« Je n’irai pas jusque-là… bien qu’il te faudrait quelques cours à ce sujet » Les yeux levés au ciel, il n’y a que mes lèvres étirées à leurs coins pour prouver que je suis loin de me vexer. La triste vérité est que même avec des cours de cuisine je resterais un danger une fois devant les fourneaux. Il faut croire que dans certains domaines certaines personnes ne sont réellement pas faites pour s’y trouver. Me surpasser et dépasser mes limites, j’adore ça, néanmoins j’ai très vite compris que pour ce qui est de confectionner de bons petits plats il vaut mieux que j’arrête d’insister. « Même là, ça reste très déconseillé. » Sa mère a bien essayé de m’apprendre le b.a.-ba, le résultat était sans cesse le même : un véritable désastre. Je n’ai pas la moindre envie de faire perdre son temps à une personne que je ne connais pas. Non, le traiteur me semble convenir parfaitement pour le moment et puisque j’en ai les moyens, je ne vois pas la raison pour laquelle je m’en priverais. De toute manière, ce soir ce n’est pas le sujet le plus intéressant bien qu’Oliana sait au moins que là-dessus je n’ai pas changé au cours des trois années effacées de sa mémoire. Ça doit la rassurer quelque part. Le jeu des questions lancé, une part de pizza servie chacun, je commence par admettre que mon accident a eu du bon. Certes, je ne le pense pas vraiment étant donné l’état dans lequel je suis maintenant mais on m’a dit d’essayer d’être optimiste. Pourtant je sais être tout ce qu’il a de plus ironique en disant ça. « Comment ça ? » Face à son incompréhension, je m’explique un peu plus en détails sans parvenir à penser à autre chose que ces fameux schémas qui attendent dans ma boîte mails. Zack ne me pousse pas à les consulter. Il prend le temps, me laisse faire à mon rythme et se doute forcément que ça risque de me chambouler, de me faire penser de nouveau à l’accident et à ces cauchemars dont il est le seul au courant avec mon psychologue. « Tu n’en faisais qu’à ta tête à tes débuts, si je me rappelle bien » Verre de vin porté à mes lèvres, je suspens mon geste. Sourcil arqué et regard posé sur la brune, je continue de sourire. « Je ne vois pas à quoi tu fais référence. » Répliquai-je en feignant une innocence qui ne me va pas du tout. « J’étais tête brûlée, je te l’accorde, mais j’ai toujours écouté mon équipe quand j’en ai eu une. C’est primordial si on ne veut pas terminer dans le décor. » Ça l’est pour éviter autant que possible de le faire. Dans mon cas leurs avertissements n’auraient rien pu changer. Rien n’aurait pu m’empêcher d’avoir cet accident et les répercussions auraient pu être nettement plus désastreuses si je n’avais pas fait la manœuvre que j’ai faite. « Tu sais que ça te ferait du bien de voir ces schémas. Je veux dire… pour te changer les idées. » Je repose mon verre en passant ma langue sur mes lèvres sans détourner les yeux d’elle. Beaucoup aimerait que je parvienne à me changer les idées, surtout après la loque que j’étais à ma sortie d’hôpital, je n’arrive pas à le faire. « Je sais pas … » Débutai-je. « Ça serait un peu frustrant de trouver d’autres idées et améliorations qui auraient pu m’aider encore plus. » Totalement égoïste, j’en ai conscience, mais peut-on vraiment m’en vouloir ? « Et… J’étais comment… ? Je veux dire par rapport à tes courses, quand on était… » Je la vois avoir du mal à poser clairement sa question, tâtonnant pour trouver les mots. « Quand on était ensemble ? » Terminai-je pour elle. « Tu n’as jamais été complètement sereine. Oh tu m’as bien affirmé une centaine de fois que ça allait, mais je te connais par cœur. » Affirmai-je en lui offrant ce petit rictus taquin dont j’ai le secret. « Tu passais les courses avec le reste de l’équipe pour pouvoir entendre ce qu’on se disait. Je peux dire que tu étais ma supportrice numéro un et la personne la plus soulagée du monde quand je terminais une course. »

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« Il lui faut certainement du temps d’adaptation. C’est pas évident de passer de débutant à professionnel je suppose » A la façon dont je la regarde, sourire en coin et les yeux plissés, je lui fais comprendre qu’elle est tout aussi bornée que je peux l’être à vouloir autant le défendre. Cela dit, ça ne m’étonne pas. Oliana sait voir le bon chez chaque personne, même celle qui ne le mérite pas et qu'elle ne connait pas. Elle a vu le bon en moi malgré les nombreuses – très nombreuses – disputes que nous avons pu avoir. Une sorte don qui n’est pas donné à tout le monde et certainement pas à moi. En ce gamin je ne vois qu’un garçon prétentieux qui se pense au-dessus des règles et même s’il est vrai que je l’ai pensé aussi fût un temps, je n’ai jamais été prétentieux. Il ne veut rien entendre et la seule raison pour laquelle il court encore pour mon écurie est parce qu’il est bon. Autrement, il y a longtemps que je l’aurais viré à coup de pied dans le cul. Mais Oliana ne voit pas les choses comme moi. J’imagine qu’elle est dans le vrai et que je devrais suivre son exemple. Donc je n’insiste pas et me contente de la regarder avec un amusement non dissimulé. Amusement qui disparaît dès qu’il est question des schémas envoyés par mon bras droit. « Oh Cameron … ça ne sert à rien de vivre dans les remords. Au contraire, tu pourras peut-être changer le destin d’autres personnes » Les poils de mes bras s’hérissent un peu en entendant le ton un peu trop compatissant de sa voix. Je me reprends assez vite pour qu’elle ne remarque rien et soupire à mon tour. « Peut-être … Je verrais plus tard si j’ai assez de courage et moins d’égoïsme pour ça. » Préférant ne rien lui promettre, je ferais tout de même un effort. Pas forcément pour lui faire plaisir – ou un peu – mais parce qu’il faut que je prenne le taureau par les cornes et que j’arrête de laisser l’accident dicter ma vie comme c’est le cas en ce moment. Parler de ce qu’elle ressentait vis-à-vis de mes courses est un bon moyen de passer à autre chose, de ne pas trop penser à ce qui commence déjà à me travailler. Observateur, je remarque par moment que parler du passé, celui dont elle ne se rappelle pas, semble la troubler un peu et si j’hésite à m’arrêter, je ne le fais pas. Des mois à lui mentir avant qu’elle ne découvre la vérité et ne parte m’ont suffi à ne pas commettre une seconde fois la même erreur. « Ça me ressemble bien. », « Oui, ça te ressemble beaucoup même. » Confirmai-je alors qu’elle entame sa part de pizza tandis que je ne touche pas encore à la mienne. Je préfère l’observer faire, remarquer l’air satisfait qui détend les traits de son visage à la première bouchée et entendre ce petit soupir ravi qu’elle n’a probablement pas conscience d’avoir poussé. J’éprouve une telle sensation rassurante de voir qu’elle n’a pas changé que je n’arrive pas à détacher mon regard d’elle, ce qu’Oliana fini par remarquer. « Quoi ? Qu’est-ce qu’il y’a ? », « Rien ! » Enchaînai-je rapidement pour saisir ma propre part et finalement arrêter mon geste. « En fait c’est juste que j’aime beaucoup pouvoir te revoir dévorer une part de pizza comme si tu n’avais pas mangé depuis des semaines. » Avouai-je sans pouvoir me retenir de rire. « C’est vraiment adorable mais je peux te laisser toute la pizza si tu veux ? » Proposai-je, taquin. J’ai toujours aimé me moquer gentiment de son appétit d’ogre, je refuse de m’en priver ce soir. « Mais en attendant ... » Repris-je en me penchant au-dessus de la table, la main levée vers elle. « Tu t'es mis de la sauce tomate là. » Un frisson me gagne au moment ou mon pouce passe au-dessus de sa lèvre alors que mon regard, lui, ne quitte pas le sien.

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Une fois la discussion sur son ressenti vis-à-vis des courses lorsque nous étions ensemble mis de côté, c'est sur notre repas que nous nous concentrons, enfin surtout Oliana. La voir manger avec autant d'envie et de gourmandise ça me fait chaud au cœur, sans exagération. Partager un repas avec elle, aussi simplement, seulement tous les deux, ça me manquait. Comme bien d'autres choses, mais comme à mon habitude je ne dis rien. Je ne veux surtout pas la brusquer. Je me suis promis de ne pas le faire, de la laisser s'adapter à la vitesse qu'elle souhaite même si les véritables contacts physiques me manquent. Les câlins, les baisers … le sexe. Seigneur, je chasse aussi vite que possible de ma tête cette pensée. Tendu pour n'avoir rien fait pendant des mois, me contentant de ma main – fidèle compagne – il m'en faut peu pour en vouloir beaucoup. Je n'ai pas envie de tout foirer même si je suis un champion pour ça. Je reviens donc à notre repas, à Oliana qui mange et qui se rend compte que je la fixe – pour ne pas dire que je la dévore du regard. « Je te crois pas » Insiste-elle alors que j'affirme qu'il n'y a rien. Je cède assez vite, la taquinant sur son grand appétit et le fait que je peux parfaitement lui laisser ma part si elle le souhaite. Ce n'est pas la première fois que je plaisante là-dessus. Impressionné par sa capacité à avaler de la malbouffe et particulièrement de la pizza, ça fait partie de son charme. Je n'ai jamais été intéressé par les femmes trop fines et trop obsédées par leur poids. J'aime celles qui prennent la vie comme elle vient, qui en profitent sans se demander si leur prochain repas aura trop de calories ou pas assez. « J’en ai mangé une la semaine dernière pourtant ! Tu rigoles, même pas en rêve ! », « Ça va je plaisante, mais t'aurais pu tout manger quand même. » Son regard me fait rire un bon coup avant que je ne m'intéresse à cette sauce au-dessus de sa lèvre. J'ignore ce qui me prend, la raison pour laquelle je ressens le besoin de passer mon pouce à cet endroit alors qu'une serviette aurait suffit. Le besoin d'un véritable contact avec elle, de la toucher et de ressentir encore plus notre connexion … Je ne saurais dire exactement. Poussé par mon instinct, je le fais et le temps semble être un suspens, nos regards l'un dans l'autre, ma main toujours près de son visage. En revanche, ce qui manque de me faire griller le cerveau, c'est de la voir prendre ma main et d'approcher ses lèvres pour venir sucer la sauce sur mon pouce. Ma respiration se coupe et mon pantalon devient subitement trop étroit. Oh seigneur ce que je donnerais pour pouvoir l'embrasser jusqu'à en perdre le souffle. « Elle est trop bonne pour en perdre une miette » Et c'est la douche froide ! Je me rappelle brutalement ce que je ne peux pas avoir, ce que je ne peux pas lui demander. Je tente toutefois un sourire, éloigne ma main et attrape mon verre de vin pour en boire une gorgée et essayer de me calmer. « Je t'ai dit, je ferais tout aussi bien de te donner ma part. » Malgré ça, je mords à pleines dents dans la mienne, avale ma bouchée avec un sourire fier sur les lèvres. J'essaye de faire de mon mieux pour ne pas penser encore trop à ce qui vient de se passer, à cette tension sexuelle qui est montée d'un cran entre nous pour retomber comme un soufflé. « Hm … Je sais que tu pouvais me poser toutes tes questions mais je voulais savoir comment ça se passe pour toi à la librairie ? » Demandai-je en reposant mon verre sur la table avant de reprendre ma part de pizza pour la terminer.

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« Dis pas de bêtises ! » Ça n’en est pas une ! Je la connais et je sais que si vraiment j’insistais pour qu’elle mange la pizza seule, elle la dévorerait. Je crois ne jamais avoir aimé une nourriture aussi fortement qu’elle avec la pizza. Mais c’est ce qui, une fois encore, fait le charme de cette femme et ce que j’aime chez elle – en partie du moins. Elle n’a pas honte d’être une grande mangeuse et je pourrais lui acheter toutes les pizzas du monde simplement pour lui faire plaisir. Elle est aussi particulièrement entêtée et je ne tente même pas d’insister. De toute manière je suis encore assez secoué par ce qui vient de se passer. Pas à pas c’est une chose, quand elle fait ce qu’elle vient de faire autant dire que garder le contrôle s’avère plus difficile qu’il n’y parait. Souvent je pense au fait de goûter ses lèvres, de retrouver leur douceur ou même celle de sa peau, puis je me rappelle qu’il n’est pas question de lui imposer quoi que ce soit et que je la laisse décider du où et du comment. Cela dit … Tout ce que ça a éveillé en moi reste là. C’est douloureux et en même faisant de mon mieux pour le cacher, je sais qu’elle a encore cette habileté à lire en moi. Peut-être pas aussi clairement que par le passé mais tout de même mieux que lorsqu’on lui mentait tous. La meilleure solution pour passer à autre chose c’est reprendre notre "jeu" de questions-réponses même si j’inverse les rôles pour savoir comment elle se sent dans son nouveau travail. « Ça va. Les livres ont toujours été une passion, un réconfort. Mais… j’ai encore l’impression de ne pas me retrouver. Ça occupe les journées, mon esprit et voir du monde m’aide mais… » Elle tente de mettre des mots sur ce qu’elle ressent, elle essaye d’expliquer au mieux les choses, mais peine à y parvenir. Je comprends, si je n’ai pas le même problème, je sais ce que ça fait d’avoir l’impression d’avancer vers l’inconnu et d’avoir la sensation que quelque chose nous retient. « Je sais pas… je pense pas que je rêve de faire carrière dedans » Je tente un sourire pour la réconforter et nous sert à tous les deux une nouvelle part de pizza pour nous réconforter. « Si tu veux mon avis, et il n’est pas toujours bon je te l’accorde, tu dois vraiment te laisser du temps. Tu aimes la littérature, ce n’est pas parce que tu as perdu la mémoire que ça a changé. C’était le cas bien avant tout ça. Mais peut-être que ce n’est pas exactement ce dont tu as besoin. L’univers oui, mais le métier à proprement parler non. » Être à la fois PDG et pilote est un avantage, je peux faire les deux et ne pas délaisser un poste en faveur de l’autre. Cela dit je sais parfaitement que s’il y avait un choix à faire, je redeviendrais pilote à temps plein. Enfin je le serais redevenu dans d’autres circonstances. Peut-être n’a-t-elle juste pas trouvé l’exact bon métier … « Et ton patron, ça va avec lui ? » Trop curieux, je pince les lèvres en comprenant que je lui vole totalement le droit de poser ses questions. « Désolé, je veux seulement être sûr que ça va. »

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Je ne peux pas dire être souvent de bons conseils. Les erreurs je les ai tellement enchaînées dans ma vie que je suis plutôt le type à prendre en contre-exemple. Néanmoins, je connais Oliana. Je sais ce qu’elle aime et ce qu’elle n’aime pas. Je sais aussi que son amnésie la travaille énormément et qu’elle se met trop de pression sur les épaules. Elle voudrait que tout lui revienne et ne pas avoir à lutter sans arrêt avec un passé dont elle ne se souvient pas. C’est tout à fait compréhensible mais c’est également se faire du mal pour rien. Elle ne pourra pas savoir ce qui lui faut si elle précipite trop les choses et c’est aussi vrai pour une personne dont la mémoire n’a pas été altérée. « Je pense que t’as raison, il me faut encore du temps pour savoir » Ravi de l’entendre appuyer mes paroles, je lui offre un sourire plein de tendresse. Ma main se dépose sur la sienne et j’en caresse doucement le dos de mon pouce. « C’est normal de vouloir que la situation aille mieux et d’en avoir assez de tout ça, mais tu verras que parfois attendre n’est pas si mal. » C’est du moins ce que je tente de me mettre dans la tête en ce moment. Il y a forcément du bon à attendre que notre situation évolue. Plus qu’une deuxième chance, c’est aussi l’occasion de retrouver ces petites choses des débuts qui peuvent nous manquer sans que nous nous en rendions compte. J’aimais notre couple comme il était. Il était beau et fort, mais je sais que je l’aimerais d’autant plus dans le futur. Parce que j’aurais été patient et que je nous aurais fait confiance. Alors attendre est aussi une bonne chose pour moi. En revanche, je n’attends pas mon tour pour poser une question, trop impatient de savoir si son nouveau patron la traite comme il se doit. « Il n’y a pas de mal. Ça va, il est compréhensible et à l’écoute. Il me met facilement à l’aise, alors tout va bien » J’opine du chef et mords dans ma seconde part de pizza. Oliana en fait de même et fait glisser le tout avec une gorgée de vin rouge. « Hm… Je suppose qu’on a voyagé… tous les deux. Qu’est-ce qu’on a fait ? » Bouchée avalée, c’est à mon tour de boire à mon verre que je termine en me demandant si c’est une bonne idée de lui répondre ou non. Je repense à ma promesse et décide que de toute façon nous n’avons rien à perdre tous les deux. « Surtout hors saison, oui. Autrement je devais me déplacer un peu partout dans le pays. » Débutai-je en me refonçant contre mon dossier. « On a été en Italie comme tu le sais. A Hawaii aussi, je t’ai un peu forcé pour tout ce qui était randonné d’ailleurs. On a fait la Thaïlande et l’Islande … deux fois. Tu voulais faire la Grèce et la Nouvelle-Zélande aussi et moi te montrer l'Ecosse. » Sauf que nous n’avons pas pu à cause de l’accident, reportant pour une durée indéterminée tous nos projets. « Je t’ai emmené en Chine et en Russie, mais ça c’était pour le travail. Oh et à Monaco aussi ! »

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