19H05. Tapantes. L'itinéraire dresse ses lignes de couleur, d'ici à l'aéroport. Je suis devant ton studio depuis dix minutes. C'est fou quand on y pense les informations qu'un chauffeur peut collecter. J'ai un panel d'adresses communiquées par ton agent. De quoi te retrouver un peu partout. Même si nos échanges étaient ponctués d'une énergie que je n'explique pas -je t'ai senti hostile, Will. C'est sans doute dû au silence radio pendant un mois. On dit que même dans les abysses, au ras du sable le plus profond, le son n'est pas à un taux nul de décibels. Apparemment, on a fait mieux que ça, le mutisme absolu pendant plusieurs semaines. Le temps de comprendre, d'articuler mes pensées, mes peurs, et de rassembler le courage et l'énergie d'affronter ton odeur et ta voix. Ce qu'il m'a fallu pour abattre plus de barrières, me faire à l'idée que je ne veux pas que ce soit juste un coup d'un soir, une rupture occasionnelle de mes principes. Un chemin de pensées qui est sans doute celui d'un vieux garçon, tu me diras. Je souris au rétroviseur central, détaille mes traits dans la glace. Je ne me suis pas rasé depuis une semaine, les poils piquent ma peau et je trouve ça pas mal du tout. Physiquement, sensoriellement, je me sens d'attaque. Je te vois sortir du studio, dévisage les silhouettes qui t'accompagnent, reconnais vaguement tes coéquipiers. Je t'attends, silencieusement, sans même une once de musique, avec le chauffage nécessaire pour combler le froid de l'hiver. Un peu comme les vêtements soigneusement choisis pour les valises derrière. Ceux que je t'ai acheté et ceux que j'ai pioché dans mes placards.

Tu aurais dû me voir, dans les boutiques, hier. A ne pas trop savoir quelle texture, quelle couleur choisir, à me faire guider en indiquant aux vendeuses que tout ça, c'était pour un pote. Le vrai mot ne sera peut-être pas ce que j'attends, pourtant j'évite de mettre un titre à ce que je ressens pour toi. Je me contente d'espérer que tu auras les mêmes aspirations. J'allume les phares et éclaire ton ombre. Tu es beau, Will, avec la beauté nonchalante des gens qui ne le savent pas et qui s'en fichent. Je t'adresse un signe et un sourire, sans trop savoir si tu les discerneras dans l'obscurité.

@Will Fincher

Un mois. Un mois sans aucun signe de ta part. Un mois que tu ne réponds pas à mes appels et que c'est un autre type qui se pointe quand j'ai besoin d'un chauffeur. Un mois que je me sens comme une merde. Les mecs ont bien essayé de me changer les idées mais mes idées noires étaient bien trop présentes pour s'effacer avec du whisky ou du gin ou n'importe quel alcool que j'ai ingurgité pour tenter d'oublier notre nuit. Et puis voilà que tu réapparaît. Comme une fleur, en me filant rendez-vous dans un café à l'autre bout de la ville.

Nous sommes en studio en ce moment et je ne peux pas planter le groupe pour un mec qui me sort de sa vie du jour au lendemain sans aucune explication. Ma fierté a été mise à mal mais il me reste encore assez de dignité pour ne pas accourir quand tu me siffles. Oh Navy, j'ai rêvé que tu reviennes mais tu as piétiné mon coeur. On ne s'était fait aucune promesse mais je ne m'attendais pas à ce silence radio.

Je dis rapidement au revoir à mes amis et aux techniciens. Je n'ai rien dit de mes plans à personne, je ne voulais pas répondre aux nombreuses questions qu'on aurait pas manqué de me poser. Surtout Elias, ce mec aurait même été capable de débarquer dans la voiture à ma place. Je souffle un coup et fait semblant de vérifier mon téléphone en attendant que les autres s'éloigne. Je souffle un coup pour calmer les pulsations de mon cœur. J'ai une boule dans la gorge mais je me force à prendre une allure décontractée. Je frappe à la vitre passager et attends que tu abaisses la paroi de verre entre nous.

Je monte à l'arrière comme un client ou tu m'acceptes à l'avant ?

@Navy St-Louis

J'ouvre la fenêtre à ma droite, et je vois ton visage, mi-clair mi-sombre, entre les phares et la nuit noire. Je n'avais oublié aucun détail, les formes de ta bouche, tes mèches épaisses, tes sourcils trônant au-dessus de tes si beaux yeux, qui sont terriblement accusateurs. Je sais que j'ai merdé, Will. Mais d'un autre côté j'aimerais que tu comprennes que tout ça, c'était pour pouvoir profiter mieux de nous par la suite. Si je te le présente comme un investissement, tu vas te barrer et échouer tous nos projets. Je préfère tenir ma langue, et t'adresser un nouveau sourire. "Viens à l'avant, on sera mieux." Comme pour accompagner cette promesse, je t'ouvre la portière en tendant le bras. Je ne veux pas répondre à ton tir, il était facile et un peu douloureux. Hors de question de me laisser abattre. Je te laisse t'asseoir, dévore ta mâchoire des yeux, hésite à y déposer un baiser. Trop tôt. Je ne veux pas que tu me repousses. Tout sauf ça. "Elias a l'air pas mal du tout, de loin. Tu ne m'avais pas menti." Je t'adresse un clin d'oeil. C'est terriblement maladroit, sans doute. Mais j'essaie de détendre l'atmosphère comme je peux. C'est pas le bon moment pour te parler de ma... surprise ? Qu'elle reste au chaud dans la boîte à gants. L'ambiance est glaciale. Je démarre, en silence, encaissant l'ambiance orageuse de la voiture. Au bout de trois bons kilomètres, je m'arrête sur le bas-côté, juste sous un lampadaire, et je saisis ta main, entrechoquant nos doigts dans un déluge d'étincelles. "Je suis désolé de ne pas t'avoir donné de nouvelles pendant... plus d'un mois." Je soupire. "J'avais besoin d'une mise au point dans ma tête. C'est pas une excuse, hein, mais j'ai pas tout à fait l'habitude de... tout ça. Je n'ai en plus pas la moindre idée de ce que tu as pensé de cette nuit-là." Je garde juste en mémoire tes yeux baignant dans nos galaxies. "On n'a pas beaucoup parlé le lendemain matin." Et je redémarre. J'ai fait une bonne part du marché, déjà. Je te regarde du coin de l'oeil, guettant une réaction. J'enfile mes lunettes de soleil. Je déteste cette situation. Et pourtant j'en suis pleinement responsable.

@Will Fincher

Je secoue doucement la tête avant de m’installer dans la voiture. J’aurais pu faire marche arrière, t’envoyer te faire foutre après ton attitude mais tu es… toi. Et je suis bien incapable de fuir quand tu es aussi prête de moi. Je fixe nerveusement mes mains et ta petite réflexion sur Elias me crispe plus qu’elle ne me détends.

Puisque tu sembles avoir retrouvé ton téléphone, n’hésite pas à le contacter surtout.

C’est petit et mesquin. Ca ne me ressemble tellement pas et les mots ont à peine franchis mes lèvres que je les regrette. Mais Will a laissé place à Oly depuis quelques semaines. Je suis d’une humeur de chien et n’arrive plus à retrouver la lumière. J’ai l’impression de passer mes journées à crier alors que personne ne m’entends. Elias a même fini par me rentrer dedans face à mon attitude, Gabe a été plus… Diplomate. Il faut que je me reprenne. Et la meilleur moment de redevenir Will est une bonne discussion. Ca passe ou ça casse mais au moins les choses seront claires entre nous. Alors que mon regard se perds dans les lumières de L.A. qui défile par la fenêtre, la voiture stoppe sa course quelques minutes.

Tes mots percutent mon cœur alors que mes doigts se resserrent instinctivement autours des tiens. Tu essayes. Je garde néanmoins le silence quelques minutes pour rassembler mes idées. J’ai peur de ce qui pourrait sortir si je n’installe pas de filtre. J’ai été tellement en colère contre toi. Mais maintenant que tu es là, avec ce regard qui me donne envie de plaquer mes lèvres sur les tiennes, je ne sais plus quoi penser. A vrai dire, je ne pensais pas te revoir un jour alors je n’avais pas vraiment préparer mes revendications. La voiture reprend son chemin vers une destination inconnue. Je me racle la gorge avant de répondre.

Je ne t’ai pas demandé d’engagement ou quoique ce soit Navy, juste du respect. Tu m’aurais simplement dit que tu avais besoin de temps pour réfléchir, ça aurait été ok. Mais disparaître complètement, c’était vraiment nul de ta part.

Tu as mis tes lunettes de soleil, ce qui me décroche un sourire. Ca me fait penser à la première fois où tu es venu me chercher. Je me suis demandé qui pouvait bien porter des lunettes de soleil en pleine nuit. Je ne sais pas si tu les portes par habitude ou juste pour que je puisse plus distinguer ton regard. Si c’est la deuxième option, je l’ai bien cherché. Je soupire en reportant mon regard sur la route. Je n’aime pas les conflits. Je n’aime pas cette tension qu’il y a entre nous. A mon tour de tenter de détendre l’atmosphère.

En plus, Dave n’a même pas de rhum dans sa voiture.

En sortant de studio, j’avais eu plusieurs fois besoin d’un chauffeur. Mon cœur battait à tout rompre en pensant que tu allais débarquer comme si de rien n’était. Mais c’est toujours un certains Dave qui m’attendais. J’aurais pu crever de déception sur le trottoir. Puis je m’étais fait à l’idée que tu avais juste disparu. Comme un mirage qui avait tout ravagé dans mon cœur avant de s’éclipser.

@Navy St-Louis

Je sens tes doigts agripper les miens, et pendant quelques secondes, l’extase revient, comme cette nuit-là. La chaleur de nos peaux qui se mélangent, à nouveau, et la douceur de ton enveloppe, tout simplement. Je te sens moins accusateur, moins agressif, un peu plus à l’écoute, et je me détends, relâche un peu mes épaules qui, par réflexe, s’étaient redressées. Je t’écoute me parler, les yeux rivés sur la route, se perdant parfois un peu sur ton profil. Je reste silencieux, encaissant le coup. Evidemment que tu ne m’as pas parlé d’engagement, Will, même si tu m’as fait miroiter un mariage sur le rivage, en plaisantant. Mais tout ça a été si fort, si brusque, si intense, que je ne me voyais pas juste prendre les choses simplement. Tu es relax, je l’entends, je l’admire. Je ne fonctionne pas comme ça. Ce serait trop beau. Malgré tout, je sais que tu as besoin d’entendre les mots magiques. Ma main se referme sur la tienne. "Je suis désolé si je t’ai fait du mal."  La voix rauque. Ne pas se perdre dans davantage d’émotions, malgré tout le catalogue que tu me fais traverser.

Deux rues plus tard, tu enchaînes avec Dave. Balle au centre, je t’ai fait Elias, tu me fais mon collègue. C’est un chic type, ce Dave. Père de famille, croyant, ne buvant pas une goutte d’alcool (à tes dépends), ne fumant pas. Un mec banal. A mille lieues effectivement de ce que tu as pu vivre dans ma berline. "Pas de rhum, certes, mais il a de supers assises." Je t’adresse un clin d’œil, et mon index se glisse entre le tien et ton majeur. J’ai du mal à garder ma langue sur les secrets et ma pensée dévie directement vers la surprise que je te réserve. "J’espère que tu n’as rien de prévu dans les trois prochains jours." Un panneau annonce l’aéroport, à quinze minutes de nous. "Et que tu n’as pas la phobie des avions."  Je me racle la gorge à mon tour. Ma main ne parvient plus à quitter la tienne. J’ai une envie folle de t’embrasser, maintenant, tout de suite. Je dois rester raisonnable. Ce sera mieux de caresser tes lippes lorsque nous serons garés. Si tu restes avec moi jusqu’au bout de la route, en tout cas. Je te regarde, illuminé par les lampadaires qui se font plus nombreux au fur et à mesure du chemin. Tu es atypique, splendide, une sorte d’œuvre d’art hors du temps, purement unique. On dit que chaque être l’est, mais toi… Tu es une autre espèce humaine. Le feu passe au vert et je détache mon regard de ton visage.

@Will Fincher

Je suis incapable de rester fâché contre quelqu’un. La vie est bien trop courte pour prendre du temps avec des conneries. Je suis blessé et passablement refroidis concernant la suite entre nous. S’il y a une suite. Mais rester retranché derrière ma forteresse de colère ne servirait à rien. Je décide de te laisser une petite ouverture, une petite faille qui pourrait te permettre de te faufiler jusqu’à moi si tu en as encore envie. Et tu vois cette faille. Tu l’as vois et tu décide d’y pénétrer avec un tank. Ta main entoure la mienne, est-ce que tu perçois son léger tremblement ? Tes excuses font exploser les nouvelles barrières que j’avais érigé autours de moi. Tu as le pouvoir de chambouler complètement tous mes repères. Je soupire une nouvelle fois mais cette fois c’est du soulagement. Tu sais que j’avais besoin d’entendre tes excuses et un poids s’envole de mes épaules. Je garde la tête baisser pour ne pas te montrer mon sourire. Mon cœur semble battre de nouveau pour toi, ce traître. Tu ne va pas t’en tirer si facilement Navy mais c’est un bon début.

Ok. J’accepte tes excuses.

Je redresse le visage où je tente d’effacer mes émotions. Je n’ai pas de poker face, j’en suis incapable. Mes yeux brillent légèrement dans l’obscurité et mon esprit s’égare dans les poils qui ont fait leurs apparitions sur la peau de ton visage. J’imagine se que ca ferais d’embrasser cette partie, de voir ma peau rougir sous le frottement de ta barbe, de faire buter ma langue dessus en te couvrant de baiser. Je mords ma lèvre pour réprimer un nouveau sourire et reconcentre mon regard sur la route. Que je ne reconnais pas d’ailleurs, nous ne sommes plus sur Central. Je devrais m’inquiéter, tu pourrais m’emmener n’importe où. Mais en fait, je m’en fiche. Tu es là, c’est tout ce qui compte pour le moment. Mon rire brise le silence entre nous.

Tu es la seule personne que je connaisses qui s’extasie devant des sièges de voiture, Navy.

Je secoue doucement la tête en entremêlant nos doigts. Tu as gagné la bataille qui se jouait dans cette voiture. Mais tu n’as pas encore gagné la guerre. Je me détends, les trais de mon visage semblent reprendre leur place. Je me sens léger, bien. Ce qui n’est pas arrivé depuis que tu m’as déposé devant mon appartement il y a un mois. Mon regard passe rapidement du panneau indiquant l’aéroport à toi. Mon sourire s’envole et mon visage devient sérieux. Mon regard trouve le tien même si tu persistes à porter ces lunettes de soleil.

Navy Mary Levy St-Louis qu’est-ce que tu fais ? Où est-ce qu’on va ?

Tu redémarres et mon esprit se met en route. Ok, tu sembles déterminé à prendre l’avion. Je passe une main sur mon visage et me met à rire.

Tu ne donnes aucune nouvelle pendant un mois, tu disparais complètement de la circulation et d’un coup tu reviens et tu m’emmène à l’aéroport. Tu es complètement dingue, Navy !

Je lâche ta main quelques secondes pour caresser ton visage avant de nouer de nouveau nos doigts ensemble.

Et j’adore ça.

Trois jours. Ensemble. Trois jours loin de L.A., de notre quotidien. Trois jours… Oh putain de merde, trois jours sans studio. Les mecs vont péter un câble. En même temps, ils en ont marre de me voir faire la gueule et déprimer alors si je reviens super en forme dans trois jours, il devrait être content, non ? Ca sera mon angle d’attaque. Ou alors, je peux dire que je suis très malade. Non, ils vont vouloir venir s’occuper de moi. Il faut que je leur envois un message. Je sors mon téléphone, un sourire de plus en plus grand aux lèvres.

J’espère que tu es prêt à avoir les Nerd Flip sur le dos parce que les autres ne vont pas être content que je loupe trois jours de studio.


@Navy St-Louis

La tension s’abaisse encore dans la voiture quand tu murmures qu’il faut déposer les armes pour aujourd’hui, que mes excuses sont acceptées. Mon pouce remonte vers ton avant-bras, glisse et joue sur tes veines et sur la peau fine qui les recouvre. Je sens ton pouls battre et je perds ma concentration sur la route, déviant à peine de ma trajectoire. Tu me divertis trop. Je me redresse et replonge mon attention sur le bitume qui se dresse en vagues sous les roues de la berline. Quelques minutes seulement, puisque tu viens à nouveau troubler le silence avec une voix dure. "Quelle idée j’ai eu de te donner tous mes prénoms." Je ris. Tu sembles t’apaiser aussitôt, et tes mains viennent dévorer ton visage qui se vêt d’une aura plus joyeuse, plus lumineuse. Tu as l’air ravi de la surprise finalement. Je me retiens de te dire que j’aime le fait que tu adores ça, mais que moi je tombe peu à peu en adoration devant toi. "Tu admettras que j’ai le don de me rattraper. Ouvre la boîte à gants." Je me gare brièvement en double file, phares oranges qui s’illuminent et troublent le noir d’une bouche d’égout. Je veux voir ta réaction quand les gros billets bleus vont s’effondrer sur tes genoux. Trois jours en Grèce. Première classe et hôtel de luxe. Quelques miettes de ce que j’avais avant, finalement. Je garde ma langue quant au fait que nous aurions aussi pu loger dans l’une des maisons de vacances de mes chers parents, sans même qu’ils le sachent. Je sais qu’on aime avancer vite ensemble mais certaines étapes ne se brûlent pas. "Je t’épargne une blague sur le fantasme d’avoir Elias sur le dos, hein ? … Pour être honnête, j’ai essayé de trouver un pays dans lequel tu ne serais jamais allé." J’étais passé en mission d’espionnage dans les dix derniers jours. "Entre tes tournées et tes posts Instagram, j’ai pensé que la Grèce serait une première pour toi. C’est le cas ?" Et je redémarre.

A un ralentisseur, les valises se percutent à l’arrière. Comme la pièce finale du puzzle, comme la dernière carte à jouer, je l’abats. "Je ne voulais pas gâcher la surprise en te demandant de préparer des affaires, alors... j’ai un peu fait des courses et j’ai chargé une valise pour toi." Dur de te dire que ton style vestimentaire m’est relativement inconnu, puisque finalement, sur le temps passé ensemble, je t’ai surtout vu recouvert de mon plaid. Deux tenues seulement, qui ne me permettent pas de définir ce que tu aimes vraiment ; j’ai essayé d’opter pour des fringues classiques et du plus fantaisiste, en me disant que ça te correspondait bien. Tu allais sans doute bien rire lorsqu’on arriverait et que tu déballerais tout ça.

@Will Fincher

Nous retrouvons le ton léger et l’ironie que nous adoptons en période de paix. Ta main qui remonte le long de mon bras me ferait presque oublier toutes ces nuits d’insomnie à me demander à quel moment j’avais merdé avec toi. Mes dents jouent avec ma lèvre inférieur, signe de nervosité. Ou d’excitation. Ou un savant mélange des deux dont toi seul à le secret.

Si tu te rattrapes de cette façon à chaque fois, ça vaut le coup d’être en guerre. Non, oublie ça. Je ne suis pas fait pour supporter toutes ces mauvaises ondes.

J’obtempère à ton ordre et ouvre la boîte à gant. Je tire une enveloppe qui contient des billets d’avion, je suppose. La nervosité me gagne sans trop que je sache pourquoi. Je sors les documents et les examine alors qu’une sourire apparait de nouveau sur mon visage. Deux billets d’avion pour la Grèce et une réservation dans un palace. Tu ne rigoles pas quand tu veut te rattraper. Je dois ressembler à un gamin le jour de noël quand je me tourne de nouveau vers toi. Je tente de ne pas paraître trop surexcité mais je croule sous la joie. Les mecs vont péter un câble mais ça vaut le coup. Tu en vaut le coup.

Alors, bon déjà, il faut que tu arrêtes avec Elias parce que je te le dis honnêtement, je suis très jaloux. Je ris avant de reprendre. Ensuite, c’est un peu flippant ton enquête sur mes voyages mais puisque c’est pour la bonne cause, je passe pour cette fois jeune homme. Et pour terminer, tu as visé juste. Je n’ai jamais mis les pieds en Grèce.

Tu redémarre la voiture sans me laisser le temps de céder à mes pulsions. Ce n’est pas plus mal, je ne sais pas si j’aurais été capable de te lâcher une fois que j’aurais de nouveau goûter à tes lèvres. Je regarde à nouveau les billets en souriant. Mais qu’est ce que je suis en train de faire. Tu es complètement fou et je suis totalement accro à ta folie. Reste à savoir si on va pouvoir se supporter pendant trois jours mais j’ai envie de penser que tout va très bien se passer. Un bruit dans le coffre attire mon attention alors que tu atteignons l’aéroport. Je fronce les sourcils et j’éclate à nouveau de rire en entendant ton explications.

Tu sais, j’aurais pu faire du shopping sur place. Je suis curieux de voir ce que tu m’as acheté. J’ai un peu peur mais j’ai hâte.

J’attrape de nouveau ta main et la serre doucement. Seul membre de ton corps que je peux attraper pour le moment sans risquer de te faire perdre le contrôle de la voiture. Je ne suis pas difficile côté fringues, j’ai tendance à porter tout ce qui me passe sous la main même si ça ne va pas ensemble. Surtout si ça ne va pas ensemble. Je repose mon regard sur toi, ma langue humidifie mes lèvres.

J’espère que m’as acheté des sous-vêtements.

J’observe ton visage et je vois le coin de tes lèvres se soulever. C’est discret mais je sais que mon sous-entendu à atteint sa cible. J’attends que tu gare la voiture avant de me pencher vers toi. Je dépose un baiser sur ce point chaud, dans ton cou, juste derrière ton oreille. Je murmure un merci à ton oreille avant de reprendre ma place. Bon, je crois que c’est partie pour trois jours en Grèce.

@Navy St-Louis

Tu es jaloux, alors, Will ? Je ne sais pas si ton rire a pour but de dédramatiser ou juste de me signifier qu’en réalité tu es tout l’inverse. Je te regarde quelques secondes encore, un sourcil dressé par-dessus les verres noirs, concentré sur ce que tu me dis comme je le serais face à un plan des routes américaines. Tu es d’ailleurs tout aussi indéchiffrable, et ton sourire change de trajectoire, tantôt dressé, tantôt chutant, trop régulièrement pour que j’ai le temps de réellement tout suivre. Ta réaction face aux billets déjà, puis suite à la révélation des valises, m’excite encore un peu plus. J’avais hâte, depuis deux semaines, hâte au point de compter les matinées, les soirées, les nuitées, en sachant qu’au bout du parcours il y avait ça. Nous deux, réunis, loin de tout, juste ensemble. C’était sans doute un peu abrupt mais j’avais envie de fuir la ville avec toi. De découvrir le Will de tous les jours, pas juste celui qu’on trimballe à l’arrière de la voiture quand on reçoit un SMS alcoolisé. Non. Sentir ton cou le matin, t’arracher des baisers le soir et plonger aux étoiles la nuit. Comme vers l’observatoire. Mais pendant trois jours complets. Ta réflexion me fait rire et ma voix se couvre elle aussi d’une octave plus grave pour te répondre, frissonnant quand tu m’embrasses le cou. D’abord je reste silencieux, jusqu’à ce qu’on arrive près de l’aéroport. De longues minutes à te laisser mijoter, avant d’à mon tour défaire ma ceinture de sécurité, me penchant vers toi, le souffle dans ton cou et les mots dans le creux des oreilles. "Tu n'en auras pas besoin. " Clic, j’actionne ma portière, fait le tour de la voiture. Mi-chauffeur mi-gentleman je t’ouvre la portière, et je sors les valises du coffre. Allez, en route.

Le hall de l’aéroport est toujours mouvementé, océan ponctué de vagues d’êtres humains qui se faufilent, qui courent, qui heurtent avec leurs valises. C’est un créneau de choix, 19h25. Les vols les plus chers, les moins fréquentés, car c’est surtout l’heure à laquelle le plus d’avions décollent. Je vois la ligne qui nous concerne, Athènes et son aéroport, et je ne contiens plus mon sourire. A peine le temps de passer les différents portiques et les différentes hôtesses que nous sommes déjà dans l’avion. Il n’y a pas grand-monde, comme je l’avais escompté. Une quinzaine de personnes, tout au plus. Je regarde le hublot, voit les derniers vestiges orangés des nuages se laisser absorber par la nuit d’encre. Je tourne la tête. Gauche, droite, personne. Ma main s’empare de ta main alors que les ailes de l’avion dessinent leur trajectoire droit vers le ciel. De longues minutes, peut-être même heures, s’écoulent, en silence, les mains liées, les yeux qui passent de ton visage à l’extérieur, une seule fois je me lève brièvement pour me dégourdir les jambes, et à peine assis, me racle la gorge. "Je n'ai été en Grèce qu'une seule fois dans ma vie. " Je chuchote. "J'avais douze ans. C'était marrant. Les gens sont très accueillants et la nourriture est juste démentielle. Sans parler des alcools, des paysages... " Je sens que je m'emporte et je coupe net. Pas un bruit autour de nous, les lumières vacillent, et déjà sur les tablettes l’avion franchit l’océan. C’est terriblement, horriblement romantique. Je ne sais même pas comment faire pour éviter que ça dégouline sur nous et n’accélère les choses si vite qu’on se plante dans un mur. J’en ai peut-être fait trop ? Je sonde ton visage, les yeux inquiets, muet. Est-ce que je te fais peur comme ça ? J’ai l’impression qu’on se comprend en parlant avec les iris et pourtant tu restes immobile aussi, nos doigts jouant les uns des autres, frôlant avec toute la douceur du monde nos paumes.

@Will Fincher

Si j’avais encore un doute sur le programme de nos trois jours en Grèce, tu lève le voile sur tes intentions. Une infime partie de moi continuait à croire que nous serions là-bas en tout bien tout honneur. Avec toi, je ne sais tellement plus sur quel pied danser que je m’attends presque à ce que tu disparaisses en plein milieu de la nuit quand tu te rendras compte que je suis fou de toi. Mais tu sembles avoir les mêmes idées en tête que moi et ça me rassure. Parce que je suis bien incapable de rester sage quand ton corps est près du mien. Je te l’ai déjà prouvé. Et je compte bien le refaire. Si ton souffle me déstabilise, l’air frais de l’extérieur me remet rapidement les idées en place. Heureusement pour toi que j’ai toujours mes papiers sur moi. Cela aurait été dommage que tu doivent m’abandonner au premier contrôle des autorités.

Je te regarde, fasciné, traverser l’aéroport, les contrôles, la foule jusqu’à notre place dans l’avion. Tu es à l’aise, confiant, je n’ai qu’à suivre le mouvement sans me poser de questions. Avec mon jean déchiré et mon hoodies, j’ai plus l’air d’un adolescent qu’un homme mais je ne pouvais pas me douter que j’allais troquer ma soirée pizza et Netflix par un voyage à l’étranger. Par reflexe, j’enfonce un peu plus mon bonnet sur mon visage. Ce n’est pas le moment de se faire arrêter pour signer des autographes et prendre des photos. Je sais que tu ne serais pas à l’aise et je ne veux pas te faire subir mon quotidien un peu trop anxiogène parfois.

Une fois installé à bord, la boule dans ma gorge refait son apparition. Je n’ai pas peur de prendre l’avion, avec les tournées je suis habitué à ce moyen de transport. Non, ce qui m’angoisse c’est toi Navy. Quand nous sommes tous les deux, à l’abris des regards, c’est facile. Mais en public, je ne sais pas comment agir. Je ne pense pas que tu veuilles que nous soyons vu ensemble alors je m’abstiens de tout contact, tout rapprochement. Je m’autorise à retirer mon bonnet seulement quand nous sommes installés. Je te vois observer l’extérieur, autours de nous avant de me prendre la main. Je suis content que tu le fasse même si tu prends garde à ne pas te dévoiler aux yeux du monde. Les minutes passent, les heures peut-être. Je fixe sans le voir le film qui passe sur nos écrans. Je suis plus intéressé par ton visage que par les acteurs. Tu es beau quand tu es perdu dans tes pensées. Je donnerais cher pour savoir ce qu’il se passe dans ta tête.

Je me penche pour écouter ton secret, que tu me révèle du bout des lèvres. J’ai l’impression de fondre sur mon siège. Je suis touché que tu acceptes de partager des bribes de ton passé avec moi. Mes yeux s’illuminent et te presse de continuer.

Tu y étais avec tes parents ? J’ai hâte de découvrir tout ça avec toi.

Te faire parler. Ce n’est pas toujours une brillante idée et ça peut se retourner contre moi à tout moment mais je tente ma chance. L’ambiance, le contexte particulier te rendra peut-être plus bavard. Parce que j’ai envie de tout connaître de toi Navy, les moindres détails de ta vie et de tes rêves. Mais puisque tu as fait un effort, à mon tours de baisser le ton pour murmurer à ton oreille.

Je crois que le plus loin où mes parents m’ont emmené c’est Santa Monica. On avait pas les moyens d’aller plus loin mais déjà ça me semblait le bout du monde. J’étais juste heureux de voir autre chose que mon immeuble et la chambre de Gabe.

Je hausse les épaules. Je n’aime pas parler de mon enfance, j’ai toujours l’impression que les gens me prennent en pitié après alors que j’ai été heureux. Avant que tout dérape.

@Navy St-Louis