Lincoln & Jonas

Il faut que je te parle

Après ce qui m’avait paru une éternité, j’avais obtenu mon congé de l’hôpital et je pouvais rentrer chez moi aujourd’hui. Je savais que les médecins faisaient leur boulot, s’assuraient que tout irait pour le mieux suite à mes blessures - qui n’étaient pas négligeables - avant de me laisser sortir, mais il n’en demeurait pas moins que j’avais hâte de rentrer chez moi, et reprendre le travail, même si cette seconde partie, ce n’était pas gagné. Mais au moins, cette fois-ci, je ne serais pas seul. Enfin, pas complètement, pas autant que j’avais pu l’être pendant les premières années suivant mon divorce. Je ne serais pas seul parce que j’avais Lincoln dans ma vie. Et même si je ne voulais pas devenir un fardeau pour elle - même si je devais m’y résigner, j’aurais besoin d’aide par moments - je savais que sa compagnie allait avoir quelque chose de rassurant, apaisant. D’ailleurs, elle fut la première que je prévins de mon congé d’hôpital, et celle qui était venue me chercher à ma sortie. Me rendre à sa voiture avait été, malheureusement pour moi, plus compliqué que je ne l’aurais cru dans un premier temps. Je me trouvais pathétique de marcher que quelques pas et être fatigué comme si je venais de travailler toute une journée. Il faudrait que je m’y fasse, ce serait ainsi pendant un petit moment, de ce qu’on m’avait dit. Heureusement, le trajet jusque chez moi n’était pas bien loin. Encore mieux, j’eus droit à un coup de main de la part de ma bien-aimée pour entrer dans la demeure, laissée exactement comme je l’avais quittée, ce fameux matin où j’étais parti travailler, ne m’attendant pas à revenir seulement maintenant, plusieurs jours plus tard. À l’intérieur, j’allai m’installer dans le canapé. Hors de question que je range mes vêtements, je le ferais plus tard. Tout ce que j’avais envie, c’était me poser dans quelque chose de confortable, avec Lincoln, si elle le voulait bien, naturellement. Quelques instants après que je me sois posé, elle vint me rejoindre, ce qui me fit doucement sourire. Par contre, mon sourire disparut quelque peu à son propos, qui me rendit un peu inquiet:  « Qu’est-ce qui se passe ma chérie… ? » Je ne savais pas du tout où elle voulait en venir. À l’hôpital, tout semblait bien se passer. Était-ce parce qu’elle préférait rester hors de ce qui se passait dans ma vie ? J’avais sincèrement peur, je ne savais pas trop quoi penser.

Lincoln & Jonas

Il faut que je te parle

Qu’est-ce qui n’était pas prévu ? Qu’est-ce qu’elle n’attendait pas ? Est-ce qu’elle reprenait son ancien métier et était déportée ailleurs ? Est-ce que son mari était finalement en vie et elle voulait retourner auprès de lui ? Je ne savais pas si c’était les anti-douleurs qui me faisaient supposer des choses qui ne faisaient pas de sens, mais je ne savais pas à quoi m’attendre, et c’était angoissant. Par contre, je refusais de la presser, parce qu’à voir son regard, à voir la façon dont elle me prit la main, je savais qu’elle n’allait pas me dire une plaisanterie pour essayer de me remonter le moral ou je ne savais pas quoi. Et ce fut quelques secondes plus temps que la nouvelle tomba. Trois mots, qui changeaient une vie. Je les avais entendus auparavant, lorsque j’avais appris l’existence de Maéva, il y a environ six ans maintenant. Mais là ? Ça ne faisait pas de sens dans ma tête. Aux prises avec les effets secondaires de la médication, j’eus un rire nerveux pour toute réaction. Pire encore, je me retrouvai à lui dire:  « Non mais ça ne ce peux pas… Tu ne peux pas… » J’allais parler comme si je m’y connaissais en anatomie féminine, mais pas vraiment. Enfin… Je savais comment on faisait des enfants, mais autrement…  « Tu peux… ? » Il fallait vraiment que je retrouve un minimum de lucidité à un certain point, parce que pour le moment, ma réaction était pathétique. Un homme qui aurait été du genre à se congratuler de performer toujours aussi bien à son âge aurait mieux fait que moi. Inspirant profondément, comme si cela allait changer quelque chose à mon état actuel, je finis par dire:  « Tu… Tu le sais depuis longtemps… ? » Il fallait que je fasse un peu d’ordre dans ma tête, clairement. Et pour tout dire, même si j’adorais être père, j’adorais Maéva, il n’en demeurait pas moins que je ne savais pas ce que Lincoln en pensait, elle. Étions-nous prêts à nous lancer dans un tel engagement, après si peu de temps ? Ça aussi, je ne le savais pas non plus. Elle l’avait dit; ce n’était pas prévu, et moi non plus, je ne m’y en attendais pas du tout.

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Il faut que je te parle

J’avais vexé Lincoln, je l’avais deviné bien rapidement. En fait, au fond de moi, je savais à la seconde que j’avais prononcé ces mots que j’allais la vexer. Il y avait des millions de façon que j’aurais pu réagir, et j’avais choisi la pire. Honteux, détestant le fait que j’avais pu blesser la femme que j’aimais, je cachai mon visage à l’aide de ma main pendant un instant, essayant de me sentir un minimum plus lucide, même si ce n’était pas gagné. Puis, réalisant que j’étais incapable d’avoir une réaction appropriée, je décidai de dévier un peu le sujet, lui demandant depuis combien de temps elle le savait. Pas que je pensais que ce bébé pourrait être de son défunt mari, mais parce que je voulais faire de l’ordre dans ma tête, autant que possible. Mais après, qu’attendais-je de cette réponse ? En quoi ç’allait changer les choses ? Je ne savais pas, et comme de fait, la réponse de Lincoln ne vint pas remplir le néant qu’il y avait dans mon esprit à ce moment précis. En fait, cela ne fit qu’empirer mon mal-être que je ne parvenais pas à exprimer. Pire encore, Lincoln en profita pour s’éloigner, me demandant si je voulais quelque chose à boire. Quelque chose me disait que ce n’était pas parce qu’elle était soudainement aux prises avec une soif incontrôlable. Tout pour ne pas aider ma cause, je répondis, en marmonnant:  « Je prendrais un verre d’eau mais je crois que tu me le verserais sur la tête… » Et elle aurait raison de le faire. Peut-être ce serait une bonne chose en fait ? J’espérais ne pas en arriver là, mais je savais que je le mériterais. Inspirant profondément le temps qu’elle était partie, je décidai de prendre le dessus sur la douleur, faire l’effort de me lever du canapé, et aller la voir. Parce que c’était la meilleure chose à faire à mon avis, même si je ne savais pas combien de pas je serais capable de faire. J’avais été un idiot, c’était donc à moi de corriger la situation. Arrivé à la cuisine, bien que je voyais qu’elle me faisait dos, je lâchai un:  « Lincoln… » Je marquai une pause, le temps de m’appuyer contre le mur non loin. Pas que j’étais en train de faiblir, mais pour me donner une chance de tenir un peu plus longtemps debout. Tant pis pour les recommandations du médecin qui voulait que je reste assis et que je me repose le plus possible. Inspirant, je finis par dire:  « Je suis désolé je… Je ne sais pas… » ce qui m’avait pris. Voilà comment j’aurais dû finir ma phrase, mais je ne trouvais pas les mots nécessairement appropriés. Soupirant, j’ajoutai:  « C’est si soudain je… » Je fronçai les sourcils, décidant de m’arrêter là, parce que j’ignorais comment faire pour aller plus loin. Étais-je vraiment apte à avoir une conversation susceptible d’être terriblement délicate ? Je ne pensais pas, mais si cela pouvait aider Lincoln, nous aider, alors j’allais le faire.

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Il faut que je te parle

Comme si je ne me sentais pas suffisamment coupable d’avoir réagi de façon aussi exécrable, il fallait que je la fasse sursauter en plus, et clairement, elle n’avait pas besoin de ça. Un peu plus honteux, je baissai le regard, m’en voulant davantage. Par contre, je décidai de ne pas m’attarder sur ça, sachant qu’elle comme moi n’avions pas envie de nous attarder sur ce qui était, au final, un futile détail. En effet, je savais que l’essentiel à ce moment précis était que je lui demande pardon. Pas pour lui avoir fait peur, mais bien pour la façon dont j’avais réagi. Il fallait que je lui demande pardon et surtout, que je ne sorte aucune excuse, parce qu’aucune était valable à mon avis, pas même la douleur ou les médicaments, bien que je savais que j’aurais eu une réaction pas mal plus lucide et sensée si ça n’avait pas été de tout cela. Nerveux, j’attendis une réponse de sa part. Je sentais bien qu’il restait une tension - qui ne me plaisait pas, mais qui était encore une fois méritée - mais au moins elle ne me repoussa pas complètement. Mais ce qui me fit réaliser plus que quoi que ce soit d’autre à quel point j’avais été ridicule, ce fut quand elle s’approcha, me rappelant comment c’était un choc pour elle, un choc qu’elle avait dû absorber seule, puisque j’étais à l’hôpital. Et comme si ce n’était pas suffisant, je vis ses yeux briller, je l’entendis me dire qu’elle était perdue, et je le percevais dans sa voix. Tout cela vint me briser le coeur. Et à ce moment, le simple fait de lui tenir la main n’était pas suffisant, bien loin de là. Emmerdant le fait que je pourrais avoir mal au dos - les brûlures et cicatrices n’aidant pas - je lâchai un:  « Viens ici… » et l’attirant contre moi, je l’entourai dans mes bras pour la serrer doucement, en espérant sincèrement que cela viendrait poser un baume sur tout ça. Je savais très bien que ça ne viendrait pas tout arranger, bien loin de là, mais si pendant un instant, ça pouvait aider un peu, alors je n’allais pas m’en plaindre. Déposant un baiser sur sa tête après quelques secondes, j’inspirai, essayant de trouver quoi dire, quoi faire. La vérité était que je ne le savais pas plus. Je ne savais pas quoi penser de cette situation. Pas que je détestais être père. Au contraire, Maeva était ma plus grande fierté, mais elle me rappelait aussi que je n’avais pas été assez bon pour m’occuper d’elle, si bien qu’un juge avait statué que je pourrais la voir que quelques jours par semaine, rien de plus. On avait beau me dire que ce n’était pas ma faute, que c’était mon ex-femme qui avait tout orchestré, mais il n’en demeurait pas moins que je le prenais personnel, et il était évident que ça viendrait toujours me hanter. Mais est-ce que cet enfant que Lincoln portait était pour moi une seconde chance ? Ou simplement une autre opportunité pour avoir le coeur brisé de nouveau ?  « Je ne veux pas te perdre… » fut ce que je finis par dire, parce que même si ma façon de penser était peu claire en ce moment, ça, c’était une évidence. Une évidence qui me rendait vulnérable, elle le savait déjà. J’espérais qu’elle allait comprendre que qu’importe ce qu’elle voulait, ce qu’elle ferait, pour moi, ce serait elle qui passerait en premier, encore et toujours. Et si elle voulait qu’on ait cet enfant ensemble, j’allais tout faire pour la soutenir, au maximum de mes capacités, qu’importe ce qu’elles étaient.

Lincoln & Jonas

Il faut que je te parle

Le baiser que Lincoln m’offrit eut pour effet de me rassurer un peu, dans le sens où elle ne me repoussa pas parce que je ne lui avais pas donné une réponse précise par rapport à quoi faire avec le bébé. J’osais espérer qu’elle comprenait que je ne savais pas quoi lui dire. Ce n’était pas comme si je pouvais lui dire, là tout de suite, ce que je pensais, alors que je n’étais pas capable de faire de l’ordre dans ma tête à la base, encore moins avec tout ça. Après tout, je ne m’étais jamais posé la question, à savoir si je voulais d’autres enfants. Après mon divorce, c’était définitivement non, faute d’avoir quelqu’un avec qui partager ma vie, faute d’avoir une bonne expérience de paternité pour me convaincre que je pouvais y parvenir. Avec Lincoln, c’était différent. Je l’aimais, et pas seulement que pour m’amuser de façon occasionnelle, bien que je pensais que c’était ça, pour elle comme pour moi, au départ. Les choses avaient changé, pour le mieux, mais de là à songer à avoir un enfant ? Je ne m’étais jamais rendu là dans ma réflexion et là, pris de court, je me devais de la faire, cette fameuse réflexion. Comme si je souhaitais repousser le moment de me poser sérieusement la question dans ma tête, j’écoutai attentivement Lincoln, souriant doucement quand elle me confirma qu’elle ressentait la même chose que moi; qu’il n’y avait qu’elle et moi, et personne d’autre désormais. Cela faisait du bien à entendre, même si cela ne venait pas régler la question. Je me sentis un peu plus anxieux lorsque Lincoln prit du recul, retrouvant son sérieux, parlant directement de ce sujet si délicat; le bébé. Je fermai les yeux un instant, m’appuyant sur le plan de travail non loin, par précaution, refusant de me sentir faible et mettre fin à cette discussion, refusant d’excuser mon manque de sérieux en raison de mon état encore une fois. J’en demandais peut-être beaucoup à mon corps, mais en ce moment, c’était loin d’être une priorité. Après quelques secondes à penser, très fort, je finis par tenter de débloquer ce qui m’empêchait d’aller plus loin dans mes idées, demandant à ma bien-aimée:  « Est-ce que tu veux un enfant, ou non ? » Ma question semblait directe, mais je ne me voyais pas la poser autrement. Tourner autour du pot, ce n’était pas pour moi. Évidemment que je ne lui avais pas demandé tout de suite dès qu’elle me l’avait annoncé, ce n’était juste pas possible. Et puis, je ne l’avais pas fait de façon ferme non plus, je n’étais pas une horrible personne quand même. Malgré cela, je me rendis compte que je n’aimais pas vraiment comment j’avais dit les choses, alors je repris la parole, et j’ajoutai:  « Je sais que je ne suis pas le meilleur père au monde, mais si tu veux avoir cet enfant, je le veux avec toi, et je ferai mon possible pour te soutenir… En fait, je serai là, qu’importe ce que tu souhaites… » Je refusais de lui promettre que j’allais être le père le plus présent qui soit, parce que je savais que je ne l’étais pas. Je savais que les relations avec mon ex-femmes étaient tumultueuses, mais il n’en demeurait pas moins que le divorce, puis la perte de la garde de ma fille, avait laissé une cicatrice qui ne s’était jamais complètement refermée, et qui me laissait vulnérable à cet instant précis. Relevant le regard, je portai mon attention sur la femme qui partageait ma vie, nerveux de voir comment elle allait réagir, espérant que j’avais tenu les bons propos, choisi les bons mots.