Tout s’était passé trop rapidement ces derniers temps. Mon agression, mon hospitalisation, ma décision d’aller en cure de désintoxication. Tellement que je m’étais coupé du monde. Je n’avais pas prévenu personne, parce que je ne voulais pas que quiconque influence ma décision. Ou était-ce parce que j’avais honte ? C’était fort possible ça aussi. En fait, c’était probablement cette dernière explication qui était la plus plausible. J’avais besoin de prendre cette décision pour moi. Et bien sûr, je m’étais senti seul. Ç’avait été pire quand j’avais appris que mon frère était décédé. Nous n’avions plus tant de contacts, majoritairement par ma faute. Je n’avais même pas su demander une permission de sortie pour les funérailles. Pas que j’étais en prison, mais je sais qu’on me l’aurait déconseillé. Et moi-même je savais que je n’étais pas prêt. Ici, j’étais dans un petit cocon, où il ne pourrait rien m’arriver de mal, ou surtout, il y avait assez de gens pour s’assurer que je ne me fasse pas du mal. J’étais probablement mon pire ennemi dans le cas présent. Mais bien sûr, je n’avais pas su rester une éternité sans que personne ne sache où j’étais. Ma belle-soeur avait été une des premières à s’en rendre compte. J’avais bien essayé de tourner autour du pot, mais je savais que c’était peine perdue. Je lui avais donc donné l’adresse du centre, mon numéro de chambre, sans savoir qu’elle allait vraiment venir. Je ne pensais pas qu’elle tenait à moi à ce point. En fait, je savais surtout que je ne méritais pas qu’elle m’accorde ce type d’attention. Après tout, j’aurais dû être le premier présent pour elle après le décès de mon frère, son mari, et je ne l’avais pas fait. Elle aurait eu toutes les raisons du monde de ne plus jamais vouloir me parler et je n’aurais pas pu lui en vouloir. Ou bien était-ce parce qu’elle voulait me donner ses reproches en personne ? Elle avait bien le droit aussi. Ayant mis cette idée dans un coin de ma tête, aujourd’hui, seul dans ma chambre, je n’y pensais pas. Puis soudainement, la porte s’ouvrit. Sur Lincoln, qui avait un air tout sauf chaleureux. Finalement, j’avais raison, elle voulait m’adresser ses reproches en personne. Pinçant les lèvres, je ne répondis pas dans un premier temps, ayant encore besoin d’un petit moment pour prendre conscience de ce qui se passait. Je pris la parole que lorsqu’elle me demanda comment j’allais. Traumatisé un brin, je lui répondis:  « Je ne sais pas s’il y a une bonne réponse à cette question. » avec un air nerveux. Tentant tant bien que mal de reprendre contenance, même si je sentais l’anxiété monter, je me dis que tourner autour du pot ne serait pas le mieux, pas pour moi en tout cas. Bien que ce n’était pas super habile, je demandai donc à Lincoln:  « Que… Que fais-tu ici ? » en redoutant déjà ce qu’elle allait me dire.

Au vu de l’attitude sèche et froide de Lincoln, j’aurais bien pris quelque chose, n’importe quoi pour me calmer à ce moment précis. Mais je ne pouvais pas. Pourquoi ? Parce qu’on ne me le permettait pas ici. Pourquoi ? Parce que justement, j’étais là pour ne plus m’en remettre à ce vieux réflexe qui avait fini par me détruire. Les cicatrices de mon agression avaient fini par disparaître. Quelques marques superficielles restaient, en apparence du monde. Les cicatrices psychologiques… Ça pouvait prendre un bon moment. On me l’avait dit, et j’avais pris cette observation de façon détachée dans un premier temps, mais quelque chose me disait que je ne pourrais pas agir ainsi bien longtemps. En fait, je n’étais sûr de rien, mais une chose que je savais était que tout cela était trop frais, trop difficile à gérer dans ma tête pour être confronté de la sorte. Cela ne me mit pas à l’aise, mais je pensai même à dire à Lincoln de partir si sa réponse à ma question ne me convenait pas. Mais elle sembla vouloir se calmer par la suite, pour finalement me dire qu’elle était en colère de ne pas avoir su que j’étais ici, en désintoxication. Donc en gros, elle le prenait personnel, parce qu’elle voulait être là pour me soutenir. Je ne savais pas comment me sentir par rapport à ça. J’avais honte, mais je ne pensais pas que j’aurais su lui dire, si j’avais senti d’une façon ou d’une autre qu’elle avait besoin de le savoir, ce qui se passait avec moi. Soupirant, je ne savais pas quoi faire. Je me sentais idiot. Je voyais bien qu’elle avait les yeux qui brillaient et moi, je n’avais pas le réflexe de la réconforter, de m’excuser. Je ne voulais pas m’excuser, il était trop tard de toute façon. Que pouvais-je faire donc ? Essayer de me justifier, je supposais…  « Je ne l’ai dit à personne. » C’était la vérité. Pourquoi j’avais gardé ça pour moi ? Je n’avais pas encore tout à fait compris. Certainement parce que j’avais honte, parce que je ne voulais pas qu’on me juge, ou bien qu’on me mette une pression pour que j’aille mieux plus rapidement. Justement, je ne savais même pas si au fond, je voulais qu’on me visite, je voulais un soutien quelconque. J’avais tant à démêler dans ma tête, j’avais tant à comprendre, à m’expliquer ce que j’avais tenté de ne plus comprendre ces dernières années. Mais chasser Lincoln comme ça ? Ça ne se faisait pas, je me doutais bien. Pathétique, je ne sus qu’hausser les épaules, et lui dire:  « Désolé. » J’avais dit que je ne m’excuserais pas et pourtant, voilà ce que je venais de faire. De quoi ? De ne pas lui avoir dit ? Je ne savais pas. J’avais juste l’impression que c’était ce qu’elle était venue entendre, et pour tout dire, je ne savais pas ce que j’aurais pu ajouter d’autre à ce moment précis.

J’étais en mode survie, tout simplement. D’habitude, j’étais habile pour dire aux gens ce qu’ils voulaient entendre, mais ce talent, je l’avais perdu, depuis ce qui me semblait être une éternité maintenant, comme si en fait, je ne l’avais jamais eu. Là, je tentais juste d’expliquer à Lincoln, en restant honnête. Mentir était complètement inutile à ce point, je le savais très bien. J’étais découvert, et ce n’était pas comme si je pouvais vraiment expliquer autrement ma présence dans ce centre désormais. J’avais donc sorti la réponse la plus simple et honnête possible, sans m’attendre à ce que ce soit suffisant pour calmer Lincoln. J’étais resté surpris pour le coup. Je ne savais pas si je devais ajouter quoi que ce soit, donc je me contentai de plates excuses, pour laisser ma belle-soeur me dire que je n’avais pas à m’excuser. Clairement, ça faisait un gros changement de l’attitude qu’elle avait lorsqu’elle était arrivée en ces lieux, et je n’allais pas m’en plaindre. Ne sachant pas ce que je devais dire, parce que je ne voulais pas passer un commentaire qui ferait en sorte que ç’allait la frustrer de nouveau - pour tout dire, c’était la dernière chose que je voulais - je me contentai d’esquisser l’ombre d’un sourire, rien de bien gros, en raison de mon inconfort. Enfin, je commençais un peu à me calmer, mais ce n’était pas l’idéal, loin de là. Pour tout dire, je ne savais pas vraiment comment répondre à la question. Les préposés du centre me demandaient comment j’allais au quotidien, mais j’en étais encore au stade de leur donner une réponse qui n’avait pas vraiment de contenu, superficielle. Mais je savais très bien que ça ne passerait pas avec Lincoln. Haussant les épaules, je finis par dire:  « On fait aller. » Je réalisai bien rapidement qu’en fait, je n’aimais pas vraiment parler de comment j’allais. Je savais que je devrais le faire à un moment ou un autre, mais là, tout de suite, je n’étais pas prêt. Je n’étais pas à l’aise avec la personne que j’étais, avec ma personne actuellement. Et il y avait aussi une raison pour laquelle je me sentais peu confortable; Lincoln venait de vivre une perte difficile, son mari, mon frère, et je ne lui en parlais pas. C’était égoïste. Enfin, ma situation n’était pas enviable et je n’étais pas nécessairement en position pour discuter de tout ça, mais limite, ça me semblait préférable de lui demander:  « Et toi… Comment tu vas… ? » pour finalement me rendre compte que je ne pensais pas que c’était approprié, mais c’était chose faite. Après tout, ce n’était pas comme si j’avais posé une question indiscrète et inapproprié, n’est-ce pas ? Enfin, je l’espérais.

Parler, me confier, dire ouvertement ce que je pensais ou ressentais. Maintes fois, on m’avait dit qu’il faudrait que je le fasse, que ça faisait partie du processus de guérison. J’en étais à l’étape où j’étais admis aux réunions avec les thérapeutes, pour écouter les autres parler de leur passé, pourquoi ils consommaient, ce que ça leur apportait. Bref, tout ce qui était personnel et que moi, je n’étais pas prêt à partager. J’espérais que Lincoln n’allait pas le prendre personnel, mais quand elle me dit que je pouvais lui parler au besoin, je savais clairement que je ne le ferais pas. Pas parce que c’était elle, mais parce que je le faisais avec personne en ce moment. C’était comme ça que j’étais. Malgré tout, pour être poli, je lui lâchai un petit:  « Merci. » mais je n’ajoutai pas quoi que ce soit. De toute façon, là tout de suite, je ne savais pas ce que je pourrais lui dire. Déjà qu’elle savait ce qui avait été limite un secret pendant tout ce temps, à savoir le fait que j’étais ici, dans ce centre, c’était beaucoup, elle n’avait pas besoin, en mon sens, d’en savoir davantage. Souhaitant éviter un malaise, je tentai plutôt de prendre des nouvelles d’elle, me doutant bien que ça n’allait pas vraiment durer, que je n’allais pas apprendre grand-chose. Ses premiers propos me firent croire exactement ça. En effet, elle ne dit pas grand-chose, laissant supposer un silence potentiellement inconfortable. Mais finalement, elle reprit la parole, avec une introduction qui me laissa plutôt… perplexe. Qu’avait-elle fait pour que je lui en veuille ? C’était plutôt à moi qu’on devrait adresser des reproches, au vu de ma disparition - limite - l’absence d’implication dans le décès et l’enterrement de mon frère - son mari - et tout ce qui venait avec. Fronçant les sourcils, je demeurai toutefois silencieux, la laissant continuer. Honnêtement, ce qu’elle me dit m’étonna un peu, mais pas tant en fait. Un peu parce que je n’étais pas au courant de ce qu’il se passait - mes contacts avec mon frère étant plutôt limités ces dernières années - mais parce que justement, je n’avais pas pris de nouvelles, je ne pouvais pas faire comme si elle ne m’avait rien dit. Et ce fut par la suite, qu’elle m’appris qu’elle avait eu une relation extra conjugale, pour finalement m’annoncer qu’elle était maintenant en couple avec son amant. En l’espace de combien de temps ? Je ne savais pas vraiment, mais pour une personne isolée du monde comme moi depuis quelques semaines, c’était… Une série d’informations considérable, si bien qu’il me fallut quelques secondes pour tout assimiler. Lorsque je pensais y être parvenu, je dis:  « D’accord… » pour finalement me raviser à ajouter quoi que ce soit, Que pouvais-je lui dire en fait ? Aucune idée. Étais-je bien placé pour la juger ? Pas du tout. Finissant par hausser les épaules, je fis:  « Je suis désolé que les choses ne se soient pas passées comme tu voulais avec Jayden. » Que pouvais-je dire de plus, vraiment ? Les choix de mon frère le regardaient, les miens me regardaient, voilà tout. Et finalement, je conclus:  « Si tu es heureuse avec ton choix, alors tant mieux. » Dire que j’étais content pour elle, ce serait peut-être un peu trop. C’était délicat après tout. Jamais je ne m’étais retrouvé dans une telle situation auparavant. J’espérais juste que je n’avais pas tenu des propos qu’elle pourrait prendre de travers et réanimer la tension qui régnait dans la pièce lorsqu’elle était arrivée.

Je ne connaissais pas toutes les personnes qui se trouvaient dans l’entourage de Lincoln, mais une chose était certaine, c’était que j’étais celui probablement le moins bien placé pour passer quelconque commentaire sur sa vie de couple, son mariage ou quoi que ce soit du genre. Cela voulait dire que je n’étais pas celui qui allait se montrer compréhensif d’un mariage qui s’essouffle, ne pouvant que supposer que tout n’était pas rose entre mon frère et elle, mais je ne pouvais pas non plus la juger par rapport à sa relation avec ce nouvel homme non plus. En effet, quand il était question de relation amoureuse, j’étais le dernier à qui on souhaitait demander conseil, ou un avis quelconque. De ce côté - et bien d’autres quand on y pensait - ma vie était un désastre. Je n’étais jamais parvenu à être en couple bien longtemps, et lorsque j’avais eu une relation qui avait duré plus longtemps que quelques sorties, quelques soirées, tout s’était toujours très mal terminé. Et en ces lieux, ce n’était clairement pas ici que j’allais pouvoir vivre quelconque contact avec quelqu’un. Même la jolie infirmière qui s’occupait parfois de moi ne me faisait pas envie. Était-ce la sobriété qui jouait sur mes envies et pulsions ? Peut-être. Je ne savais plus quoi blâmer sur le fait de ne plus consommer, pour tout dire. Par conséquent, je m’étais simplement contenté de dire à Lincoln que si elle était heureuse en ce moment et qu’elle assumait son choix, alors c’était l’essentiel. Et ces mots, je les pensais, dans le sens où elle méritait d’être heureuse, encore plus suite à une épreuve difficile comme perdre quelqu’un de cher. Personnellement, je ne savais pas encore comment je pourrais gérer le décès de mon frère. Isolé du monde de la sorte, j’avais parfois encore du mal à le réaliser, l’assumer. La vérité était que la présence de ma belle-soeur était ma première réalisation, et en toute franchise, je ne savais pas si j’étais à l’aise à l’idée d’y penser. Sentant la nervosité remonter un peu - de façon différente, mais quand même - je dis:  « Je n’en doute pas. » Et puis, même si elle m’avait dit qu’elle ne voulait plus avoir quoi que ce soit à faire avec mon frère, ou même avec moi, ça n’aurait pas été ma place de lui dire quoi faire. Tout ce sur quoi j’avais vraiment du pouvoir, c’était mes actions, d’où le fait que j’ajoutai:  « Désolé de ne pas avoir été là au fait… » Bon, j’avais quand même une bonne excuse, celle d’être ici, mais m’excuser ne semblait pas suffisant. Je dis alors:  « Je… Quand je sortirai, si tu as besoin de quoi que ce soit, tu me diras. » Que ce soit d’aller vider les affaires de Jayden, régler quelques petites choses concernant le décès, bref, tout pour qu’elle puisse passer à autre chose. Est-ce que cela voulait dire que nous allons aussi couper les ponts, puisque la personne qui nous reliait n’était plus ? Je m’étais posé la question, je ne pouvais pas le nier, mais je n’osais pas la demander, parce que je ne savais pas comment faire. Ça me semblait délicat, et surtout, c’était une autre source de stress avec laquelle je ne savais pas faire. Autant éviter de la gérer pour le moment, bien qu’un jour ou l’autre, se poser la question serait probablement inévitable.