Benjamin n’avait jamais réussi à être en colère contre Tomas, pas même de façon assez brève pour que ce soit peu significatif. Jamais il ne lui en avait voulu, jamais il n’avait même songé à lui en vouloir. Et si ressentiment il y avait pu avoir, il y avait désormais plus d’un an, lors de leur rupture, il n’avait été dirigé que contre lui-même. Oui, l’attitude de Tomas lui avait fait mal, oui, le voir chercher sans cesse à s’autodétruire ainsi avait été une source de douleur constante ; mais la colère, à cette période, n’avait été dirigée que contre lui et contre lui seul, car c’était bien lui qui avait été responsable. C’est lui qui avait blessé Tomas, si profondément à l’époque que même entendre parler de lui était impossible pour le plus jeune. Lui qui avait tout foutu par terre. Alors oui, il avait été énervé, quelques fois, insupportable, même. Mais en colère contre Tomas, jamais. Il ne pouvait même pas s’imaginer lui en vouloir, pour quelque raison que ce soit.

Alors oui, Benjamin avait fait preuve d’un peu d’agacement en arrivant ici, perturbé par l’attitude incompréhensible de Tomas. Oui, il s’était montré un peu plus sec que d’habitude face aux reproches infondés et oui, il avait été plus sévère encore pour parvenir à le faire jouer, se servant de leviers qui n’avaient trait d’habitude que dans leur intimité pour le sortir de l’état dans lequel l’autre semblait simplement s’enfoncer toujours plus. Mais ça avait marché. Ca avait fonctionné, peut-être au-delà même de ses espérances. Car malgré sa voix dure, mais posée, malgré son ton directif et son attitude sûr de lui, Benjamin n’avait pu s’empêcher malgré tout de douter. Pas de Tomas, non – parce qu’il était hors de question que quoi que ce soit puisse le faire douter de Tomas – mais de ses propres capacités à lui, Benjamin Patterson, à réussir à faire ressortir le meilleur de son amant. Parce que Tomas pouvait briller, parce que Tomas, même, savait le faire, mieux que personne aux yeux de l’acteur chevronné. Et Benjamin ne pouvait que s’en vouloir d’être celui à l’origine de cette défaillance. Il n’avait pu donc qu’espérer que celle-ci ne soit que temporaire.

Et il y était arrivé, oui. Ou plutôt, Tomas était arrivé. Benjamin avait eu l’impression que cela avait été bien plus laborieux que ça n’aurait dû l’être et particulièrement pénible pour son amant, si bien que plus d’une fois, il avait lui-même faillit mettre fin à cette séance de répétition improvisée – et un peu tardive, il est vrai. Mais il avait vu le changement, il avait vu Tomas semblait se détendre, peu à peu. Il avait vu Tomas se transformer petit à petit pour incarner toujours plus son personnage. Il l’avait vu semblait s’améliorer à chaque instant, pour finalement parvenir à ce qu’ils attendaient, tous les deux : la scène parfaite, oui, ou tout du moins ce qui s’en rapprochait le plus. Ne restait plus qu’à retenter l’exploit sur le plateau !

Pour autant, Benjamin ne met pas tout de suite fin à la séance ; Tomas, de toute façon, ne lui en laisse pas le temps. Et avant qu’il ait le temps de dire le moindre mot, le voilà qui sent sa main être saisie et le corps de Tomas venir se blottir contre son corps. Il ne se fait pas prier, Benjamin, pour refermer ses bras autour de son corps, dans une étreinte protectrice comme il a l’habitude de lui offrir. Car malgré leurs tailles si peu assorties, malgré leurs quasi dix centimètres de différence, il avait toujours su se montrer protecteur envers le plus jeune et, pour être honnête, il aimait lui offrir ce réconfort que les angoisses de l’autre le poussait à chercher auprès de lui. Il aurait tout fait, pour lui, tout donner. Et il espérait que Tomas en avait bien conscience. Pourtant, il ne peut lui répondre tout de suite, à Tomas, quand le plus jeune finit de vider ce qu’il a sur le cœur. Il ne peut, car sa gorge est trop serrée, car ses mots l’ont touché, plus qu’il ne l’aurait cru possible. Parce qu’ils sonnent si vrais qu’ils l’atteignent en plein cœur. Parce qu’il ressent, dans chacun de ses mots, tout aussi bien l’amour que Tomas lui porte que son angoisse à se trouver ici. Une pression qu’il n’avait pas même pu imaginer, lui qui avait été si heureux d’avoir enfin la chance de pouvoir jouer avec Tomas. Il n’avait pas pensé alors à ce que cela pouvait représenter, pour lui. Et oui, à mesure que l’autre déballait l’intimité de ses pensées, Benjamin se sentait à son tour assaillit par un certain trop plein d’émotion. Par les remords de n’avoir rien vu, par les regrets de n’avoir agit plus tôt. Mais surtout, surtout, par l’amour que l’autre lui porte et qu’il lui porte également en retour. Et c’était ça qu’il voulait retenir, Benjamin, ça qu’il voulait faire ressortir dans ce baiser d’abord timide auquel il répond de tout son être. Ca qu’il voulait faire ressentir à Tomas, cet amour sans fin qu’il ressentait pour lui. Ca, et un peu de soulagement aussi que ce baiser lui fasse gagner le temps nécessaire à ce que sa gorge se desserre, un peu, pour enfin pouvoir lui répondre.

« Tu n’as pas à t’excuser, sweetheart… » Qu’il commence, d’une voix douce, alors que l’une de ses mains vient se perdre dans les mèches trop longues, qu’il se recule juste après pour pouvoir plonger dans son regard si bleu. « C’est moi qui devrait être désolé, plutôt, de n’avoir pas penser à tout ça… Mais je t’assure que tu n’as aucune raison de douter de toi, mon cœur. Tu es parfait et tu atteindras un niveau bien supérieur à celui que j’aurais jamais. Tu es un merveilleux acteur, Tom, et c’est un honneur de partager avec toi l’affiche de ce film. Alors ne t’en fais pas, d’accord ? On va retourner là-bas et tu vas tous les éblouir, comme tu m’as éblouis moi-même la première fois que je t’ai vu sur les planches. Ok ? Je t’assure, mon amour, que tu n’as pas à t’inquiéter une seule seconde. » Et comme pour ponctuer ses paroles, Benjamin revient chercher les lèvres du jeune homme, pour un nouveau baiser dans lequel il met toute sa tendresse. Tout son cœur. Tomas est l’un des acteurs les plus agiles qu’il ait jamais connu, le meilleur, à ses yeux, de sa génération ; il est hors de question que quoi que ce soit, et surtout lui, ne puisse jamais le faire douter de cela.