Perdu dans mes souvenirs, j’en oublie de faire attention aux réactions d’Oliana. Je repense à ces voyages que nous avons faits, à ces souvenirs que nous avions tous les deux, à ces projets qui nous faisaient rêver. Toutes ces petites choses que nous avions pris comme acquis et qui désormais me semble être insaisissables. Je repense à son émerveillement les deux fois où nous sommes allés en Islande, une vraie enfant qui s’extasiait devant la beauté de la neige blanche et pure. Je me souviens de ses râlements lors de nos randonnées sur les îles de l’archipel d’Hawaii alors que nous allions déjà lentement pour ne pas fatiguer son cœur. Elle voulait seulement profiter du paysage, de la plage et même de moi sans avoir à marcher des heures sans but précis. Du moins jusqu’à être émerveillée de surplomber tout et d’admirer la vue. Des souvenirs de nos voyages, j’en ai des tas et je les chérirais toute ma vie, pourtant j’en voudrais des plus récents, nous en construire de nouveaux qu’elle pourra elle aussi se remémorer de temps en temps. Des souvenirs qui viendront remplacer ceux qu’elle a oublié, des souvenirs que je finirais par préférer aux anciens parce qu’ils me paraîtront nettement plus authentiques. Tout ça, je cesse d’y penser dès que le hoquet d’Oliana me ramène à l’instant présent et que je vois les larmes dans ses yeux. Bon sang mais quel con ! J’aurais dû réfléchir avant de citer autant de choses, me contenter de parler de quelques-uns pour lui faire plaisir et garder le reste pour un autre jour. A la place, je me suis emporté et maintenant elle est dans état pas possible, sans doute bouleversée de ne se souvenir d’absolument rien. « J’suis… désolée » La table est de trop entre nous. Abandonnant notre repas sans la moindre hésitation, je la contourne pour aller me mettre près d’elle. Une main sur l’une des siennes, l’autre se pose sur sa joue où je chasse l’une des larmes qu’elle n’arrive pas à contenir. « Ne t’excuse pas, je n’aurais pas dû en dire autant, c’était trop. » Quel abruti ! Je voudrais la prendre dans mes bras mais il y a ce fauteuil qui me gêne, qui est si peu pratique que je n’ose pas faire ce dont j’ai envie. De toute manière rien ne me garanti qu’elle accepterait que je le fasse, ce serait peut-être déplacé et encore plus difficile pour elle. « Je te demande pardon, j’aurais mieux fait de me taire. » Les yeux baissés, je laisse retomber la main qui était sur sa joue. C’est l’une de ces rares fois où j’ignore de quelle façon réagir et que je ne sais pas comment garder la tête haute. Lorsque ça la concerne, je n’en suis jamais capable. Elle me met à nu comme personne, me donne envie de me surpasser tout en insinuant le doute dans chacune de mes pensées de peur de ne pas faire les choses comme je le devrais.

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Impossible de m’ôter de l’esprit que je ne suis qu’un pauvre idiot qui avait parfaitement raison de penser qu’il allait tout foirer une fois de plus. C’est exactement ce que je viens de faire n’ayant pas eu assez de jugeote pour réaliser que j’en disais trop. Evidemment qu’elle a dû mal à encaisser toutes ces informations. Je viens de lui faire réaliser tout ce qu’elle a perdu, tous ces moments que nous avons passé ensemble et dont elle n’arrive pas à se souvenir. Je lui ai agité sous le nez des rêves que nous avons réalisé et dont elle ne garde rien en mémoire. Qui serait capable d’encaisser une telle chose ? Quel gros con je fais encore ! C’est dans des moments comme celui-ci que je me dis que j’avais raison de penser qu’elle serait mieux sans moi, qu’elle n’aurait plus à souffrir. Je ne veux pas jouer le martyr, j’ai mieux à faire de ma vie que prétendre l’être, mais personne ne réussira à me retirer cette assurance. Il me suffit de voir ses yeux embués de larmes pour comprendre que j’ai raison et que je devrais probablement la laisser partir plutôt que de m’accrocher à elle, à notre histoire, comme un désespéré. « Non … non, c’est moi … j’ai osé demander. » Peut-être mais c’était son droit, je lui ai dit de me demander ce qu’elle voulait, c’était à moi de modérer les informations que je lui ai donné, à moi de m’assurer de ne pas trop en dire. Je la sais être forte, mais tout le monde à ses limites. Oliana vient de les atteindre. « Je ne pensais pas qu’on avait fait tout ça … J’ai … C’est toujours dur de me dire que j’avais réalisé des rêves … et de ne pas m’en souvenir … » J’humecte mes lèvres sans rien dire. Qu’est-ce que je peux lui répondre ? Que ce n’est pas grave ? Je pense que nous savons tous les deux que ce n’est pas vrai et que ce n’est pas ce qu’elle veut entendre. Pour elle ça l’est, parce que ce sont ses souvenirs et nos moments passés ensemble. Pour elle c’est important et je n’ai pas le droit de dire que ce n’est pas le cas. « Comme toi … J’essaye d’avancer … non, je veux avancer. Mais … j’arrive toujours pas accepter que j’ai pu entièrement te rayer de ma tête. » A chaque fois que je l’entends me dire ça, me dire qu’elle m’a rayé de ses souvenirs, je ressens comme un coup en plein cœur. Le choc a été terrible lorsqu’à son réveil elle a demandé ce que je faisais là. J’ai dû mentir et affirmer être venu seulement pour m’assurer qu’elle allait bien pour ensuite disparaître de la circulation. C’est dans mon coin que j’ai encaissé le fait que ma fiancée ne se souvenait pas que nous étions ensemble et sur le point de nous marier. Ce rappel constant est douloureux même ce soir. « Je … On peut finir tout ça sur le canapé ? J’ai besoin de tes bras, je crois. » Mon cerveau met quelques secondes à comprendre ce qu’elle vient de dire. Des secondes de silence avant que je ne saisisse et regarde mon canapé, à l’intérieur. « Je … euh, oui évidemment. » Encore un peu coupable de l’avoir mis dans cette position, je tente toutefois de la rassurer avec un petit sourire et détourne mon regard vers la pizza. « On peut très bien laisser ça là si tu veux ? » De toute manière, ma connerie m’a coupé la faim. J’ai surtout un gros poids dans l’estomac qui m’empêchera d’avaler quoi que ce soit hormis de l’alcool, mais ça c’est hors de question. J’attends qu’elle se lève pour la suivre jusque dans mon salon et alors qu’elle hésite à s’installer, sans doute prête à m’aider, je lui fais signe de ne rien en faire. Je suis capable de me débrouiller et je lui prouve en passant du fauteuil au canapé sans souci. « Tu es certaine que ça va, Ollie ? Si tu préfères rentrer et être seule, je comprendrais. » C’est tout ce que je mériterais aussi. La décision lui revient même si j’admets angoisser un peu vis-à-vis de ce que la prendre contre moi va provoquer autant dans mon corps que dans mon cœur.

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« Oui, je vais bien. » M’assure-t-elle lorsque je veux m’assurer qu’elle n’a pas simplement envie de prendre la fuite. Je ne pourrais pas lui en vouloir. Ce que je voulais à tout prix éviter – une catastrophe – vient de se produire parce que je ne suis pas capable de réfléchir. Ma culpabilité refuse de me lâcher et je me sens terriblement mal. Pas autant que le jour où elle a débarqué chez moi avec le journal crachant la vérité sur le mensonge qu’on lui servait tous depuis des mois, mais ce n’est pas loin. J’ignore de quelle façon me rattraper mais si elle pense que mes bras peuvent suffire, j’accepte lorsqu’elle me demande l’autorisation de se blottir contre moi. Bras levé, elle s’installe et je la serre par automatisme. Cet automatisme que j’ai pratiquement depuis toujours avec elle et qui m’apaise comme si rien n’était venu altérer notre relation. Respiration calme, je reste silencieux. Qu’est-ce que je pourrais bien dire de toute manière ? Je crains tellement de lâcher encore une connerie que je préfère ne rien dire du tout, c’est plus sûr de cette façon. « Je suis désolée … » Déclare-t-elle. Mon regard tombe sur elle même si elle n’en voit rien. « J’ai encore du mal à tout surmonter. J’ai … Je n’arrive parfois pas à cacher ce que je ressens. Tout me revient en pleine cœur, et ça fait juste … mal » Si c’était supposé m’aider à me sentir moins mal autant dire que ce n’est pas réussi du tout. Je caresse toutefois ses cheveux distraitement et tente de ravaler la boule que j’ai dans la gorge. « Mais je veux pas que tu ais de filtres envers moi, Cameron. J’ai besoin d’entendre les choses, de comprendre ce que j’ai vécu … même si ça me secoue plus que je ne devrais. J’ai sans doute ruiné notre premier rendez-vous » Ma main passe de ses cheveux à sa joue à mesure qu’elle parle puis s’arrête sous son menton que je relève pour pouvoir croiser ses yeux que j’aime tant. « Tu n’as rien gâché du tout, j’aurais dû savoir que j’en disais trop. » Insisté-je avant de déposer mes lèvres contre son front. « Je t’ai promis de ne plus jamais te mentir, ça ne veut pas dire que je dois tout te déballer d’un coup. Je ferais plus attention la prochaine fois, parce qu’il y en aura d’autres. » Cette première fois n’était pas aussi bien qu’espérée mais ça ne veut pas dire qu’il en sera de même dans le futur. Nous devons simplement apprendre à nous coordonner, à ne pas vouloir trop en savoir d’un coup pour elle et à ne pas trop parler pour moi. Nous en sommes capables, je le sais. Je le sens, ce n’était seulement pas fait pour ce soir. Ce qui ne m’empêche pas de la serrer de nouveau contre moi et de profiter de l’instant, de lui transmettre autant de réconfort que possible jusqu’à ce qu’elle soit obligée de rentrer chez elle.

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