait pas mourir comme ça, dans cette vie en pause.

Alors elle demanda de l'aide ce jour-là. Elle accepta la thérapie qu'on lui proposait depuis plus d'un an, elle accepta ce canapé loin de sa triste maison vide, elle accepta de reconnaître qu'elle était en dépression et que prétendre le contraire avait conduit à la situation actuelle entre Romeo et elle.

“ Smile, breathe and go slowly. Sourit à la vie et la vie te sourira. Elle n'y avait jamais cru, trouvait de telles phrases toutes faites stupides, mais si elle avait bien compris une chose, depuis qu'elle voyait le psychologue, c'était que si elle souriait au bon moment, de la bonne façon, si elle surprenait le monde à rire de façon adaptée, elle pouvait tromper son monde. Prétendre qu'elle n'était plus si creuse à l'intérieur, prétendre que ça allait mieux, qu'elle progressait.

Prends une inspiration, puis une autre. Continues de respirer, un souffle après l'autre. Respirer, c'était un bon début pour revivre. Une respiration après l'autre, un jour après l'autre, une difficulté après l'autre. Le chemin de la guérison ne pouvait être que long. La cicatrice éternelle. Mais une respiration après l'autre et peut-être qu'elle trouverait le courage qui lui manquait encore un peu. Le courage qu'elle avait eu, quand elle avait mis la maison à Phoenix en location, quand elle avait démissionné de son dernier travail, quand elle avait pris son billet de bus pour rejoindre Los Angeles, quand elle avait pris un travail et un logement dans la Cité des Anges avec l'intention de tenter de reprendre sa vie en main. Ce courage dont elle avait besoin, maintenant, pour affronter Romeo. Pour le trouver, lui dire ce qu'elle avait sur le cœur et voir où cela les mène. Le courage d'affronter la réalisation que peut-être... peut-être... il avait avancé, lui, délesté d'elle...

Qui va lentement va loin. Elle n'avait pas besoin d'aller trop vite, pas besoin de se perdre dans la précipitation d'un besoin égoïste. Elle avait besoin d'y aller lentement, pas à pas, pour être la bonne personne lorsqu'elle se retrouverait de nouveau devant son époux. Elle ne voulait pas le revoir pour le supplier de revenir, ni pleurer combien il lui manquait. Il ne méritait pas ça. Ils ne méritaient pas ça. Ils méritaient de mettre leur histoire au clair et de déterminer ensemble ce qui serait la bonne suite à donner. Réparer les choses ou mettre un point final à leur amour. Elle avait forcément une option qu'elle préférait à l'autre, mais savait qu'elle n'était pas seule dans l'équation. Ils s'étaient fait du mal. Beaucoup de mal. Tout ne pourrait pas s'oublier si facilement... Et puis elle n'arrêtait pas de se le dire, comme une punition supplémentaire à sa peine : peut-être qu'il était plus heureux sans elle et ne voulait plus être le mari de Juliet Phillips...