« T’es certain que tu ne veux pas que je reste un peu pour t’aider ? » Un petit sourire vint étirer le coin de mes lèvres. Tête secouée de gauche à droite, je la vois sourire à son tour en prenant conscience qu’elle s’inquiète sans doute trop pour moi. C’est dans ses habitudes, en personne altruiste qu’elle est, s’inquiéter autant fait partie d’elle. Sans parler du fait qu’elle a probablement une impression de déjà-vu à chaque fois qu’elle passe la porte de l’appartement. « Rentre chez toi, Oswald. Tu en as déjà fait plus que ce pour quoi je te paye et je suis certain que ton mari s’impatiente de te voir. Lui et les filles. » A peine ai-je parler d’Arthur que son regard s’illumine aussitôt et ça me fait rire. J’ai déjà vu cette lueur mais dans le regard d’Oliana et, sincèrement, ça me manque de ne plus l’y voir. « Sans parler du fait que tu dois être fatiguée, rentre te reposer auprès de ta famille. » Une main protectrice posée sur son ventre de plus en plus arrondi ne laisse pas douter de son état. Les jumelles approchent doucement de leurs deux ans et déjà leurs parents s’apprêtent à accueillir un petit prince. Ça me fait plaisir pour eux. « Très bien, mais il aurait compris. Il est passé par là lui aussi. Ne te mets pas trop de pression, Cam. » Sa main effectue une légère pression sur mon épaule avant qu’elle ne quitte mon appartement. Je connais son mari, prince d’Angleterre, pour l’avoir rencontré à plusieurs soirées barbantes qui nous ont permis de devenir amis et c’est grâce à cette amitié qu’aujourd’hui sa femme est ma kinésithérapeute même si je n’ai pas l’impression de faire beaucoup de progrès – apparemment je suis aussi patient que son mari l’était, soit pas du tout. Ce n’est pas la raison de mon angoisse ce soir. Après avoir fait brûler le pitoyable repas que j’ai tenté de faire et Oswald étant à l’appartement pour ma séance quotidienne, elle a accepté d’aller prendre une pizza chez Il Pastaio. Revenue chez moi, elle m’a aidé à dresser la table sur la terrasse. Entre les bougies sur celle-ci, les guirlandes de lumières et la vue sur Los Angeles, ça suffit à donner un cadre romantique à cette soirée. Un premier rendez-vous qui m’angoisse comme si je jouais ma vie. Peut-être est-ce le cas ? Après tout, ça pourrait être une catastrophe et je pourrais ne plus avoir une chance comme celle-ci. J’ai préféré l’appartement n’étant pas encore prêt à affronter le regard des autres sur l’homme que je suis devenu. Désormais seul, je fais passer le temps en m’assurant que tout est redressé comme il le faut et que la bouteille de vin rouge prend l’air quand la sonnerie de l’appartement me fait sursauter. Faisant rouler mon fauteuil jusqu’à la porte, j’inspire un bon coup et l’ouvre. « Salut. » Je lâche dans un souffle en la regardant des pieds à la tête pour surtout m’émerveiller devant ce visage qui ne cesse de hanter mes pensées. Pourquoi faut-il qu’elle soit aussi belle ? Peu importe ce qu’elle porte, sa beauté naturelle me coupe le souffle. Il me faut quelques secondes pour réaliser que je me perds dans mes pensées et que je la laisse patienter sur le pas de ma porte. « Oh, entre ! » Dis-je en reculant mon fauteuil pour la laisser passer. « Il faut que je sois tout à fait franc avec toi … » Commençai-je, ce qui me vaut un regard inquiet que je balaye d’un geste de la main. « Je suis aussi stressé que la première, première fois. Peut-être même un peu plus, alors pardonne-moi si je suis un peu gauche ce soir. »

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Je n’ai pas l’habitude d’être aussi nerveux. Du moins, je le suis toujours un peu avant une course ou une réunion de grande importance, mais jamais autant que ce soir. Être sûr de moi, c’est comme une seconde nature et là … Je me trouve comme un con. Ça ne devrait pas autant m’inquiéter. Je devrais être à l’aise même. Je connais Oliana depuis gamin et niveau intimité, disons que nous ne pouvions pas faire plus que ce que nous avions. Alors pourquoi avoir la sensation d’être un adolescent complètement puceau qui n’a pas la moindre idée de ce qu’il doit dire ou de ce qu’il doit faire ? C’est tellement puéril que j’ai envie de me coller des claques. Ça ne me ferait pas de mal, j’en suis certain. Cependant, je n’ai plus le temps de me torturer et de trop réfléchir. Oliana est là, derrière la porte de mon appartement, et lorsque je lui ouvre je reste sans voix. Cette femme est tout bonnement magnifique. Je ne suis sans doute pas objectif mais, seigneur, l’effet qu’elle me fait est sans appel ! Elle provoque la même chose chez moi à chaque fois, d’autant plus depuis qu’elle sait. C’est assez pour me faire oublier qu’elle est dans le couloir et moi comme un con, à la regarder. « Salut » Bien, au moins elle a l’air aussi mal à l’aise que je le suis. Ça ne devrait pas mais pourtant ça me rassure. « Je suis une boule de nerf depuis hier soir … On sera gauche tous les deux, je crois. » Me confie-t-elle après lui avoir dit que je suis d’une nervosité impressionnante. Voilà qui me fait sourire tandis que je claque la porte derrière nous et me dirige avec elle vers le salon. « Oui mais n’hésite pas à me le signaler si je dis ou fais quelque chose qui ne faut pas. Je risque d’avoir des habitudes et je ne veux pas te mettre mal à l’aise. » Il serait idiot qu’un geste lui paraisse déplacé et qu’elle se sente mal à l’aise. Ça ruinerait tout. « Je suis désolée, j’ai rien pensé à ramener, du coup … » A mon tour, je me mets à rire et lui fais signe de la tête de me suivre jusqu’à la terrasse. « Crois-moi tu n’avais rien besoin de ramener. J’ai même pris soin de prendre le vin rouge que tu aimes, en espérant que ça soit toujours le cas. » Est-il possible que ses goûts aient changé à cause de sa perte de mémoire ? Merde, pourquoi je n’y ai pas pensé ? « Mais avant de s’installer, qu’est-ce que tu veux écouter ? Je ne suis pas un grand fan du silence. » Et puisque Spotify est mon ami, je peux facilement choisir ce qu’elle veut et éviter des moments gênants.

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Il me faut passer le cap de l’angoisse, parvenir à la faire taire. Après tout manger ensemble est presque habituel. Sans le côté rencard, nous avons mangé tous les deux pendant des années, pourquoi devrais-je avoir autant de pression alors ? Probablement parce que je ne cesse de me répéter que ça peut jouer sur notre relation, notre avenir. Je l’ai perdu une fois, est-ce que je serais capable de la perdre une seconde fois et de m’en relever ? Je n’en suis pas certain. Oliana est la seule constante dans ma vie, la seule chose qui a toujours fait sens. Il n’y a qu’à voir l’état dans lequel j’ai été pendant ces longs mois de mensonges. Je ne veux surtout pas retourner sur ce chemin mais si rien ne se passe comme prévu, je n’aurais pas le choix. J’arrive à me rassurer en la voyant aussi nerveuse même si elle a plus de raisons de l’être que moi. J’ai déjà vécu tout ça alors que pour elle c’est totalement nouveau. « Aucun souci, tu sais que je n’ai pas ma langue dans ma poche. Enfin, pour dire ce que je pense, hein … je … » Sourcils haussés, lèvres pincées, j’essaye de ne pas trop rire du sous-entendu qu’elle vient de lâcher. Je pourrais jouer là-dessus et la taquiner mais je pense que parler de notre sexualité passée n’est pas une bonne idée. Pas maintenant en tout cas. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir un léger frisson en pensant effectivement à ce dont elle est capable avec sa langue. « Détends-toi, Ollie. J’avais parfaitement compris. » J’adore voir ses joues prendre une teinte légèrement rosée et quelque chose me dit qu’elle risque de rougir plus d’une fois ce soir. C’est le risque dans une situation comme la nôtre. D’ailleurs, l’autre risque est que ses goûts aient changé à cause de son amnésie et à voir la tête qu’elle fait lorsque je parle de vin, je commence à douter d’avoir bien fait de prendre cette fameuse bouteille. « Je goûterai ça alors », « J’ai autre chose si tu préfères, mon bar ne sert pas souvent en ce moment, sauf pour le whisky. » Je désigne du menton les étagères pleines de bouteilles dans son dos, encastrées dans le renfoncement du mur du salon avant le couloir menant aux chambres. Lui proposant ensuite de mettre un peu de musique, lorsqu’elle me demande si elle peut choisir elle-même, je lui tends mon portable et la laisse faire. Les premières notes de piano sortent des enceintes et un sourire étire mes lèvres. « Au moins tes goûts en matière de musique n’ont pas changé. » Rassuré que certaines choses soient restées les mêmes, je souris. « Le repas devrait te plaire contrairement au vin … » La voyant sur le point de me contredire, je l’arrête en riant. « Je connais tes mimiques depuis plus de vingt ans maintenant et tu aurais dû voir ce qu’elle t’a tiré quand j’ai parlé de vin rouge. » Expliquai-je en lui faisant signe d’aller choisir ce qu’elle veut boire. « J’ai cramé le repas donc Oswald a gentiment accepté d’aller me chercher l’une des meilleures pizzas de chez Il Pastaio. » Après ma grimace en avouant être toujours aussi nul en cuisine, je lui souris tendrement en repensant à son obsession pour la pizza et sa facilité à en engloutir une qui m’a toujours impressionné.

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« Le vin m’ira très bien. Si je l’adorais, c’est qu’il y avait une raison » Je n’insiste pas plus que ça. Je n’ai pas le droit de la forcer à boire autre chose si elle désire y goûter malgré tout. Lentement, elle tente de sortir du brouillard dans lequel elle se trouve depuis l’accident. J’ai fini par douter sérieusement du fait que ses souvenirs lui reviendront un jour, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne tente pas de reconnecter avec une vie qui lui échappe complètement. Je me suis promis de l’aider à aller de l’avant, de la soutenir aussi longtemps qu’elle voudra de moi à ses côtés. Je n’ai pas la moindre idée de ce que nous réserve demain, de si j’aurais la chance de la reconquérir, mais je ne baisserai pas les bras. Ça commence par de petites choses, comme le fait de la laisser décider de ce qu’elle veut faire malgré l’appréhension que je dénote chez elle. Sans compter que ce n’est jamais qu’une bouteille de vin et qu’il y a plus important – ce qui ne m’empêche de m’étaler là-dessus mentalement en cherchant déjà ce qu’elle pourrait boire à la place. « Après nos vacances à Rome, t’avais tendance à en boire avec un bon livre dans l’autre main. » Je souris en repensant à toutes ces fois où je suis rentré à l’appartement pour la retrouver sur le canapé, jambes repliées sous elle, en train de lire avec son verre jamais loin. J’adorais venir embrasser ses cheveux et l’écouter me parler de son dernier livre coup de cœur. A bien y penser il y avait toujours de la musique en arrière fond. « J’aime le piano depuis toute petite, encore heureux » Je me rappelle surtout lui avoir infligé mes goûts musicaux adolescent, mettant ma musique bien plus fort afin de la rendre folle. Un vrai petit con ! « Ça me va parfaitement. » Assurai-je. Mon cœur s’emballe en entendant son rire. A chaque fois, c’est la même chose. Persuadé de ne jamais plus l’entendre, elle m’émerveille lorsqu’elle se met à rire, chasse toutes les ténèbres sur le point de m’engloutir. « Même si je pense que le repas, s’il n’avait pas cramé aurait été très bon…La pizza est une superbe idée. Avec du vin, ça ira parfaitement » Je lève les yeux au ciel, sourire amusé en coin. « T’en penses pas un mot. T’aurais pas été capable d’avaler ce que j'aurais fait, j’ai jamais su cuisiner. » Je serais capable de faire brûler un pauvre steak haché ou de louper la cuisson des pâtes. Non, les fourneaux ce n’est pas fait pour moi. Une fois sur la terrasse, un peu nerveux, je la laisse admirer la décoration. Si les guirlandes de lumière sont toujours là, j’ai ajouté les bougies et les fleurs pour donner plus de charme à l’endroit. « T’as pensé à tout, dis-moi », « Je me suis dit que ce n’est pas parce qu’on est pas à l’extérieur qu’on a pas le droit à un petit cocon plus … romantique. » Je lui fais signe de s’installer à table et roule pour me placer face à elle. « Je suis désolé d’ailleurs, de ne pas te donner ce que tu mérites vraiment mais je t’avoue que l’idée d’être épié pour le moment, j’en suis pas capable. » C’est le fauteuil, je le sais, mais je ne suis pas encore prêt à assumer pleinement mon état. Prenant la bouteille de vin, je veille à lui verser uniquement de quoi goûter. « Je te propose de me poser toutes les questions que tu veux pour commencer. Tout ce que tu veux et ensuite ça sera mon tour, si ça te va ? »

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« Alors, c’est qu’il doit être très bon » Je ne peux que confirmer par un sourire. C’est à elle de se faire une idée désormais. Je le connais bien ce vin et je ne serais pas objectif si je lui affirmais à quel point il est bon. De toute manière j’aime le vin sous toutes ses formes. A vrai dire j’aime l’alcool. Je ne suis pas un fin connaisseur ce qui ne m’empêche pas d’apprécier cette boisson sous tous ses aspects, d’aimer ce que la nature a à nous offrir. Je pourrais parler de ça pendant des heures sans me lasser mais ce soir je veux me concentrer uniquement sur Oliana. Je veux lui offrir le premier rendez-vous qu’elle mérite même s’il ne se passe pas dans un restaurant en ville où j’aurais eu l’honneur de montrer à tous que cette femme s’intéresse à moi pour la seconde fois, que j’ai cette chance-là. « Faux ! J’aurai probablement goûté juste pour te faire plaisir … mais c’est vrai que t’as jamais été un vrai cordon bleu » C’est à mon tour de rire sincèrement. Je n’en crois pas un mot. Du moins, je l’imagine parfaitement porter une petite bouchée à ses lèvres pour me faire plaisir et tenter ensuite de cacher sa grimace de dégoût. Elle aurait ensuite insisté à me disant que c’était bon pour finalement me voir jeter le repas à la poubelle. Ces moments simples me manquent, je fais de mon mieux pour ne pas le lui montrer. Si elle en est là ce n’est pas de sa faute mais de la mienne. « T’as le droit de dire que j’ai toujours été une catastrophe, je serais pas vexé. » Lui assurai-je tandis que nous prenons la direction de la terrasse. L’air y est frais mais agréable à cette période de l’année et au mois nous n’aurons pas l’impression d’étouffer à l’intérieur. La vue sur Los Angeles est si apaisante que je ne pouvais pas me résoudre à manger dedans. De cette manière elle peut avoir un peu l’impression d’être dehors, j’ai tenté de penser à tout pour donner à ce rendez-vous des airs de vrai rencard. « C’est … parfait » Me dit-elle et ça suffit à me faire sourire. Tous deux installés l’un en face de l’autre, je m’excuse tout de même de ne pas lui donner ce qu’elle mérite vraiment et lui verse un fond du fameux vin rouge. « Cam … tu me suffis. Qu’importe l’endroit. Arrête de penser que tu ne me donnes pas ce que je mérite » Un frisson remonte le long de mon dos à l’instant où sa main se pose sur la mienne. Chaque contact avec elle provoque la même chose : ce désir pour elle, ce besoin d’en avoir plus sans jamais y succomber de crainte d’aller trop vite. J’aurais voulu la lui prendre et l’embrasser mais quasiment aussi vite qu’elle l’a posé sur la mienne, elle la retire. Pour chasser le manque que ça provoque déjà en moi je propose aussitôt de la laisser poser toutes les questions qu’elle veut. Je n’ai pas peur de ce qu’elle peut me demander, je lui dois la vérité après tout, alors qu’elle se fasse plaisir. « Ouh … t’y vas fort là ! » Je suis le mouvement de sa main qui mène son verre à ses lèvres et j’attends son verdict avec une pointe d’appréhension. « C’est pas mal ! » C’est fou comme entendre ces trois petits mots m’aide à me détendre, comme si on venait d’enlever un poids énorme de sur ma poitrine. « Vraiment tout ? » Je confirme d’un geste de la tête. « On a pas eu l’occasion de parler depuis … Où en es-tu dans ton entreprise ? » Nos verres remplis, j’en profite pour découper des parts de la pizza et en dépose une dans l’assiette d’Oliana puis dans la mienne avant de m’enfoncer contre le dossier de mon fauteuil. « On va dire que mon accident n’a pas servi à rien. » Annonçai-je en haussant les épaules mais je vois bien qu’elle ne voit pas pourquoi je dis ça. « Je portais le prototype de harnais de sécurité sur lequel on travaille depuis un an. Sans ça, je n’aurais probablement pas été aussi peu … touché. Donc je dirais que de ce côté-là tout va bien. Zack m’a envoyé les schémas conçus par l’équipe pour l'améliorer encore plus mais je n’ai pas vraiment eu la tête à m’occuper de ça. » Lui pensait que ça m’aiderait à penser à autre chose, ça m’a surtout un peu trop rappelé l’accident. « Pour ce qui est du côté courses la saison prochaine sera sans doute moins bonne. On a un petit nouveau qui me remplace, bon mais trop sûr de lui ce qui lui coûte pendant les courses vu qu’il n’en fait qu’à sa tête. » Sûr de moi, je le suis aussi dans mon métier mais j’ai toujours écouté les conseils de mon équipe lors des essais et des courses, c’est grâce à eux qu’on évite le pire et ce gamin ne semble pas l’avoir compris.

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