Il n'a rien pu me dire. Hormis m'informer de sa présence aux urgences, il n'a pas pu m'en dire plus. Paniqué, voilà comment je me sens maintenant. Les mains serrées autour du volant, le pied appuyant un peu plus sur la pédale de l'accélérateur, je fonce de Malibu jusqu'à Los Angeles. Je me contrefous du code de la route et des limitations à suivre, tout ce que je veux c'est arriver au plus vite aux urgences de l'hôpital. J'ai peur, peur de découvrir le pire une fois sur place. Peur de ce qui peut lui être arrivé et peur d'avoir perdu tout ce temps en petit con que j'ai été. Putain, seigneur ne me fait pas ça ! Je suis pas du genre très croyant malgré l'éducation religieuse à laquelle mon père tenait, mais s'il y a une quelconque entité au-dessus de nous j'espère qu'elle n'a pas fait la connerie de priver ce monde de cette femme. Qu'elle m'échange à la place, je mérite l'enfer contrairement à Kalia et je suis prêt à offrir mon âme au Diable pour m'assurer de sa survie. Ce que j'ai fait en décidant de travailler avec mon père et d'ensuite prendre sa relève allant jusqu'à la repousser pour la protéger. Mon père n'est pas le diable, toutefois les personnes avec lesquelles il travaille le sont. La pointe de mon pied appuie un peu plus sur la pédale et je slalome entre les voitures en me moquant des prunes auxquelles je vais avoir le droit. J'ai laissé Naël à sa baby-sitter appelée en urgence. Scarlett n'est pas difficile même si je suppose qu'elle accepte tout parce qu'elle vient d'avoir le travail, mais je saurais la payer comme il se doit pour ce service rendu. L'ouest de Los Angeles enfin atteint, il me faut à peine cinq minutes en roulant à toute vitesse pour gagner la clinique dans laquelle Kalia a été amenée. Je me gare sur la première place que je trouve, claque la portière de la voiture qui se verrouille automatiquement puis cours vers l'accueil des urgences. « Bonjour, je cherche Kalia Sheridan. Enfin Sheridan-Turner. » Les yeux de l'infirmière se lèvent vers moi et si elle me reconnaît, elle ne le montre pas. Commence alors ses questions pour savoir qui je suis. Pas de la famille si c'est ce qu'elle veut savoir et je commence à m'énerver n'ayant pas que ça à faire. « Dites-moi où elle est, bordel ! » Je me retiens de crier, il serait idiot qu'elle appelle la sécurité même si elle ne semble pas loin de le faire. C'est à ce moment précis que le visage blême d'Emma, copie conforme de Kalia, apparaît. « C'est bon, c'est un proche de la famille. » Assure-t-elle même si ça ne semble pas immédiatement convaincre l'infirmière qui, enfin de compte, soupire et me laisse rejoindre la jeune femme. « La bouscule pas, sinon je t'assure que je te brise les couilles. » Me chuchote-t-elle en faisant barrage de son corps devant la porte du box dans lequel se trouve sa jumelle. Les vitres opaques lui permettent de garder une certaine intimité mais tout ce que je veux est la voir. Mon regard suffit comme réponse à sa sœur qui me laisse passer et m'annonce qu'elle va prendre l'air, sans doute pour que je donne cette excuse à Kalia si jamais elle demande. J'opine et fais coulisser la porte vitrée. Allongée sur son lit, bien plus pâle que son double, je découvre Kalia et sens presque mon myocarde se briser. « Salut ... » J'ignore si sa sœur l'a prévenu de mon arrivée et si Tommy a prévenu cette dernière. Je ne sais pas non plus si elle va vouloir de ma présence ici mais dans tous les cas je ne compte pas l'abandonner, pas une nouvelle fois.

Kalia l'a dit elle-même, elle a toujours été plus ou moins dans l'ombre de sa sœur mais comme je le lui ai assuré, elle est celle que j'ai vu dès le premier regard, celle dont je suis tombé amoureux et celle que je ne supporte pas de voir mal ou de savoir malheureuse. Je n'ai pas aimé apprendre que ma décision l'a fait souffrir même si j'étais persuadé que c'était la meilleure chose à faire pour elle. Désormais je sais que ce n'est pas le cas. En recevant les messages de Tommy m'annonçant sa présence aux urgences j'ai immédiatement imaginé le pire. J'ai paniqué. Oui, j'ai paniqué en pensant avoir perdu du temps avec elle, en pensant que cette fois elle m'a été arrachée sans que je puisse y faire quoi que ce soit. L'impuissance me rend malade et je prie sur la route pour que mes pires craintes ne soient pas réelles. Soulagé, je le suis que lorsque j'entre dans la petite pièce bien que la sensation se dissipe presque aussitôt. Je ne suis pas le genre de type à pleurer facilement et en réalité je ne me souviens même pas de la dernière fois où j'ai laissé quelques larmes couler. J'en ai presque envie de la voir ainsi, allongée sur ce lit d'hôpital, perfusion dans le bras, et d'autres fils ici et là pour surveiller son état.Je n'en fais rien, évidemment, et je me retiens également de frapper quelque chose pour évacuer ma frustration.Ma voix semble la sortir de son sommeil et quand son regard se pose sur moi je ne suis pas certain de ce que j'y lis. Incompréhension ? Peur ? Soulagement ? Je ne saurais dire. Nous restons là, à nous fixer de longues secondes sans savoir quoi se dire.« Qu’est…Qu’est-ce que tu fais là ? » Demande-t-elle enfin. Je reste les mains dans mes poches, devant la porte. « Tommy m'a prévenu et … j'ai pas réfléchi, je suis seulement venu dès que j'ai su. » Trouvant le courage nécessaire pour bouger, je fais glisser le fauteuil près de son lit pour me rapprocher d'elle en m'y installant. « Qu'est-ce qu'il s'est passé, Kali ? » J'ose poser une main sur son visage fatigué que je caresse tendrement en me moquant de savoir si oui ou non ce geste est déplacé.

Aucune surprise à l'entendre me demander ce que je fais ici. C'est normal, elle doit aussi se demander comment j'ai su. Emma n'y est pour rien, c'est Tommy qui a vendu la mèche. Tommy qui a voulu m'avertir et je ne peux que lui en être reconnaissant. Je serais devenu fou en apprenant son passage aux urgences sans avoir été mis au courant. Je ne le mérite pas, je le sais, je suis néanmoins satisfait de le savoir. Cela dit je déteste la voir ainsi, aussi pâle et aussi mal. Affaiblie et visiblement malheureuse. J'ignore ce que je peux faire ou même si ma présence ici est une bonne chose, seulement je ne me vois pas partir maintenant et l'abandonner une seconde fois. Installé près d'elle, je pose la question qui me brûle les lèvres. J'ai besoin de savoir la raison de sa présence ici, ce qui lui est arrivé. Elle ne répond pas. A vrai dire son regard me fuit. De la honte ou le besoin de me cacher ses larmes ? Je ne saurais dire même si ça me fend le cœur. « Eh, Kalia. » Sans la forcer à regarder vers moi, j'abandonne sa joue et lui préfère sa main. « Si tu n'as pas envie d'en parler je ne vais pas te forcer. Mais si tu veux le faire, si ça te soulage, je ne suis pas là pour te juger. Je ne le ferais jamais. » Serrant un peu sa main dans la mienne, mon pouce en caresse le dos avec tendresse. Une façon comme une autre d'appuyer mes propos tout en lui offrant autant de soutien que possible. Si je ne dois être là que pour la soutenir, je le ferais. Je ne dis pas que je ne suis pas rongé par la curiosité, cependant je lui ai promis faire des efforts et ça commence maintenant alors que je ravale toutes mes questions. Accoudé au lit, je ne résiste pas à l'envie de caresser ses cheveux. Elle continue de pleurer en silence, autant que possible en tout cas, mais ça lui fait du bien j'en suis certain. « Je te promets de ne pas bouger d'ici. » Je chuchote sans arrêter mes caresses.

Je ne sais pas de quelle façon m'y prendre. Avec mes sœurs j'aurais su, je les connais par cœur et sais de quelle manière les faire parler sans qu'elles ne me tiennent tête. Et puis nous nous faisons confiance et ça, je l'ai perdu concernant Kalia. Je pourrais aussi décider de la laisser encaisser ce qui lui est arrivé tranquillement sur ce lit, je n'y parviens pas. Il m'est impossible de la laisser seule une nouvelle fois, impossible de m'éloigner d'elle en la sachant si mal. Elle n'a peut-être pas envie de parler, après tout je suis sans doute la dernière personne à qui elle a envie de le faire. Ça ne m'empêche pas d'espérer et d'être tendre avec elle. Déplacé ou non, j'en ai rien à foutre. Je ne peux pas rester là sans rien faire, être le cœur de pierre que je suis avec le reste du monde. Mais elle inspire un grand coup ce qui chez elle veut dire qu'elle s'apprête à parler. « Il…Il me bâtait…Danny. » Tous mes muscles se contractent d'un coup, particulièrement ma mâchoire. J'avais quelques doutes mais l'entendre l'admettre de me donne des envies de meurtre. Oh cet enfoiré a tout intérêt à ne pas mettre un seul pied à Los Angeles, je sais que je ne pourrais pas me retenir de lui exploser sa gueule de connard. Mais il y a aussi la culpabilité … La culpabilité en sachant que je suis celui qui l'a poussé dans les bras de ce connard.« La dernière fois qu’il a… il… Ce soir-là, j’ai fini aux urgences, le poignet cassé. J’ai appris que j’étais enceinte de quelques semaines. Ma fausse couche a eu des complications….irréparables. » J'encaisse tout ce qu'elle m'avoue comme je le peux. Elle était enceinte, ce qui explique sans nul doute plus sa réaction face à Naël. Quel con … Jusqu'au bout ! Resserrant sa main, j'attrape celle qui essuyait ses larmes, les joints dans les miennes et les embrasse. « Il ne te touchera plus, tu m'entends ? » Ma voix laisse apparaître la colère qui me gagne. « Je ne laisserai pas ce type t'approcher une nouvelle fois. Jamais, pas s'il tient à sa vie ! » Je me relève pour m'asseoir sur le bord de son lit. Penché au-dessus d'elle, j'embrasse son front. « Je ne me pardonnerai jamais de ce que je t'ai implicitement fait mais je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour que ce connard ne lève plus jamais le petit doigt sur toi. » Je ne lui dit pas que je suis désolé parce que je sais que ce n'est pas ce qu'elle veut entendre et que ça n'arrangera rien. En revanche je peux faire en sorte de la protéger cette fois quitte à envoyer son mari dans la tombe.

C'est de ma faute. Tout ce qui lui est arrivé à partir du moment où je ne l'ai pas retenu est de ma faute. C'était indépendant de ma volonté bien sûr, ce qui ne veut pas dire que je me sens moins coupable et que ça ne va pas me bouffer à l'avenir. C'est comme si je l'avais poussé droit dans les bras de son enfoiré de mari, presque comme si j'avais guidé la main de ce type qui s'est levée sur elle. Si je n'avais pas eu aussi peur que le pire lui arrive, je l'aurais gardé près de moi et elle aurait été en sécurité. Plus qu'avec son mari. Mais je comprends mieux. Maintenant je saisi la raison pour laquelle elle était aussi distante, la raison pour laquelle sa haine était aussi virulente malgré les années écoulées. Je me donne envie de vomir et plus que jamais je me hais. Je suis responsable de ce qui lui est arrivé et ça me tue ! Elle qui mérite d'être heureuse, qui mérite uniquement du bonheur, je l'ai jeté dans les bras d'un démon. Je voudrais frapper quelque chose – ou quelqu'un portant le nom de Turner – mais je me dois de rester calme pour elle. Kalia a besoin de mon soutien, elle a besoin que je reste près d'elle sans m'énerver même si ça me démange. Je finirai par le retrouver et ce jour-là je sais qu'il finira soit aux urgences, soit six pieds sous terre. Lorsqu'il reviendra pour l'approcher c'est sur moi qu'il tombera et il s'en mordra les doigts. La caresse qu'elle m'offre, cette main posée sur ma joue, me fait frissonner. Les yeux fermés pendant quelques secondes, je l'entends ajouter : « M’abandonne plus jamais, Shiloh » Des mots qui me font plus mal que je ne le voudrais et qui me rappellent une fois encore que je suis l'une des raisons de sa présence ici, de son état. « J’ai besoin de toi. » Ma première envie est de poser mes lèvres sur les siennes, de lui faire comprendre dans un baiser que je ne ferais plus jamais la même erreur, jamais ! C'est trop tôt et complètement déplacé de ma part. A la place, je dépose ce baiser contre sa tempe, mes lèvres refusant de la quitter. « Plus jamais, je te le promets. » Chuchoté-je près de son oreille. Restant ainsi de longues minutes, je me redresse pour croiser son regard encore larmoyant qui me fend le cœur avant qu'une idée n'émerge dans mon esprit. « Pars avec moi. Quelques jours loin de Los Angeles, loin de tout au soleil. Tu pourras souffler et te ressourcer. Je veillerai sur toi et tu reprendras des forces. » Maintenant que je sais tout ça, je ne peux pas la laisser seule ici avec le risque que son mari revienne. J'ai besoin de ces quelques jours loin de tout mais elle aussi. Ça lui fera du bien et elle n'aura rien à faire hormis se détendre. Oui, ça me semble être une excellente idée.